Episode 1 Draculé
Hongrie 1897, une créature chauve mi eczémateux mi arbitre de Ligue 1 révèle à deux nonnes les conditions de sa rocambolesque évasion d'entre les griffes d'un vampire surpuissant. Ellipse flashback. Une calèche fend la brise glacée de la campagne transylvanienne. À son bord, l'avocat Jonathan Harker lit une lettre de sa douce et tendre Mina, restée à Londres. Elle lui parle avec légèreté de ses projets futurs. Elle plaisante en donnant la fausse permission à Jonathan de trouver les bras d'une autre femme le temps de leur courte séparation. Elle précise que de son côté, elle ne se gênera pas pour batifoler d'un homme à l'autre, et même de se faire plaisir avec une serveuse de bar bien gironde
2019, quelque part dans un bureau cossu londonien, Mark Gatiss et Stephen Moffat peaufinent leur dernière création originale.
- Hein ? Pourquoi elle lui raconte ça ?
- Bah tu sais bien, on construit un personnage. On montre son indépendance d'esprit, sa liberté, et aussi le fait qu'elle est un peu bisexuelle.
- Ok, mais pourquoi ? La série a débuté depuis moins de 6 minutes et le premier truc qu'on trouve à dire c'est que la copine du personnage tâterait bien de la moule à l'occasion. On pousse un peu là.
- Mais non ! C'est même une commande. C'est le projet. Les mecs de la BBC et de Netflix ont été très clairs sur le sujet. Ils veulent déconstruire l'héritage classique. On doit dépoussiérer un récit qui n'est pas assez inclusif à la base. Bram Stoker n'a pas eu l'intelligence d'anticiper les attentes des spectateurs des années 2020 et donc de concocter des personnages sexuellement intéressants pour les exécutifs actuels. C'est là notre valeur ajoutée.
- La charge érotique est pourtant bien présente dans l'oeuvre originale. L'homo érotisme est même suggéré dans toutes les adaptations dérivées, le Dracula de Coppola, Entretien avec un vampire de Neil Jordan, et même dans Preacher.
- Laisse faire le pro !
Le cocher mystérieusement masqué dépose le voyageur à la porte d'un château lugubre et gothique. Le jeune avocat s'aventure à passer les portes de la vaste demeure. Pas de trace du moindre domestique, rien à part une grand table bien garnie de viande rouge et éclairée à la bougie. L'hôte fait son entrée. Le comte Dracula est un vieil homme affable. Il a les cheveux longs et blancs, les rides de Jean d'Ormesson et la coupe de Jean Ker. Son accent prononcé contribue au charme dépaysant de ces rencontres faites aux confins de l'Europe de l'est . Le chemin a été long, le vin a été empoisonné et l'invité tombe rapidement de fatigue. Il se retire dans sa chambre pour passer une nuit bien reposante. Le matelas est moelleux, et Jonathan fait même un rêve érotique très plaisant dans lequel Mina, sa compagne bisexuelle le chevauche fougueusement, et d'un seul coup, il se rend compte qu'il a le vieux Dracula au bout du gland !
- Non non non...
- Mais quoi encore ?
- Je dois vraiment poser la question ? Il baise Dracula ?
- Le vieux Dracula, c'est une scène gérontophile. Demande de Netflix, y en a pas assez dans le catalogue. C'est une diversification nécessaire.
- Mais l'histoire ?!
- Ecoute on dépoussière le mythe... Sex education parle de sexualité des ados, Bonding de sexualité des maso-scatophiles, Les chroniques de San-Francisco parle de la sexualité des gays, on a une fenêtre avec Dracula pour mettre deux petites scènes où Jonathan se fait prendre par le Prince des ténèbres... je vois pas le problème, t'es réac ? t'as un problème avec la sexualité ? Tu sais qu'on s'en sort bien, ils pourraient très bien nous coller à l'écriture de "Dober girl", la nouvelle série sur la sexualité des... enfin voila.
- Non mais il aurait pu juste lui prendre son sang dans son sommeil...
- Oh oui c'est tellement original ça...
- Ou faire l'amour à sa copine avec un détail qui trahi le vampire, j'en sais rien moi, là c'est... c'est... ridicule.
- Je vois monsieur n'aime pas l'amour intergénérationnel... tu me déçois Mark. On va te reprendre en main.
- Au fait ça existe vraiment "Dober girl" ou c'est une vanne ?
- C'était une blague, mais j'ai l'intuition que je devrais le déposer avant que Netflix ne le produise, on sait jamais.
