Albert Einstein. Impossible de ne pas connaître ce nom aujourd’hui à moins de vivre dans les méandres du temps lui-même. Physicien de renom, homme intrigant, on l’associe à un « génie », d’où l’idée de débuter la série en parlant de son existence tumultueuse. Mais, comme disait Charlie Chaplin : « Votre mérite est grand, Albert Einstein. Le monde entier vous admire alors que personne ne vous comprend ! ». Cette citation résume bien l’ambition de cette saison : nous dévoiler toutes les facettes de sa personnalité, décrire le personnage dans toute sa complexité.
Autant avouer que le pari était difficile. D’une part, un biopic, sous un format cinématographique, se heurte souvent à un académisme primaire et à du faux larmoiement en se noyant dans des clichés éculés, et même des films sur des personnalités que j’affectionne n’échappent pas au problème. D’autre part, adopter un format série de dix épisodes de cinquante minutes chacun ne laisse que quelques heures de plus pour parler de 76 années bien remplies.


Des choix scénaristiques et artistiques ont dû être effectuées. Des décisions tout à fait logiques, et en accord avec l’idée qu’on se faisait du personnage : bien que la série adopte majoritairement une narration linéaire, des allers et retours entre plusieurs temporalités, entre flash-backs et flash-forwards, s’adjoignent aux épreuves que traversaient le célèbre allemand. Elles viennent apporter des nuances tout à fait bienvenues dans ce tableau sibyllin.


Grosso modo, la série se divise en deux parties : la première occupe les trois premiers quarts et relate la jeunesse d’Einstein, du début de ses études jusqu’à la concrétisation lors de la première guerre mondiale, lorsqu’il aboutissait à sa fameuse théorie de la relativité générale. Le dernier quart traite du vieux « Einstein », subissant les répercussions positives comme négatives de ses travaux, de ses choix et de ses opinions. Privilégier sa jeunesse s’avère aussi audacieux : outre le fait d’assister à ses premiers échecs et à un aspect plus intimiste de sa vie, la découverte est d’autant plus accentuée par l’image qu’on se faisait de lui : le vieux savant fou à la coiffure improbable.


Le résultat est à la hauteur des attentes ! Moi qui suis fasciné par Albert Einstein, découvertes comme corroborations ont alimenté mon intérêt à observer son parcours. Que cette série taise définitivement les rumeurs sur une prétendue imposture : il a mérité sa place. Héritier d’une position familiale pas toujours favorable, rejeté par les uns et trop forcés par les autres, engoncés dans des relations qu’il ne maîtrisait pas, ce brave Albert en a subi des vertes et des pas mûres avant d’être enfin remarqué. Dès le début se développe un sentiment d’empathie à son égard.


Là réside la principale qualité de la série : jeunesse comme vieillesse s’entremêlent mais se complètent dans une parfaite cohérence (même si la première guerre mondiale lui a fait pousser ses rides trop vite). On nous montre le bon d’Einstein : il était généreux, il était ambitieux, il refusait de se soumettre à l’autorité et à aux règles strictes de l’époque, et il était inventif, en avance sur son temps. Mais il était aussi un piètre mari, un père médiocre voire irresponsable, il se comportait parfois avec trop de prétention, voire du mépris pour certaines personnes, il n’assumait pas toujours ses erreurs. Cela efface-t-il sa réputation, ce qu’on retient de lui soixante-deux ans après sa mort ? Bien sûr que non, au contraire même. Parce qu’exposer ses qualités comme ses défauts renforce la puissance de la série, la hisse parmi les meilleurs biopics en évitant de commettre des erreurs presque inhérentes au genre.


