Ce n’est pas du mouchoir que viennent les larmes
Allez, un peu de sociologie US ! Les américains se sont créé deux sports terriblement anglais, le foot américain (succédané du rugby) et le baseball (un cricket simplifié). Deux sports similaires à leurs albionesques ainés, mais surtout, ô grand surtout, absolument pas anglais. Tellement idiomatiques qu’ils sont inexportables, tandis que le football a conquis la planète.
Ces deux sports ne représentent pas la même idée de l’Amérique : le baseball, c’est un regard nostalgique et passéiste. Ses grands héros sont morts : Joe di Maggio, Babe Ruth. C’est aussi un sport plus intellectuel, cote est, avec ses yankees new yorkais et ses red sox bostoniens, si chers à Stephen King.
Le foot américain, c’est une certaine idée du futur. Un sport brutal, puissant, viril : le sport du heartland, du sud, du Texas. Bien plus qu’un sport. L’idée que l’Amérique se fait d’elle-même. Une idée presque fasciste, d’ailleurs. Un sport martial, ressemblant à une forme de service militaire, et qui produirait de futurs guerriers. Et en face, des cheerleaders. De jolies jeunes filles sportives et élancées. Le lieu commun, maintes fois illustré – ou critiqué par le cinéma US – le capitaine de l’équipe épouse la cheftaine des cheerleaders. Un rêve hitlérien en somme, où le meilleur de l’Amérique s’unit pour le meilleur de l’Amérique.
C’est tout le propos de Friday Night Lights. Un cadeau de l’ami Phiphi (qu’on a connu moins branché sport). Un cadeau empoisonné, parce qu’évidemment, maintenant on ne dort plus.
Qu’est-ce que Friday Night Lights ? Un petit miracle, en vérité. En 45 minutes d’épisode, à la fois une ode à ce sport majestueux, à l’Amérique, à ses valeurs (honnêteté/courage/sens du collectif) et une dénonciation sans fard de ces excès. Hooliganisme, passion irraisonné pour ce sport, violence, dopage, racisme.
Le pitch est à l’image d’un très grand film admiré ici : Le Plus Beau Des Combats. La même histoire transposée par Peter Berg dans la petite cité texane (fictive) de Dillon. Les Panthers, l’équipe high school se lance dans une nouvelle saison avec pour objectif de gagner le championnat du Texas. Ce qui devrait être facile, avec leur quarterback star Jason Street, qui va sûrement passer pro l’an prochain. A piece of cake pour le nouvel entraîneur Eric Taylor (Kyle Chandler), qui débarque à Dillon avec femme (la sublime Connie Britton de Spin City, maintenant cougar sublime) et fille (Aimee Teegarden). Mais lors du premier match, Jason est gravement blessé lors d’un choc. Va-t-il finir paralysé ? Et comment va faire le coach, déjà sous pression, pour gagner le championnat ?
Le coup de génie de Friday Night Lights, c’est celui-là. Poser sa caméra sur un championnat minable aux enjeux minuscules (gagner le championnat de l’état l’équivalent d’une quatrième ou cinquième division de foot en France) et montrer à quel point c’est un enjeu terrible pour tous les personnages. Pour le coach, qui refuse de pactiser avec le diable (agent véreux, dopage… ), pour une certaine éthique du sport. Pour la femme du coach, obligée de subir obligation sur obligation liées au métier de son mari… Ou la fille du coach, 15 ans, qui se fait menacer par un supporter parce que d’un père a perdu un match. Ou pour le jeune et maladroit nouveau quarterback, Matt Saracen, chargé de remplacer la star adulée, tout en gérant d’autres problèmes comme un père en Irak et une grand-mère au bord de l’Alzheimer.
C’est ça, Friday Night Lights, un mélange de Frères Scott pour la chronique familiale, et L’Enfer du Dimanche pour la critique acerbe du sport préféré des américains. Car rien n’est esquivé : corruption, drogue, racisme, népotisme, conflits d’ego, impunité des joueurs tant qu’ils gagnent, et mise au ban s’ils perdent.
