La vraie réussite d'un film ou série se situe dans l'originalité du scénario, de la mise en scène et du montage, on le sait et Michael Tolkin (The player) scénariste à l'origine du projet, aidé de Ben Stiller à la réalisation, arrive à s'éloigner du fait divers par cette histoire VRAIE, encore : la traque qui a tenu en haleine un certain nombre de téléspectateurs américains, après l'évasion de Richard Matt et David Sweat, (aidés d'une employée de prison, Tilly Mitchell.) en 2015 dans l'Etat de New York, et dont on craint en premier lieu de vérifier le manque de créativité, et ensuite de subir un voyeurisme sur toute la misère du monde, propre à appâter le public pour cette histoire plutôt sordide. Sans prendre parti, les auteurs ont su par tous les intervenants du drame rendre un divertissement digne du cinéma et en filigrane, par une sous critique sociale et politique, une approche universelle de la difficulté d'être, que la simple reconstitution malsaine.
Tout en piochant dans les codes du genre, pour rendre le divertissement, et le clin d'œil au thriller, par ses rebondissements inattendus, on a affaire à une fiction bien ficelée, sans spectaculaire ni pathos, réduite à l'essentiel.
Prenant le temps d'installer les personnages et le contexte, l'écriture se concentre plutôt sur les enjeux relationnels et la technique d'évasion, que sur l'action. Les cinq premiers épisodes déclinent ainsi l'environnement carcéral et la relation ambigüe et aux rapports faussés que vont entamer ces trois personnages. Des travaux nocturnes, aux échanges entre détenus et leurs gardiens, de la promiscuité à l'interdépendance, l'ambiance est pesante et la violence des échanges d'autant plus sournoise que l'on perçoit la catastrophe à venir.
L'enfermement carcéral se fait miroir de celui des habitants d'une bourgade ouvrière et pauvre, à l'avenir bouché. L'isolement est renforcé par des décors désolés, de maisons insalubres, de lotissements sans âme, de défouloir alcoolisé pour ce quotidien répétitif où le semblant d'activité et de liens se situerait plutôt à la prison et au restaurant du coin.
On s'attache finalement à cette lutte pour la liberté comme exutoire à la déprime ambiante, mais un flashback savamment intégré, nous ramènera à une réalité des plus rudes, pour un changement de perspective qui permet d'apprécier encore une fois la maîtrise de l'écriture.
Ben Stiller, prouve l'excellence d'une mise en scène sobre et classique, d'autant plus marquante qu'on le connaît plutôt humoriste. Metteur en scène de La vie rêvée de Walter Mitty en 2013, il amorçait déjà un changement par rapport à ses dernières réalisations, plutôt comiques, qu'étaient Zoolander et Tonnerre sous les tropiques. La place accordée aux détails, la photo et les environnements parfaitement saisis, sont servis par des prises de vues travaillées et une tension dramatique constante, même dans des scènes anodines. Prenant de bout en bout, les huit épisodes sont d'égale facture et judicieusement menés malgré la lenteur d'exécution. Les scénaristes ont su se défaire de tous les défauts inhérents aux séries, longueurs, redondances, et autres intrigues croisées et accessoires.
La réussite tient aussi à ses acteurs et à la complexité de leur personnage. Paul Dano décline parfaitement l'image de la jeunesse perdue, entre soumission et volontarisme, face à Benicio del Toro, égal à lui même, entre intimidation et facétie, et où les rôles s'inverseront, permettant toujours à l'écriture de nous perdre et de maintenir le suspense. Patrica Arquette démontre tout le drame d'une femme au sens critique totalement absent et crée une véritable gêne voire le malaise.
David Morse et Eric Lange en seconds rôles sont parfaits même si l'attachement de l'un pour ses prisonniers et de l'autre pour son épouse frôlerait presque la pathologie et même si David Morse rejoint son rôle de La Ligne verte, et Paul Dano par sa scène d'évasion à celui de Tim Robbins dans Les Evadés, l'aspect bienveillant de ces deux métrages, est lui totalement absent.
La traque termine cet exercice au déroulé sans défaut pour révéler subtilement les choix difficiles à la survie ou au lâché prise, en maintenant la tonalité de désespérance qui accompagne toute la série.
Dans l'univers actuel, une série à voir.