Le dyptique The Raid a laissé une marque indélébile dans le paysage du cinéma d’action et imposé son réalisateur, le Gallois Gareth Evans, comme un maître incontesté du genre. Plutôt que de céder aux sirènes hollywoodiennes (son nom a été associé à Deathstroke et à Equalizer 2) ou à la tentation de surexploiter sa franchise (il n’y aura peut-être jamais de The Raid 3), ce dernier a choisi de retourner à ses premières amours avec le film d’horreur Apostle sorti sur Netflix et de s’attaquer à un projet de série qu’il mûrissait depuis plusieurs années.
C’est ainsi que naquit Gangs of London, adaptation lointaine et très très énervée d’un obscur jeu-vidéo sorti sur PSP.
A ce titre, on aurait pu croire que le style Evans s’adapterait difficilement au format télévisuel mais il n’en est rien : Gangs of London est une véritable déflagration…une claque visuelle et un rêve éveillé pour tout amateur de polar hard-boiled qui se respecte !
Point de réalisme ici, on est en présence d’une saga mafieuse épique et shakespearienne avec ses personnages archétypaux de prime abord et son lot de situations éculées (famille mafieuse dysfonctionnelle, règlements de compte et trahisons à gogo).
Pourtant, l’ensemble se distingue radicalement des autres productions du genre : d’abord sur le plan narratif avec la peinture audacieuse d’une Londres fantasmée aux mains de factions mafieuses qui se distinguent par leur origine ethnique et sociale. Dans Gangs of London, des miliciens Kurdes côtoient des gangsters Pakistanais, Albanais, Irlandais, Nigérians, Chinois, Gitans ou encore de redoutables mercenaires Danois (!) et on louera le soin apporté au traitement de chaque groupe qui s’exprime dans sa langue d’origine. Cette vision d’une criminalité mondialisée est passionnante et donne l’impression jouissive d’être devant une adaptation non-officielle de GTA peuplée de personnages charismatiques.
Ensuite, c’est sur le plan formel que Gangs of London explose littéralement la concurrence : c’est simple, les cinq premiers épisodes contiennent quelques-uns des morceaux de bravoure les plus impressionnants qu’on ait vu ces dernières années aussi bien sur le grand que le petit écran ! Les longs combats à mains nues tout droits sortis de The Raid et les fusillades homériques ponctuent l’intrigue et en mettent plein la vue grâce à un savoir-faire technique peu commun, surtout dans les épisodes réalisés par Evans.
Plan séquences spectaculaires, utilisation brillante du drone, etc. La mise en scène touche parfois au génie mais sert toujours le récit comme lors de ce dîner qui se transforme en bain de sang et où la caméra passe d’un protagoniste à l’autre avant de souligner l’implosion d’une famille.
De plus, Evans et ses co-réalisateurs (l’Anglais Corin Hardy et notre Xavier Gens national qui officie sur les épisodes 6,7 et 8) ont tous commencé dans le cinéma d’horreur et cela se ressent particulièrement dans la gestion de la tension, avec quelques hommages aux saints-patrons du genre (Shining, Straw Dogs…) et dans la générosité de la série en matière de gore qui tâche avec moults démembrements, têtes explosées et quelques scènes qui flirtent avec le torture-porn tendance Saw.
Véritable western dans la campagne Anglaise, l’épisode 5 constitue le point culminant de la série en matière de spectacle et un tournant dans l’intrigue qui révèle d’ailleurs les subtilités d’écriture du show dans le sens où il est intégralement consacré à des personnages secondaires.
Ainsi, la suite de la série est beaucoup plus avare en matière d’action (on retiendra quand même un climax particulièrement sanglant dans une chambre d’hôtel) ce qui est un peu frustrant mais elle a le mérite d’étoffer habilement certains protagonistes en déconstruisant avec leurs archétypes.
En effet, si l’évolution de Sean Wallace (Joe Cole impeccable) pourra paraître convenue, celles de sa mère (Michelle Fairley terrifiante), de la famille Dumani ou encore le parcours d’Elliott Finch (Sope Dirisu, LA révélation du show), apportent leur lot de surprises et compensent des enjeux moins intéressants (toute la sous-intrigue financière).
Sans atteindre des sommets de psychologie (Evans est définitivement meilleur metteur en scène que scénariste malgré une écriture efficace à défaut d’être profonde), la série se permet également quelques réflexions intéressantes sur la violence reçue en héritage et sur la barbarie tapie en chacun de nous (les plus violents ne sont pas forcément ceux qu’on croit).
A l’arrivée, Evans et ses compères délivrent un shot d’adrénaline d’une puissance cinétique rarement vue à la télévision (surtout dans la première partie) : une œuvre somme qui pue l’amour pour un cinéma de genre et qui joue avec ses codes tout en parvenant à transcender un scénario assez simpliste (tout n’est finalement qu’une histoire de pouvoir). Rien que pour ses scènes d’actions et son casting international, Gangs of London vaut donc le coup d’œil même si l’ultra-violence de la série pourra rebuter les âmes sensibles.
Le show se terminant sur un twist, on est curieux de voir ce que nous réserve la saison 2 et si les cinéastes derrière la caméra parviendront à proposer un spectacle aussi impressionnant.