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Un enfant malade et tout vacille
Qu’un individu, quel qu’il soit, tombe gravement malade, et c’est toute la sphère familiale qui en subit les conséquences. Mais si, en plus, il s’agit d’un enfant, celles-ci revêtent des atours tout à fait particuliers. De cela, Camille de Castelnau, l’auteure de la série ayant déjà officié comme scénariste dans « le bureau des légendes », en a fait elle-même la douloureuse expérience auprès de sa nièce atteinte de leucémie. De ce vécu lui est venue l’idée de créer une série où une petite fille de 9 ans, atteinte elle aussi du même mal, va placer les membres de sa famille devant une situation à laquelle nul n’est préparé. Rose, puisque c’est son nom, se voit ainsi contrainte de subir une greffe de moelle osseuse qui l’obligera à rester 3 mois dans un hôpital cloisonnée en chambre stérile. Si tout le monde se sent évidemment concerné par cette terrible tragédie, la manière d’intégrer la maladie dans leur vie sera révélatrice des forces et des fragilités de chacun. Plus que de nous narrer le combat de Rose pour une hypothétique survie, « Tout va bien » utilise ce point d’entrée pour nous brosser avec beaucoup de délicatesse les portraits d’êtres fragilisés par le sort.
Deux sœurs...
Au sein de ce nouvel équilibre imposé par les circonstances, Claire, la tante de Rose,occupe le devant de la scène quitte à délaisser certaines de ses obligations. Certes, le lien qu’elle entretient avec sa nièce paraît indéfectible, mais en vivant auprès d’un homme divorcé, elle est périodiquement en charge de la fille de son conjoint, une tâche dont elle s’acquitte parfois négligemment. Ses visites quasi quotidiennes à l’hôpital indiquent chez elle un besoin irrépressible de combler un manque qu’elle ne questionne pas. A force de faire sien le combat de Rose contre la maladie, elle en oublie ses autres fonctions, qu’elles soient maritales ou éducatives. Pour autant, cette place, elle ne la vole à personne, même pas à sa sœur qui, au contraire, cherche à s’extraire du climat mortifère dans lequel son statut de mère tend logiquement à l’enfermer. Ce climat, elle le perçoit même dans le regard de son mari qui, à son corps défendant, en est devenu l’innocente incarnation. Alors oui, Marion est en ce sens une épouse défaillante, mais pour autant, il nous paraît bien inconvenant de la juger tant elle semble désemparée par la violence d’une situation dont elle cherche désespérément à détourner le regard. A n’en pas douter, ces deux beaux portraits de femmes ont bénéficié d’une écriture délicate et nuancée, rendue vibrante par les interprétations sans faille de Virginie Efira et de Sarah Giraudeau. A ce titre, s’il est indéniable que la première n’en finit plus de briller au travers de rôles variés et complexes, on aimerait tout de même que la seconde se sorte par instants du personnage trompeusement fragile qu’elle incarnait déjà avec subtilité dans « le bureau des légendes ».
… et une mère
La place centrale occupée par Marion et Claire dans le récit ne fait toutefois pas oublier la présence à leurs côtés de Anne, leur mère. Cette femme envahissante, experte en développement personnel, promulgue ses conseils à coups d’ouvrages faisant l’éloge d’une philosophie de vie où le bonheur serait accessible à ceux qui auraient la volonté intérieure d’y accéder. Une bonne parole à priori inadaptée au vue de l’état de détresse dans laquelle se trouve sa famille mais qui ne l’empêche en aucun cas de rester fidèle à ses principes. Elle en serait facilement devenue caricaturale si, une fois encore, son personnage n’avait fait l’objet d’un traitement tout en finesse, à l’image de la relation tourmentée qui la lie à sa fille Claire. Certes, leur vision du monde diffère en tous points. Pourtant, cela ne les empêche pas d’avoir toutes deux le désir inconscient d’occuper l’espace, voire de se placer en son centre si l’occasion leur en est donné. Par ailleurs,pour parvenir à s’auto-persuader qu’il suffit de vouloir être heureux pour le devenir, Anne ne cesse d’être dans le déni. Qu’un événement vienne potentiellement remettre en cause ses préceptes et on perçoit la lutte interne qui s’engage sur le visage d’une Nicole Garcia formidable dans sa faculté à laisser transparaître le doute. Un doute qu'elle dissipe aussitôt comme muée par une volonté impérieuse de ne pas céder la moindre once de terrain. Pour nous faire part de ce trait fondamental de sa personnalité, il était toutefois dispensable que le scénario nous gratifie d’une sombre histoire de harcèlement mettant en cause son éditeur avec qui elle entretient une liaison… Cependant,cet arc narratif globalement hors sujet, permet de prendre la mesure de la conception peu altruiste qu’Anne se fait de l’épanouissement personnel, à savoir qu’elle ne se préoccupe que modérément du bien-être de son entourage, en l’occurrence, de son mari.
