Liés par le sang.
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le 15 août 2014
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Band of Brothers est très réaliste et ne tombe pas dans le sensationnalisme malsain. La série nous questionne sur notre rapport à la mort, notre capacité à nous engager. Elle fourmille de details et de vie. C'est très enrichissant. C'est indéniablement une série à voir.
Des thèmes archi-classiques et inhérent au sujet de la Guerre mais c'est pour cette raison que je suis depuis toujours bon publique des œuvres qui concernent la seconde guerre mondiale. Mais passée l'adolescence tout ceci ne suffit plus à satisfaire ma curiosité. Car on commence à penser en terme de psychologie politique et on ne comprend plus rien (d'honnête) si on ne nous permet jamais qu'une analyse autocentrée et donc partielle des événements.
D'abord deux aspects assez malsains et même plutôt indécents m'interpellent. Le premier concerne le virilisme dégoulinant de nombreux épisodes avec ces blagues entre soldats qui se charrient pour exprimer indirectement leurs sentiments. Comme si le fait d'être soldat ou homme impliquait une pudeur en interdisant toute effusion. Ce n'est évidemment pas irréaliste mais était-ce totalement représentatif ? Le paroxysme est atteint à ce sujet avec l'épisode 6 "Bastogne". Absolument sublime (vraiment !) du début jusqu'aux cinq dernières minutes où le protagoniste principale qui avait tout perdu (de son amourette en passant par le sens de son engagement) finit par reprendre pied après un sursaut quasi mystique, comme si rien ne s'était passé. Tout ça vous savez, c'est le "sens du devoir". Ce truc qui au finale nous sors de l'humanité pour nous mettre au rang de machine. Et ça, ici, à moins d'avoir affaire à un psychopathe, ce n'est pas réaliste. Il y a une forme de militarisme très dérangeant.
Ensuite, allant plus loin, l'épisode qui conclut la série fait dans le lyrisme et tend à faire l'éloge de la guerre. Pas un mot prononcé pour dire son horreur, pour parler des morts atroces qu'elle cause, du traumatisme pour les hommes qui l'ont faite et pour le monde qui l'a regarde. Non. Au lieu de cela un émouvant discours sur la fraternité entre soldats. Quel est le message ? Est-ce : "Si vous faites la guerre et que vous survivez vous vous serez fait des amis." ? Une amitié si forte qu'à la fin du conflit tout le monde se disperse, se sépare et ne se recroise jamais. Bref romantiser la guerre notamment en lui attachant des valeurs de noblesse quant au devoir pour le devoir, au sens du sacrifice pour le sacrifice, de la fraternité entre soldats etc est selon moi indécent. C'est indécent car on vide tout acte de sens à l'échelle individuelle. Se battre peut avoir un sens mais la guerre reste dans l'absolu une absurdité. Et ceci on le montre en vidant tous ses acteurs de sentiments et de motivations puis malheureusement on gâche tout quand l'ensemble est volontairement esthétisé . Le message est renversé et devient là aussi dérangeant.
Mais le problème majeur de cette série et de tous les films que j'ai pu voir sur la seconde guerre mondiale type "Il faut sauver le soldat Ryan", c'est surtout l'absence des Allemands et des nazis. Ou plutôt leur effacement. Nous accompagnons, en tant que spectateurs, des soldats qui partent à la guerre contre l'ennemi ou plutôt un ennemi. Mais lui on ne le montre jamais. Il est donc totalement déshumanisé, il devient ce monstre caché dans l'obscurite d'une idéologie qu'on sait abominable. Ce choix peut se comprendre pour des raisons "pratiques" (principalement). Mais éluder totalement le point de vu du camps adverse n'est pas sans conséquences. Elle fait glisser le propos de la propagande (au sens neutre et respectable que le terme a à l'origine) vers une propagande moins honnête et surtout contre-productive.
Il y a une ambivalence dûe au fait que sur les champs de bataille chaque homme serait indifférenciable d'un autre sans un uniforme. On pourrait donc me rétorquer que l'invisibilisation des Allemands participe à mettre en valeur l'absurdité et la tragédie que représente la guerre. Comme si l'on montrait un seul camp qui se bat symboliquement contre lui-même. Des soldats contre des soldats. Des hommes qui tuent des hommes. Ce serait le seul sens d'une œuvre comme Band of brothers. Mais alors encore aurait-il fallu purger une telle œuvre de toutes les motivations qui opposent un camps contre l'autre. Ça n'aurait aucun sens (dans le genre en tout cas). D'ailleurs, evacuer toute motivation d'une guerre qui est en plus profondément idéologique est impossible sans tomber dans la fiction pure.
De toute façon cette série n'y prétend pas puisqu'elle introduit chaque épisode par des temoignages de soldats ayant survecu. Ça annonce clairement la couleur...
Le problème se situe donc là : en procédant comme le fait notamment Band of brothers, la serie participe à la sacralisation* (extrême) d'un événement, du nazisme et de ses conséquences (Shoah etc) au point d'imprégner notre imaginaire avec l'idée que tout ça n'était qu'un accident, une erreur de l'Histoire, un bug dans la matrice. En n'effaçant pas tant les nazis et en leur rendant leur humanité la série aurait eu un autre message. Juste et pertinent. Résonnant comme un avertissement pour les générations futures.
Non, ici, on abuse en plus de débilités idéalistes (au sens philosophique) du "sens du devoir" militaire, du "patriotisme" et autres valeurs dans le camps de ceux qui s'opposent aux nazis alors que ce sont ces mêmes valeurs qui sont le nerf de toutes les guerres. Sans exception.
Une guerre impérialiste ou identitaire/culturelle (patrie, religion etc) prétexte et mobilise d'abord sur les ressorts de l'autorité d'une identité et d'ordres auxquels nous nous sommes soumis.
Le message véhiculé est non seulement l'inverse d'un "Soyons vigilant, car nous pouvons être les Allemands nazis de demain" mais prépare l'avenir à voir les mêmes catastrophes se reproduire.
Ne nous en déplaise, les Nazis sont nés Homme.
PS : Il y a le caractère réaliste de la série et le coté "témoignage" d'une époque. Mais comme il ne s'agit pas d'un documentaire la série accapare quand même certains tavers à la fois du médium et de l'époque où elle a été créée.
EDIT : Pour une analyse globale et plus poussée de la tradition dans laquelle s'inscrit malheureusement cette série : Lire cet article.
EDIT 2 : Le travail d'historien n'est jamais totalement impartial. Il prend inévitablement une orientation. Ceci est encore plus vrai et accentué dans la réalisation d'un docu-fiction quand on choisit ce que l'on montre ou ne montre pas. Le message que l'on transmet est donc bien plus volontaire et assumé. Or cette série penche uniquement du côté du virilisme, du militarisme et d'un patriotisme qui va jusqu'à occulter les nazis. Le réalisme est là mais largement biaisé par un manque de représentativité globale.
Créée
le 28 juin 2019
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