Les USA vitriolés à la vision infrarouge
Connaissez-vous Ed Burns et David Simon ? Non ? Vous en êtes certain ? Il s’agit des papas de la mythique série The Wire et de la plus récente Treme ( pour David Simon ) qui s‘est achevée en décembre dernier. Ils sont aussi les auteurs de l’adaptation de Generation Kill, le roman d’Evan Wright, reporter embarqué au coeur du 1er bataillon de reconnaissance du Corps des Marines des États-Unis en 2003 lors de la Guerre d’Irak.
C’est cette dernière mini-série qui nous intéresse ici. Composée de 7 épisodes d’une heure chacun, elle se veut à l’image des Marines qui y sont dépeints : une force d’attaque rapide, brutale, polyvalente, et surtout, complexe.
7 épisodes, 7 chapitres, 7 charnières mortelles et fascinantes qui s’emboitent et nous racontent l’histoire d’hommes et de leurs comportements au sein d’une activité aussi vieille que l’humanité : la guerre.
Tout commence au Koweit : les soldats patientent, l’assaut est imminent mais se fait attendre. L’ennui rode, la tension augmente, les conflits internes se multiplient, les railleries s’échangent comme des rafales de M16, la camaraderie masculine est au rendez-vous, les blagues salaces et racistes volent de toutes parts, tous identiques dans leurs tenues militaires, tous différents dans l’attente. C’est alors que débarque Evan « Scribe » Wright, un reporter du célèbre magazine Rolling Stone chargé de couvrir la guerre du plus près possible.
Rapidement, la série nous montre qui elle est : pas question d’enjoliver le conflit, ni de redorer l’image du gouvernement américain. Ici, on montre tout ce qui ne va pas : le manque de logistique (pas assez de piles pour les lunettes à infrarouge, pas de graisse pour les mitrailleuses, peu de pièces de rechange pour les moteurs des véhicules ), la quasi absence de stratégies bien ficelées, l’omniprésence de l’improvisation, le combat de coq entre les officiers qui veulent briller au détriment de la sécurité auprès du Godfather ( ce supérieur mystérieux qui semble atteint d’un pouvoir quasi-divin et qui n’hésite jamais à envoyer ses hommes dans les pires situations , et ce, dans les pires conditions préparatoires ) , les bavures, les incompétences, le doute qui règne dans l’esprit des soldats, la peur, la soif de sang, les ordres contradictoires, les incohérences humaines et militaires,…
Les prises de vues sont nerveuses, dynamiques, tremblantes, les images s’enchaînent durant les scènes d’actions, la caméra semble toujours trouver un recoin inattendu ou se placer, et contribue à augmenter l’impression de doute qui règne chez certains personnages : est-ce une arme qui brille là-bas au loin ? Est-ce une cible à abattre derrière cette pierre à 200M ? Lorsqu’il fait noir, on ne voit rien. Lorsqu’une cible est abattue au sniper, on en voit jamais plus que ce que le viseur de l’arme nous a montré. L’immersion est totale, le spectateur ne regarde pas, il vit, et subit l’action.
L’aspect documentaire est toujours là, l’intelligence narrative séduit et captive toujours autant que dans The Wire, les personnages sont attachants, même lorsque on les déteste, l’humour fait mouche, cynique, tournant en dérision le jeu de la guerre auquel s’adonne les Marines . Chaque scène jongle avec l’avis et la vision du spectateur sur ce qu’il voit : tantôt on lui fait croire que la mission des Marines est honorable et justifiée, tantôt on lui fait réaliser que la plupart ne sont que des malpropres qui étalent leurs excréments dans les jardins des irakiens, pour ensuite lui faire détester cet abruti qui tente de poignarder un otage ou cet autre qui ne pense qu’à abattre des chiens errants. Chaque personnage exprime une émotion, une façon de voir la guerre, et influence tant la perception du spectateur que celle des autres personnages, ce qui aboutit à des relations diversifiées et changeantes ainsi qu’à une interprétation complexe, mais très juste de la guerre.
La plus belle des unions se manifeste au travers des chants. Ici, pas de bande-son, uniquement des chansons bien américaines chantées à l’unisson par les Marines, qui, durant quelques couplets, oublient leurs querelles et leurs soucis. Et le registre est large : on peut les entendre chanter Soft Cell, Avril Lavigne, Willie Nelson ou encore A Tribe Called Quest, le tout, à gorges déployées, traçant leur chemin vers la suite de leurs péripéties.
Generation Kill, c’est un exercice de style unique, une vision incisive et sans concession de l’envahissement de l’Irak par les USA, une série de qualité qui a la particularité de faire passer un très bon moment, divertissant, tout en soulevant des questions et en mettant au jour tant les défauts que les qualités de l’armée américaine et de ceux qui la dirigent.
Un immanquable télévisuel des années 2000.