Où sont les hommes ?
Car quid des hommes qui accompagnent ces trois femmes dans leur tourmente ? Chacun traverse cette période mouvementée avec les armes qui sont les leurs à ce moment de leur vie. Le mari d’Anne, formidable de résilience, semble résigné à être aussi peu considéré par sa femme, ce qui ne l’empêche pas de se rêver un avenir à l’écart de l’indifférence que génère sa présence. De son côté, si le compagnon de Claire reste pour elle un soutien indéfectible, qu’il se batte pour conserver la garde de son enfant nous rappelle qu’en dépit de Rose et de sa maladie, le monde continue de tourner, amenant avec lui son lot de soucis et de luttes à mener. Le mari de Marion est peut-être le seul qui aurait mérité un traitement plus approfondi. Certes, il nous apparaît irréprochable dans le combat qu’il mène auprès de sa fille mais Camille de Castelnau ne semble pas avoir jugé utile de nous partager ses états d’âme. Reste Vincent, le frère steward. Celui qui fuit aussi bien les hôpitaux que la vie de couple. Celui qui a choisi d’emprunter la voie des airs pour échapper au tumulte de l’existence mais qui, par amour pour sa nièce, mesurera ce qu’il en coûte d’entrer dans la vie adulte.
Une caméra au service du vrai
Alors non, « Tout va bien » n’est pas franchement une comédie. Certes, certaines situations prêtent à rire, tout simplement parce qu’il vaut mieux en rire. Mais la gravité de son sujet ainsi que la galerie de personnages sur lesquels s’appuie la série pour nous émouvoir nous rappellent rapidement à l’ordre. Toutefois, elle n’en est pas pour autant pesante. Les dialogues, souvent savoureux,ainsi que les tranches de vie qu’elle s’emploie à nous relater témoignent chez Claire, Marion et les autres d’un formidable élan vital. Oui, il est possible pour une mère dont la fille est gravement malade de profiter d’une incartade salvatrice à la Martinique le temps d’un épisode particulièrement juste et émouvant. D’aucuns trouveront cela déplacé voire obscène. Pourtant, il n’a jamais été prouvé que de s’empêcher d’exister ait participé à la rémission d’un cancer. Camille de Castelnau a ainsi voulu filmer la réalité d’individus en prise avec une situation tellement impossible à appréhender qu’elle doit nous dispenser de jugements moraux trop hâtifs à leur encontre. Ce souci de réalisme, on le retrouve dans les couloirs de l’hôpital que l’auteur a malheureusement eu l’occasion de fréquenter. Celle-ci s’est en effet évertuée à retranscrire le plus fidèlement possible le déroulé des différents suivis (para)médicaux dispensés aussi bien à la malade qu’à la famille. De tous ces éléments découle une mise en scène très sobre visant à ne jamais esthétiser les parcours des différents protagonistes de cette histoire. Reste l’épineuse question de la direction prise par le récit au moment d’y apporter une conclusion. Que Rose meure était prendre le risque de verser dans un pathos que la série avait admirablement tenu à distance. Dans le cas contraire, elle se trouvait amputée d’une partie de la crédibilité dont elle s’était fait l’écho. Mais au vue de ce que « Tout va bien » nous avait proposé jusque-là, cela relève presque de l’anecdotique.
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