Les deux acteurs livrent un travail épatant pour renforcer la complexité de cet homme. Dans les moments privés ou publics, face à ses amours et à ses haines, contre ses doutes et ses peurs, le scientifique affrontait des tourments terriblement humains. Leur interprétation est toujours juste, jamais exagérée, leur timbre de voix correspond au personnage et leur gestuelle est en parfaite adéquation. L’illusion aurait été parfaite sans cette ellipse nécessaire que j’avais déjà signalée.
Trois facettes d’Einstein sont donc développées : Einstein et la science, Einstein et la famille, Einstein et la société. S’il excellait dans un domaine, c’était moins le cas des deux autres. À l’instar de sa célèbre théorie, tout gravite autour de lui, mais l’occasion d’appréhender des personnalités de l’époque est aussi exploitée. Ses deux épouses illustrent le mieux les difficultés que rencontrait le physicien. Mileva Maric, étudiante slave déterminée, féministe convaincue mais froide, ne parvient pas à la hauteur de ses ambitions et vit pourtant un amour déchaîné avec son collaborateur, son partenaire : tantôt ils se sont aimés, tantôt ils se sont détestés, mais tout tend à montrer qu’Einstein aurait peu accompli sans elle. Elsa Einstein, sa propre cousine, plus posée mais non moins passionnée.


Amateur d’histoire des sciences, l’apparition de personnages secondaires historiques m’a ravi. Évidemment, sur une série de dix épisodes centrée sur un homme en particulier, tous ne pouvaient pas apparaître, et encore moins avec un traitement égal. Deux furent choisis pour figurer parmi les personnages principaux : si celui de Max Planck, éminent physicien à partir duquel la physique connaîtra sa révolution, est tout à judicieux (malgré sa mort non évoquée alors qu’il apparaît pendant la majorité de la série), celle de Philipp Lénard, quoique bien interprétée, m’a laissé plus dubitatif. Fallait-il nécessairement ajouter un « méchant » à la série, surtout si sa mort aussi est éclipsée ? Adhérent du parti nazi, antisémite affirmé, opposant contemporain d’Einstein, son rôle manque cruellement de subtilité, à jalouser sans arrêt, alors même que le protagoniste reconnait son génie. D’autres physiciens de l’époque avaient aussi adhéré aux idéaux nazis, comme Johannes Stark, mais il a été écarté (peut-être moins connu ?)


Parmi les rôles plus secondaires, citons Pierre et Marie Curie, tous deux interprétés à merveille, et la comparaison entre leur complémentarité avec celle entre Albert et Mileva était très intelligente. Dommage que Niels Bohr se montre trop tardivement, la rivalité entre lui et Einstein aurait pu être exploitée davantage. De même pour Heisenberg dont le traitement n’est pas en sa faveur, décrit comme un simple collaborateur de l’idéologie nazie alors que le personnage était beaucoup plus nuancé que cela. Je déplore également l’absence totale de Schrödinger, lui dont l’apport à la Mécanique Quantique dépassait celui de Bohr et égalait au moins celui de Heinseberg. Même Hilbert se voit octroyer un petit rôle ! On ne peut pas tout avoir.


Au-delà d’un fond naviguant entre recherches passionnées, épreuves douloureuses, amours, ruptures, cris, pleurs et deuils, la forme se targue d’un esthétisme qui sied à l’ambiance. Les expériences de pensée, en particulier, rendent la série plus cohérente malgré leur « irréalisme visuelle ». Les musiques sont superbement composés et appuient la mise en scène sans excès ni minimalisme, assez rare dans un biopic pour le signaler.


On traverse soixante années bouleversantes, où les découvertes scientifiques et les progrès technologiques comme sociaux côtoient les massacres et les guerres. Par ailleurs, même si la série tombe parfois dans quelques clichés, facilités scénaristiques, et coïncidence à la Docteur House : « J’ai une révélation sensationnelle à un moment banal », elle traite de certains thèmes avec intelligence à travers ses épisodes. La situation politique de l’époque, partagée entre fascisme, communisme et capitalisme ; le refus des scientifiques de voir la réalité avancer par-delà leurs idées reçues ; le féminisme porté autant par des hommes que par des femmes ; la science utilisée à des fins destructives : tous ces sujets sont encore d’actualité et ça fait du bien de les voir.


Est-ce un portrait peu flatteur d’Einstein ? Glorifie-t-elle le personnage ? Là n’était pas le but de la série. Elle désirait nuancer le personnage, le voir traverser épreuves comme époque, montrer qu’être un scientifique de renom ne revient pas à être à un bon père. Une série complète qui rend honneur à ce génie dont la contribution au monde influencera l’évolution de l’humanité pendant encore des années.

Saidor
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le 5 août 2017

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