Spleen et Idéal
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Il y a quelque chose de malsain dans Euphoria que l'on ne remarque pas de suite.
Sans doute préoccupé par les plans esthétiquement parfaits et les paillettes sur les yeux humides des protagonistes que l'on croirait arrachés à une revue sur papier glacé, notre esprit distrait se permet un ou plusieurs épisodes. Ou une saison entière, soit huit heures d’affilée.
Lorsque le glas retentit, il fait aussi nuit chez moi.
Le sommeil mettra du temps à arriver et je me surprends à vouloir avaler un de ces opiacés colorés cachés dans des tubes opaques, dont Rue, le personnage principal vante les effets et a du mal à se détacher.
Présentée comme une des séries les plus prometteuses de l’année, Euphoria réunit les poncifs de la série teen-trash : le mal-être, le réel, le cru, le sexe, la drogue, les strass et les quarterbacks narrée par une toxicomane en mal d’amour et en manque de sérotonine.
La comparaison avec Skins semble s’imposer, mais elle s’arrête là ou Euphoria commence.
Les adolescents pas si euphoriques que ça incarnent et subissent l’Amérique désenchantée, la masculinité toxique, la crise des opiacés, la transphobie, la sexualisation à outrance, les troubles psychiatriques, les violences domestiques et j’en passe. Point de jeunes anorexiques rigolos qui sautillent sur un trampoline en demandant du poppers, ici c’est God Bless America avec un flingue sur la tempe et un cachet sur la langue. Le système entier dévore les entrailles de chaque personnage d’une manière différente, à un âge où l’on est plus vraiment un enfant mais pas encore un adulte.
Le malaise est présent : les crises d’angoisses, dépressions chroniques, phases de manie, manques de substances psychoactives deviennent réelles et presque vécues, grâce à la narration en voix-off de Rue qui donne ce relief si particulier à la série.
Le malaise est violent, et prend parfois à la gorge : en tant que spectateur sensible et ayant eu un passif avec certains des troubles décrits comme un bon nombre de personnes, j’ai été choquée par certaines scènes, que j’ai senti comme étant « gratuites », sous couvert de réalisme. Ce réalisme pessimiste qui ne donne aucune lueur d’espoir aux différentes trajectoires de vie qu’empruntent les personnages en boitant.
On a d’ailleurs du mal à s’attacher à eux tant ils s’engluent dans un mazout narratif qui accumule les axes scénaristiques et ne développe pas grand chose, laissant les spectateurs sur leur faim.
Ne vous inquiétez pas cependant ; le poulain de l’écurie HBO est en lice pour une deuxième course effrénée : du sang ! du sexe ! de la sueur ! et des paillettes aussi ! n’est ce pas vendeur ?
Des belles choses, il y en a. Des moments d’accalmie, bien que peu nombreux et anecdotiques. De belles performances avec Zendaya et Hunter Schafer, toutes deux très convaincantes. Des clins d’oeil et références au cinéma d’aujourd’hui. Un parti pris esthétique efficace : la photographie, les lumières, les plans et les looks des personnages féminins sont tous extrêmement photogéniques.
C’est là que la dissonance opère : le gloss utilisé dans le titre de cette critique n’est pas une allusion maladroite au maquillage sophistiqué des protagonistes, mais le vernis utilisé comme une couche brillante et alléchante sur le produit fini. La traduction anglaise de papier glacé est d’ailleurs « glossy paper » et l’esthétique est une force prédominante dans Euphoria.
Les jeunes filles à l’eye liner coloré pleurent sous des néons, se déchirent et s’attirent en stroboscopie. Le spleen sous lumière artificielle et plans léchés.
Insuffler de la beauté dans toute scène ou rendre glamour des situations qui ne le sont pas? C’est dans cette dissonance que le malaise se niche et vient caresser l’esprit en quête de scènes photographiques et de beaux moments de cinéma.
Affamé et désemparé, il en redemande. Une trace ou une scène de plus, l’addiction n’est qu’un mécanisme comme un autre qui ne laisse personne indemne.
Créée
le 23 sept. 2019
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