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Un léger essoufflement
Dix ans maintenant que Noah Hawley a sorti son premier volet de son anthologie rendant hommage au film éponyme des frères Coen. L’idée originelle n’était pas d’en reprendre le scénario mais plutôt de s’inspirer de ses codes narratifs et de son ambiance pour en tirer des histoires criminelles inédites et indépendantes. Ainsi, dès la première saison,on se retrouvait plongés au cœur d’une petite bourgade isolée du reste du monde par les plaines enneigées du Minnesota. Mais cette quiétude apparente se voyait soudainement perturbée par l’arrivée sur les lieux d’un tueur sanguinaire. Dans le même temps, un monsieur Tout-le-Monde se découvrait une âme d’assassin tandis qu’une flic plus perspicace qu’elle ne le laissait paraître allait se pencher avec minutie sur ces tragiques et sanglants événements. Ainsi, qu’il s’agisse du pedigree des personnages mis en scène que de la violence presque burlesque qui régulièrement ponctuait la narration, Noah Hawley prenait un malin plaisir à se réapproprier les ingrédients ayant contribué à la juste renommée de « Fargo ». Toutefois, afin d’échapper à toute redondance, il lui fallait explorer de nouveaux horizons tout en restant fidèle aux fondements sur lesquels s’appuyait son projet. Une gageure habilement relevée jusqu’à un 4ème opus assurément moins abouti que les précédents.
Le charme enchanteur du Minnesota
Alors, dans cette nouvelle saison, Hawley a fait le choix de revenir aux fondamentaux à commencer par le décor : neige, plaines à perte de vue et petite ville posée au milieu de nulle part. Dans ce contexte, Dorothy, une mère au foyer d’une famille sans histoire, agresse par mégarde un agent de l’ordre public. Peu de temps après, deux hommes font irruption chez elle en pleine nuit pour tenter de la kidnapper. A la manière qu’elle a de vendre chèrement sa peau, il apparaît que la frêle Dorothy possède une âme de combattante peu commune pour une personne de son statut. S’ensuit alors un enchaînement de péripéties assez improbables que les autorités locales et en particulier la jeune fonctionnaire Indira Olmstead, vont essayer de tirer au clair. Parallèlement, le FBI s’intéresse de près au puissant Shériff d’un comté du Dakota, Roy Tillman, qu’ils soupçonnent d’enfreindre allègrement les lois de la nation pour faire régner l’ordre dans sa juridiction. Et à vrai dire, ils n’ont pas tort. Cet imposant cow-boy n’a que faire de la Constitution de son pays. Seules lui importent les valeurs que la Bible lui a enseigné. Des valeurs basées sur le patriarcat, la prédominance de la race blanche et un libéralisme sans entrave.
Un démarrage prometteur
Au moment d’entamer une nouvelle saison de « Fargo », on espère forcément se replonger dans cette Amérique du bout du monde qui constitue l’ADN de la série. Et sur ce plan, on pressent rapidement que nos attentes ne seront, cette fois, pas déçues. Tout les ingrédients sont donc réunis pour passer un agréable moment : les personnages, le décor, le ton décalé… Alors, on se laisse embarquer par les pérégrinations de Dorothy, cette femme de caractère qui use de toutes les ressources disponibles pour donner du fil à retordre à des agresseurs un brin dépassés. A l’instar de la très sympathique Indira Olmstead, on reste incrédule devant l’attitude de « Dot » qui, malgré les événements, s’emploie à ne rien laisser transparaître du chaos qui gravite autour d’elle, quitte à mentir de manière éhontée. Quant à Roy, interprété par un Jon Hamm toujours aussi charismatique, le calme dont il fait preuve n’est là que pour servir une autorité malsaine sous couvert d’une moralité induite par sa vision rétrograde et subjective des textes religieux. Et pour cela, il nous apparaît d’autant plus effrayant qu’il est crédible. Les seconds rôles sont pour leur part tout aussi délicieux. Bien sûr, il y a ce colosse solitaire qui ne parle qu’en des termes sibyllins et ésotériques et dont on devine qu’il aura un rôle à jouer. Dans l’entourage de Dorothy, Hawley dresse également une galerie de portraits qui collent en tous points à l’esprit de la série. Qu’il s’agisse de la richissime belle-mère cynique ou du mari exagérément gentillet, on constate avec un certain amusement que tous sont légèrement caricaturaux dans leur manière d’être et d’agir mais à ce stade du récit, cela relève encore d'une fantaisie divertissante.
