Je n'ai pas envie de trop m'attarder sur les multiples qualités et défauts d'une série suffisamment populaire pour ne pas nécessiter une trop longue description.
Admettons simplement que j'aime bien Sherlock et son Watson, et que c'est plutôt drôle de parier avant chaque épisode sur qui, parmi la bande d'esclaves, citera (en vain, bien sûr) le lupus et qui osera miser (en vain aussi, toujours) sur le Guillain-Barré.
Sinon, c'est de la grosse machine pas toujours finaude, mais avec le temps, le fait que ce soit toujours exactement le même épisode a son charme. J'ai même fini par trouver des bons côtés au bellâtre Australien et à ne pas trop m'agacer devant le black d'Aniki mon frère, autant dire que je fais des efforts...
Mais ce qui est vraiment intéressant dans cette série, c'est comment elle révèle, poussée à l'extrême, une des pires maladies que connaissent les Etats-Unis.
Dans ce beau pays, le mensonge trône depuis toujours parmi les premiers péchés capitaux. Dépassé depuis peu, et purement de façon conjoncturelle, si vous voulez mon avis, par le terrorisme, le mensonge reste très haut dans la hiérarchie des crimes abominables, loin devant le vol, le meurtre et ne se faisant dépasser par le viol uniquement lorsqu'un enfant en bas âge handicapé issu d'une minorité raciale est impliqué ou, plus simplement, un petit chiot.
Le mensonge est le seul reproche fait à Clinton pendant l'affaire Lewinsky, par exemple, et il a failli y perdre sa place. Le Watergate, quelques années auparavant, avait déjà montré que ce qui choquait le plus dans l'affaire étaient les mensonges de Nixon. La culture populaire regorge d'exemples, incompréhensibles à nos yeux, où un petit mensonge prend des proportions inimaginables. Vous avez-vu un épisode de la petite maison dans la prairie récemment ? Ou l'abominable Menteur, menteur avec Jim Carrey ? Vous voyez donc de quoi je parle (ou alors vous avez eu la chance d'avoir échappé à ces cauchemars et vous n'avez plus qu'à me faire confiance).
Longtemps le cinéma avait été préservé. L'âge d'or à Hollywood est le fruit d'hommes souvent originaires des pays européens, ou alors trop civilisés pour ignorer les vertus du mensonge.
Car en Europe, la question ne se pose pas, le mensonge est ancré dans nos moeurs et s'y trouve même assez bien. Mentir est un art accepté par tous, avec seulement quelques règles juridiques un peu désuètes qui n'interviennent qu'en dernière extrémité. Plus à l'Est, vous ne trouverez pas non plus ce genre de problème. Par exemple, lorsque Kurosawa adapte Gorki avec les Bas Fonds, il présente pendant tout le film le postulat inverse : comment un petit vieux fait le bonheur autour de lui par l'utilisation sage du mensonge.
Dans Docteur Maison, le héros éponyme est un brave homme prétendument cynique qui passe son temps à expliquer que tous ses patients mentent, qu'il ne faut jamais les croire et que lui même peut utiliser tous les subterfuges possibles afin d'aider à la guérison du malade (Léon Trotsky, dans Leur morale et la nôtre, ne professe pas un programme si différent). "EVERYBODY LIES" écrit-t-il d'un feutre rageur au dos du petit juif infidèle qui, heureusement, portait sa blouse ce jour là, dans l'épisode que j'ai vu avant-hier.
Dans cette septième saison, on offre comme assistante au héros une jeune femme godiche et surdouée, affligée d'un syndrome effrayant : elle se refuse à mentir. Trahir ses chefs, ses camarades, briser sa carrière, mettre en danger la vie du patient n'est rien pour elle à côté de cet affreux mensonge qu'il faudrait accomplir, ne serait-ce que par omission...
Bien sûr, le simple fait que le Docteur Maison se pose comme défenseur intime du mensonge prouve qu'il est atteint de la même maladie, ne présentant que l'autre face de la même monnaie.
Alors, voilà ce qui m'intéresse dans cette série, ce qui m'inquiète aussi, puisque, dans quel autre pays que celui-là, aussi incapable d'envisager le mensonge, pouvait-on faire gober, entre autres, les armes de destruction massives cachées en Irak ?... Le mensonge fait partie de l'esprit critique, il permet d'esquiver le manichéisme, oblige à se remettre en question et possède des vertus nécessaires et avérées.
Pour ceux qui penseraient que cette maladie est récente et, peut-être, passagère, laissez-moi vous raconter une petite histoire pour finir :
A la fin du dix-neuvième siècle, une célèbre éducatrice française dont le nom m'échappe pourtant, part aux Etats-Unis afin de comparer nos systèmes éducatifs. Elle traverse le pays, visite un grand nombre d'écoles diverses et apprend les coutumes d'alors. Pendant son voyage, elle croise un jour, devant une école dont le drapeau est en berne, les élèves et l'instituteur en deuil, le visage baissé. Lorsqu'elle se renseigna pour savoir ce qui s'était passé auprès de l'éducateur, ce dernier répondit, honteux et les larmes aux yeux, qu'un des élèves avait menti.