Friday Night Lights emprunte la technique de camouflage de A la Maison Blanche : derrière cette éloge du mode de vie US qui a permis à NBC de faire durer la série pendant 5 saisons, se cache une critique en règle de la face noire de l’Amérique, ses corsets moraux et religieux, sa corruption rampante, et la décadence qui guette.
Friday Night Lights est tout simplement magnifique.
[Edit après la fin de la série]
« La violence qui se déverse fans le football ne vient pas du football, de la même façon que ce n’est pas du mouchoir que viennent les larmes. »
Eduardo Galleano ne parlait pas de football américain dans son très beau livre, « Football, ombres et lumières ». L’auteur des Veines ouvertes de l’Amérique latine serait sûrement choqué de se retrouver ici, cité comme témoin à décharge d’une série glorifiant l’Amérique et SON football. Pourtant il nous semble que Peter Berg ne fait qu’appliquer que le programme galleanien : le foot, US ou pas, n’est pas l’opium du peuple, mais plutôt l’inversion de la phrase de Marx, la religion laïque du peuple.
Des prolos, il y en a partout. Et que leur reste-t-il, une fois qu’on leur a tout enlevé, sinon la dignité ? et le football ? Montrer qu’on vaut mieux que votre statut social, votre couleur de peau, ce que pense vos parents, le quartier de Dillon – West ou East – où vous habitez ? Ce programme, Peter Berg n’a eu de cesse de l’appliquer dans les 76 épisodes de Friday Night Lights.
Mieux, il a camouflé son questionnement derrière une ode sincère à l’Amérique, à ses valeurs, à son mode de vie. Si l’on s’arrête à cette écume, on ne comprendra rien à Friday Night Lights. Oui, l’auteur de Very Bad Things, du Royaume, d’Hancock, de Battleship, Du Sang et des Larmes aime l’Amérique, la religion, la famille, le Texas.
Mais, il les aime comme Aaron Sorkin aime la république (A La Maison Blanche), le capitalisme (The Social Network), le baseball (Le Stratège), les journalistes (The Newsroom) et l’armée américaine (Des Hommes d’Honneur).
Aimer n’empêche pas de questionner les raisons de l’amour. Aimer n’empêche pas de chercher à comprendre ce que l’on n’aime pas.
Sous le couvert d’un drama familial, (mais à des années lumière de la médiocrité du genre), Friday Night Lights aura tout abordé, tout disséqué, tout questionné. Le racisme dans le football. Le dopage. Le hooliganisme. Les sponsors. La compétition à tout prix. Ou la gratuité du sport pour le sport. L’éducation à deux vitesses. La guerre en Irak. La couple, la famille, les enfants. Qu’est-ce que c’est que d’être jeune. Que d’être adolescent. Que d’être vieux. Être le père de sa fille. Être la fille de son père. Être riche. Être pauvre. Être noir. Être blanc. Être un homme. Être une femme. Etre texan. N’être d’aucun pays. Aimer sa terre plus que tout. Etre capable de faire sa vie n’importe où.
C’est là le cœur secret de le cathédrale de Dillon : nous faire aimer tous ces personnages, a priori incompatibles, au sein du même amour : le mari macho et son épouse féministe, le running back noir et son antagonistes texan blanc, l’artiste et le sportif, la grand-mère et l’ado, la strip-teaseuse et la born again christian, le prolo et le concessionnaire auto, Dillon et Boston…
Tout n’est certes pas parfait dans Friday Night Lights. Il y a des longueurs, des répétitions, des incohérences. Certains arcs narratifs sont sous-exploitées. D’autres le sont trop. Ce qui empêche FNL d’être une série premium, sans faute, avec la perfection implacable d’un Mad Men ou d’un Soprano.
Mais à vrai dire, il y avait longtemps qu’on n’avait pas autant pleuré devant son téléviseur, qu’on avait pas été aussi ému devant une fiction, et aussi déprimé à l’idée de quitter une telle galerie de personnages.
Il nous reste l’héritage de Friday Night Lights, la morale de l’histoire, une source d’inspiration. La vie est un éternel recommencement. Ainsi, les idées claires, et le cœur plein, nous ne perdrons jamais.
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