Une (presque) réussite formelle
Et puis, forcément, les pièces du puzzle finissent par s’assembler. Dès lors, la narration se concentre presque exclusivement sur la manière dont Dorothy cherche à s’extirper des situations scabreuses dans lesquelles elle se trouve embarquée contre son gré. Cela ne manque pas de rythme et c’est agréable à suivre même si aucun élément nouveau ne vient réellement enrichir la trame principale. Par ailleurs, Hawley se montre toujours maître dans la manière qu’il a de gérer le son et ses composantes. Tantôt mélodique, tantôt percussive, jamais intrusive, la musique qu’il met en avant s’avère toujours adaptée au besoin de la narration. Elle lui confère en outre une identité sonore toute particulière dépassant le simple cadre du formidable thème musical qui agrémente sa série depuis son commencement. Par ailleurs, sa photographie est impeccable : non seulement il possède un talent immense pour rendre magnifiques les grands espaces mais il se joue également de la lumière avec un sens certain de l’esthétisme, qu’elle apparaisse sous la forme d’un simple coucher de soleil ou de rais perçants au travers d’une fenêtre de fortune. Du point de vue de la mise en scène, comme à son habitude, Hawley se montre particulièrement généreux même si certains de ses choix laissent parfois perplexes. Quelle utilité y a-t-il par exemple à filmer le visage d’un Roy Tillman furibard durant près de deux minutes ? D’autres relèvent d’un traitement narratif parfois hasardeux. Ainsi, si la scène nous plongeant 500 ans avant les faits intrigue,elle se trouve placée là comme un cheveu sur la soupe. Il en est tout autrement de la longue séquence où Hawley use d’un spectacle de marionnettes pour illustrer ce que Dorothy a vécu dans son adolescence. Si cela était nécessaire, elle permet surtout à Hawley de montrer à quel point il sait user de tous les arts pour illustrer son propos. Un propos qui, progressivement, prend le pas sur une intrigue reléguée au rang de faire-valoir.
Un propos clivant
Ainsi, pour ceux qui auraient souhaité assister à un final explosif comme on pouvait l’espérer devront passer leur chemin. A ce stade, Hawley semble s’être désintéressé de tout enjeu narratif. Depuis plusieurs épisodes, son objectif consiste avant tout à dénoncer la violence faite aux femmes. Une entreprise d’intérêt public qu'il parvient à rendre palpable, induisant en nous la dose d'empathie souhaitée. Mais là où réside le problème, c’est que sa démonstration s’établit sur des caricatures de personnages. Car non seulement les hommes sont violents mais quand ils ne le sont pas, ils sont soit d’une stupidité à tomber par terre (avec le conjoint d’Indira, on touche le fond du machisme de bas étage), soit immatures, soit béatement gentils… Et quand ils ne sont rien de tout cela, et ben, ils meurent… Sont-ils représentatifs de la masculinité dans son ensemble ? On peut en douter. Les femmes, elles, sont fortes et responsables. Et même quand elles sont sans scrupule, elles savent malgré tout faire front contre la maltraitance subie par une des leurs. Par ailleurs, Hawley désigne clairement Tillman comme un électeur de Trump. Pour autant, était-il nécessaire de lui attribuer une identité politique ? En ne le faisant pas, il ouvrait la porte à tous les publics (ce qui devrait être le cas de toute composition artistique) avec la liberté d’y voir une critique de l’Amérique trumpiste. Dans le cas présent, il ostracise une part de la population au lieu de l’interroger sur la pertinence de ses valeurs. Il tend une nouvelle fois à dresser un mur infranchissable entre les progressistes à qui il s’adresse et les obscurantistes religieux. Sa vision du monde semble donc se résumer à un ensemble de composantes binaires vouées à se détester. Il y a les Bons et les Justes d’un côté, les Méchants et les Tortionnaires de l’autre. Alors, il est tentant d’applaudir devant la dénonciation de ce qui apparaît détestable. Le spectateur qui se retrouve dans ces messages se voit par ailleurs flatté dans son égo et conforté dans ses opinions. Mais il est important de porter un regard critique sur cette manière schématique et rassurante de cloisonner les humains dans des cases tant elle apparaît dangereuse. Ce miroir aux alouettes a avant tout pour conséquence d’attiser la haine : la haine envers les hommes, la haine envers les électeurs de Trump, la haine envers telle ou telle culture... Quand on n’apporte aucune nuance à un discours, aussi louable soit-il, on aboutit inévitablement à des généralités trompeuses, la faute à une réalité forcément plus complexe qu’on le souhaiterait. Alors, certes, la fin de la série constitue un bel hymne à l’amour, au bonheur de faire et de manger des petits pains en famille. Mais il n’efface pas le propos un peu délétère que la série a volontairement déployé durant dix épisodes par ailleurs formellement irréprochables.
Disponible sur MyCanal