Commençant comme une simple série dystopique de science-fiction, Ergo Proxy nous entraîne en réalité dans un voyage philosophique et métaphysique. Plutôt que de nous décrire la manière dont la cité de Romdeau parvient à survivre en modelant la vie de ses citoyens, la série préfère suivre les aventures (géographiques et psychologiques) de Vincent Law, un immigré d’abord désireux de devenir un citoyen modèle à Romdeau, mais qui se retrouve forcé de se confronter à sa véritable identité.
Assez rapidement, on remarque que le format, le style des épisodes est très varié. A des épisodes de facture assez classiques, nous montrant comment les protagonistes parviennent à survivre à telle ou telle menace rencontrée à l’extérieur de Romdeau, et contenant des scènes d’action bien animées mais finalement suffisamment rares pour qu’on ne s’en lasse jamais, succèdent des épisodes très introspectifs, intégralement dédiés à un monologue philosophique, ou à l’expérience d’une dissociation de la personnalité. L’épisode 15 est totalement consacré à un quizz télévisé au sein duquel les personnages se retrouvent embarqués sans que l’on sache comment ; dès l’épisode d’après, ils se retrouvent là où on les avait laissés auparavant. Autant dire que Ergo Proxy n’hésite pas à se montrer très expérimental dans la manière dont il fait avancer son intrigue, au point que l’on ne sache parfois pas très bien si ce que l’on voit se produit dans la réalité ou dans un rêve. Mais chaque épisode, quel que soit son contenu, distille des informations qui permettent au spectateur d’espérer petit à petit élucider les mystères de l’univers de la série : que sont les proxys ? pourquoi les humains vivent-ils dans des dômes ? d’où vient Romdeau ?
Par rapport au caractère très sophistiqué de la construction de l’intrigue d’Ergo Proxy, on pourrait craindre un dénouement incompréhensible ou abracadabrantesque. En réalité, la fin de l’oeuvre est on ne peut plus satisfaisante, et est même bien moins complexe que ce que l’on trouve dans les épisodes les plus énigmatiques du reste de la série. Les éléments essentiels à la compréhension de ce dénouement ont tous déjà été peu à peu introduits : le spectateur attentif ne pourra éprouver qu’un sentiment de cohérence.
Les personnages d’Ergo Proxy sont en très petit nombre : si on ne compte pas les automates, il y a 2 protagonistes et 2 personnages récurrents. La série a donc largement de quoi travailler leur personnalité. Sur ces 4 personnages, il n’y en a aucun qui ne connaisse une évolution détaillée au fil des épisodes, et qui ne trouve une place spécifique et distinctive dans l’intrigue.
Ce qu’il y a sans doute de plus critiquable dans cette œuvre est son caractère assez prétentieux, particulièrement notable dès les premiers épisodes. Ses couleurs très sobres, grisâtres et feutrées (on ne voit presque jamais de couleur vive dans toute la série), ses paysages toujours sombres et nébuleux ; sa musique qui peut sembler parfois excessivement solennelle ou anxiogène ; son usage du ralenti dans certaines scènes de combat ; la multiplication qu’elle fait de références philosophiques et mythologiques ; tout ceci risque de fortement agacer le spectateur, qui devra faire un effort pour aller au-delà des premiers épisodes. En ce qui me concerne, ce sentiment d’agacement m’est rapidement passé, ou bien car j’ai été rapidement habitué au style de la série, ou bien parce que j’ai jugé que la série pouvait se permettre toutes ces choses, vue sa qualité d’écriture.
Il est enfin regrettable que toutes les allusions philosophiques contenues par la série ne soient pas mieux utilisées. Ces références sont majoritairement cartésiennes : le virus qui frappe les automates se nomme le cogito, les épisodes sont nommées « méditations », la formule « je pense, donc je suis » est plusieurs fois répétée (parfois avec des variantes) ; le titre lui-même est une référence au cogito, ergo sum. Mais la série nous donne-t-elle quelque chose de substantiel à méditer dans le cadre de la philosophique de Descartes ? Il semble acquis que le virus cogito puisse accorder une âme et des sentiments à des robots : la manière dont cela est possible n’est absolument pas interrogée. La question du lien entre la conscience de nous-mêmes et celle des autres est évoquée, en lien avec le mystère des « proxy », et ce lien n’est finalement pas explicité. La manière dont Vincent Law part en quête de ses souvenirs perdus évoque davantage quelque chose de psychanalytique que de cartésien (il y a d’ailleurs des personnages secondaires nommés Kristeva, Derrida et Foucault, qui sont soit psychanalystes soient influencés par la psychanalyse). Enfin, on ne voit pas trop ce que l’on est censé tirer des références mythologiques et religieuses disséminées dans les épisodes. Pourquoi avoir d’ailleurs choisi comme nom « Ergo Proxy » ? Ergo signifie « donc » en latin…
La manière dont la nature et le destin des proxys est introduit et travaillé est intéressant et indubitablement bien travaillée. Mais l’intérêt de l’œuvre réside davantage dans la qualité de son écriture et de son intrigue que dans sa volonté de répondre précisément à une question philosophique.