Après une révision complète de cette courte saga (13 épisodes, 25 minutes chacun), je ne peux que réaffirmer tout l’attachement que j’éprouve pour cette objet curieux et définitivement sincère. Ce n’est pas tant pour la facture technique (très conventionnelle, les dessins sont très japonais sans bénéficier d’un plus grand soin qu’un autre animé classique) ni pour le gore (plutôt anecdotique, mais toujours dramatisé, qu’il soit cathartique ou monstrueux), mais pour la richesse des sentiments qu’il véhicule. On le constate toujours dans des productions comme Starship Troopers Invasion ou dans les Ghost in the shell, les japonais n’arrivent pas à faire dans la nuance de portrait. Chaque personnage se doit habituellement d’avoir un trait de caractère particulier et d’y aller à fond dedans. Or ici, pour une série répertoriée comme gore, les personnages sont un peu plus ambigus, et surtout, ils sont gérés de manière à faire exploser leur potentiel sentimental. C’est un des rares animés où la sensibilité du spectateur est aussi proche de celle des protagonistes. Souvent, cet animé a recours au mélo, parce que quelques larmes faciles, ça ne fait pas de mal. C’est d’ailleurs dans les phases mélo que les scénaristes rajoutent souvent beaucoup de cruauté, histoire de rendre encore plus pénible le sort des personnages. Car comme souvent, les personnages ont un lourd passé qui va nous être copieusement étalé.
Il y a Kouta, jeune étudiant, dont la petite sœur est morte il y a longtemps, Yuka, sa cousine ayant des souvenirs du drame, Lucy/Nyu notre mutante à double personnalité meurtrière, et bientôt se rajoutent Nana, une seconde mutante qui malgré son lourd passé semble être la gentillesse incarnée, et enfin Mayu, jeune clocharde ayant fui son beau père pédophile. C’est notamment avec ce dernier personnage que le mélo ira le plus loin, culminant dans l’épisode 5 avec la surenchère de malheurs qui lui arrivent dans la figure. Pourtant, si le film se révèle presque complaisant dans l’exposition de la souffrance de ses personnages (ça sera encore plus évident avec l’enfance de Lucy, mais nous y reviendrons), il reste toujours cramponné à leur point de vue et à leurs espoirs. Aussi, les secondes chances qui leur sont offertes irradient d’une chaleur humaine sincère, vivifiante, grisante à en faire monter les larmes aux yeux (la seconde moitié de l’épisode 5 justement). Elfen Lied exploite les glandes lacrymales du spectateur à la fois de la bonne et de la « mauvaise » façon, et peu lui importe du moment qu’on chiale. C’est d’ailleurs là qu’on peut juger de la « complaisance » de l’animé en question, qui n’hésite pas à virer sur du manichéisme primaire. C’est notamment le cas avec les personnages des mutants. Dotés de cornes directement fixées sur l’os crânien, ils semblent tous utiliser leurs pouvoirs pour occire les humains avec qui ils sont en contact (le carnage de l’épisode 1 est d’ailleurs une merveille dans le genre, une parfaite entrée en matière). Et c’est donc là que le discours du film sur les freaks prend toute son ampleur, puisqu’en gros, les humains commencent toujours par discriminer les monstres (méchants humains qui n’arrivent pas à supporter des cornes trop kikoo lol !), et à être cruels avec eux. Si le passé de Nana est surréaliste à ce sujet (torturée depuis sa naissance, élevée en laboratoire et conditionnée pour être complètement soumise aux volontés des scientifiques, vraiment, c’est le personnage le plus pathétique et l’un des plus attachants du film dans sa manière ingénue de supporter une telle situation), celui de Lucy est volontairement pessimiste, réutilisant dans l’épisode 8 un mélo agaçant, intelligemment combiné à une dose monstrueuse de cruauté (la mise à mort d’un chiot, et la présence d’un traître encore plus dérangeante par les débuts de relation d’amitié entre Lucy et lui, débouchant sur un massacre d’enfant couillu).
Il est aussi bon de noter que l’animé joue intelligemment sur quelques noirs sentiments humains (comme la courte réflexion sur la nécessité de toujours connaître quelqu’un de plus malheureux que soit pour se soulager la conscience, quitte à le maintenir dans le malheur pour stabiliser la situation). L’épisode 9 semble incontestablement le meilleur de la saga, le plus intense sentimentalement en tout cas. Mettant en scène la liaison d’une Lucy tueuse en masse (décimant des familles entières pour se réfugier dans leur maison et s’y nourrir) et d’un Kouta encore enfant, c’est le point de la narration où l’empathie pour les personnages culmine, où leurs sentiments semblent les plus forts. C’est aussi l’un des plus émouvants dans le bon sens du terme, puisqu’à la moitié de sa durée, il annonce la fin imminente, programmée de cette relation fusionnelle entre enfants (dernière journée avant un départ de fin de vacances). En mettant en scène leur dernière journée de la meilleure des manières, il joue toujours cruellement sur la mélancolie du temps qui passe et sur la séparation de plus en plus proche, imminente. Incontestablement le plus intense, jusque dans son dénouement dramatique, où le gore prend là encore une étoffe déchirante (quoi qu’il faudra attendre l’épisode 11 pour avoir le dénouement complet).
Que ce soit dans le mélodrame, la cruauté ou dans une authentique joie de vivre, Elfen Lied donne toujours la part belle aux sentiments de ses protagonistes, et la sincérité de sa démarche finit par l’emporter sur les artifices qu’il a tendance à utiliser à grande mesure. Quelques petits temps morts ça et là, mais vu la courte durée de chaque épisode, on va régulièrement à l’essentiel. Dernier petit clin d’œil aux hommes de bon goût, Elfen Lied n’étant définitivement pas un animé pour enfant (vu la violence, un – 12 ans, limite 16), il fait ça et là de petites allusions au style Hentaï, sans conséquences toutefois puisque l'humour vient toujours désamorcer les situations (comme la séquence où Nyu, incapable de parler et à la mentalité infantile, se laisse changer de tenue par Kouta sans la moindre pudeur… avant une arrivée de Yuka plutôt au mauvais moment). Bref, évitant les enjeux abrutissants pour se focaliser sur les reconstructions des personnages et leurs émotions profondes, Elfen Lied est une curiosité indispensable, ne serait-ce que pour la radicalité de sa démarche. Eblouissante et plutôt courte, c’est une révélation de mon parcours cinéphile.