Les jours passent et l'invité qui ne devait rester qu'une journée est toujours détenu dans le château. Les couloirs interminables prennent l'aspect d'un labyrinthe. Le pauvre bougre dépérit à vue d’œil. Chaque nuit, il reçoit la visite de ce vieux comte dans son sommeil. Un jour Jonathan réfléchit à un moyen de s'enfuir, c'est alors qu'il se dit qu'il doit y avoir un plan du château caché dans le cadre d'un autoportrait d'un peintre qui est mort là, et il découvre effectivement un plan à cet endroit.
- Attends, c'est complètement con ça.
- Oui.
Après quelques péripéties, Jonathan parvient à fuir le château et à trouver refuge dans un monastère roumain. Dracula retrouve sa trace et réussit à s'introduire dans le refuge. Il massacre les occupantes en deux minutes. Il se retrouve face à la sœur Agatha Van Helsing qui lui a fait courageusement face durant la fin de l'épisode.
- Et voilà, fin de l'épisode 1 !
- Ok, bon à part quelques détails incohérents, on s'écarte pas trop de l'oeuvre originale.
- Quels détails ?
- Bah van Helsing, le chasseur de vampire, tu l'as remplacé par une bonne sœur.
- Parfaitement, y en a marre des héros mâles blancs de plus 50 ans, ça fait chier, t'as pas vu les directives ? Ce profil là on le garde pour faire les méchants les lâches ou les traîtres. À ton avis pourquoi on a pris un mec qui ressemble à François Fillon pour jouer le vampire ? Qu'est-ce qui te défrise à part ça ?
- Bah quand même, tu mets des nonnes noires et asiatiques dans un couvent roumain du 19e siècle...
- Et alors ! tu y étais toi en Roumanie en 1800 mes couilles ? qu'est-ce t'en sais ? t'aimes pas les chinois ? t'es contre les migrants ?
- Non mais c'est pas la question, je pense niveau cohérence, c'est le minimum ! Démographiquement ça tient pas.
- Ton "démographiquement" tu te le fous au cul et tu te torches avec, comment je fais mon inclusivité dans une oeuvre où y a que des blancs moi, monsieur le génie ?
- Bah je...
- T'inquiète t'as encore rien vu, on emmerde la cohérence mon ptit' pote. Tu vas voir dans l'épisode 2.
Episode 2. La croisière se transfuse
Un jeu d'échec est dressé entre Dracula et la sœur Agatha Van Helsing. Elle brave le mâle absolu avec une morgue sans pareille. En parallèle, le comte prend le bateau pour se rendre en Angleterre. L'équipage se limite à une dizaine de personnes. Il y a donc Dracula, une vieille qui va dégager fissa, Piotr le mousse roumain qui surjoue comme dans un film de Max Pecas, un gros barbu qui fait la cuisine, le capitaine, un médecin indien avec sa fille sourde muette et un couple d'aristocrates qui dissimule une histoire gay avec leur servant afro...
- Et voilà, ça redevient n'importe quoi...
- Mais de quoi ! Il faut que tu te mettes dans la tête les schémas incontournables mon vieux. C'est pas grave si les personnages sont vides ou mal pensés, le principal c'est leur apparence. Tu crois que je me suis fait chier à réfléchir à l’hindoue ? Elle est muette, on la voit deux scènes et elle se suicide, basta ! Le courage de la jeunesse façon Greta. Tout le monde est content.
- Y a un truc qui tient pas, l'amant caché de Lors Ruthven est doté d'un caractère plus qu'hautain, alors qu'il aurait probablement rasé les murs du bateau de peur de finir jeté par dessus bord ! Jamais il se comporterait comme ça !
- Mais c'est pas grave ça, on décrit le mec comme s'il prenait le bateau maintenant. Estime toi heureux que je lui fasse pas faire un dab. Si le mec veut clasher des marins de 19e siècle parce qu'ils font une demie remarque, il le fait sans problème, ils ont pas encore vu Moonlight c'est tout. C'est nous qui écrivons ! Ils n'existent pas bon sang ! Tu comprends, c'est pas grave la psychologie des personnages ?! Mo-der-ni-sa-tion.
- Et puis y a les incohérences vis à vis de Dracula, dans l'épisode 1 il a pas peur des crucifix, et maintenant il se roule en boule quand le médecin fait une croix avec les doigts.
- Oui j'avoue qu'on a merdé là, faut réécrire ça, c'est vrai que ça fait pas sérieux. J'espère que je vais pas oublier...
L'équipage est sous tension. Les morts s'accumulent et personne ne parvient à découvrir l'identité du meurtrier. Le jeune bourgeois découvre qu'il s'agit de Dracula et décide de se ranger de son côté par pur intérêt. La nonne est remise en jeu et parvient à acculer le vampire avec l'aide des survivants. Le bateau explose, Agatha meurt les bras en croix et Dracula se réfugie dans son cercueil en terre sous l'eau (cercueil en boue techniquement). Il est ressort, débarque sur la cote anglaise et il est immédiatement interpellé par ...Agatha Van Helsing !
- Ce putain de coup de théâtre je suis trop fort Ahahaha !
- Attends je pige pas, elle est pas morte ? Pourquoi y a un hélicopt... oh non, ne me dit pas que...
- Si ! Dracula à notre époque ! C'est ma marque de fabrique.
- Ça va se remarquer à force, c'est la troisième fois qu'on fait le coup... Sherlock, Jekyll, y vont croire qu'on a plus d'idée. Agatha, n'est pas morte ? Elle est vivante car elle s'est transformée en vampire, comme elle a été mordue, c'est pas cliché ça ?
- Non elle est morte.
- Bah, on prend la même actrice...
- Oui ! mais elle va jouer le rôle de la ptite ptite fillôte d'Agatha.
- Mais elle a la même gueule et la même voix ! Ça fait comme Jacouille et Jacquart dans les Visiteurs, ça ne passera jamais !
- Si à cause, du sang, et de l'ADN tout ça... Pas de problème.
- Et il est appréhendé sur la plage 124 ans après. Il n'en ressort pas en vieillard ? C'est un fringuant quinqua qui sait ce qu'est une caméra vidéo alors qu'il débarque de 1892 ? Comment on explique ça ?
- Euh... bah il connait le monde des hommes et que du coup il est pas surpris par les inventions humaines euh..
- ...
- Ok, tu m'emmerdes avec tes remarques de geek, j'ai pas mieux. OSEF. De toute façon on va faire pire dans l'épisode 3 !
Episode 3 : Vampire en pire
Dracula est rapidement neutralisé par une milice secrète au service d'une fondation médicale qui doit son nom et son financement à Mina Harcker (la veuve de Jonathan). Il est cependant libéré grâce à un avocat malfaisant. La nièce d'Agatha, Zoé combat bravement Dracula en dépit du cancer qui la ronge. Elle est accompagnée d'un jeune docteur sans la moindre substance éperdument amoureux d'une jeune femme au charme envoûtant, bien dans son époque et qui profite de la vie en compagnie de ses amis proches cyber-connectés et exubérants
- Tu parles de la cruche instagrammeuse qui passe ses nuits à danser les bras en l'air en boite de nuit en compagnie d'une caricature de cluber gay censé être rigolo ? Dépoussiérer une oeuvre classique pour la farder de stéréotypes déjà démodés... c'était donc notre objectif ?
- Qu'est-ce que tu peux être cynique, c'est incroyable.
- Le pire étant que TON Dracula tombe également sous le charme ! Du haut de ses 500 ans de vie sur terre, il confesse n'avoir jamais rencontré de fille aussi exceptionnelle. Je lui conseillerais bien deux trois boites de nuit parisiennes où il fera la connaissance de radasses de cet acabit par douzaines mais je vais encore passer pour un ronchon. Son évasion du crématorium restera d'ailleurs une véritable énigme.
- T'es pointilleux, pire qu'un fan de Star Trek... Et puis à côté y a de bonnes vannes bordel ! Dracula qui confond Tinder et Uber eat, Ahaha c'est marrant ? Tu feras le rôle de l'avocat si tu veux...
- C'est du gadget ! Y a pourtant matière à en sortir quelque chose ! à confronter ce personnage mythique, décadent, qui consomme au sens propre des individus, à cette époque égalitariste autant que libérale et soucieuse en apparence de la vie humaine. On a l'opportunité de dire des choses !
- Boring... Dracula à Londres 2020 ça se limitera à une balade dans un cimetière, une séance de vélo électrique, et une captivité dans une cellule moderne. On va pas faire le procès de quoi que ce soit d'autre que de la masculinité toxique, pigé ? On va prendre le mec The Square, le film suédois réac, tu imagines le symbole ? Comme Sherlock Vs Moriarty, on va faire Dracula Vs Helsing. L'ancien monde contre le nouveau. La nonne cancéreuse qui bastonne le patriarcat leucoderme mourant. Les critiques vont adorer !
- Mais si c'est un vampire bisexuel, c'est un peu LGBTphobe que de dire qu'il est toxique non ?
- Euh... complique pas, même moi je suis perdu.
- Et c'est quoi ton titre ?
- Draculé, euh non ça va trop loin. Very bad vampire.... Sex vampire !
- C'est nul.
- Sex vampire malgré lui, attends Draculé, sex vampire malgré lui
- Et si on disait juste Dracula ?
- Et bah c'est pas trop tôt, tu me sors enfin une bonne idée... J'espère que tu seras plus créatif pour notre nouveau projet.
- Qui sera ? Laisse moi deviner, l'homme invi... euh non la femme invisible, aveugle qui change de sexe en 2020, joué-e par Omar Sy...
- NOTE CA TOUT DE SUITE !