J’ai commencé à regarder Gilmore Girls sans en attendre grand chose d’autre qu’une série légère et je dois dire qu'elle a relativement bien rempli le contrat. J'ai aimé qu'il y ait une certaine lenteur dans l’action qui suit vraiment le quotidien des personnages sans y ajouter trop de piment. Le boulot, les études, les amis, la famille, les événements de la ville, le café, les histoires de love. Pas grand chose de plus que ce qu’on trouve dans nos vies à nous, sauf que c’est plus sympa, plus propret, les dialogues sont mieux scénarisés et les gens plus souvent bienveillants. Mais rien de vraiment grandiose et le fait que le spectateur ne s’emmerde pas trop souvent dit quand même quelque chose de la qualité des dialogues et de la finesse des personnages.
Parce que ce sont surtout les personnages qui font la richesse de Gilmore Girls. Une fois qu’on a dépassé le caractère folklorique des habitants d’une petite ville sans histoire du côté de Stars Hollow et la caricature d’une bourgeoisie dominante du côté de Chilton, de Yale et des parents de Lorelai, il y a quand même un peu d’épaisseur chez les personnages même si les traits sont parfois forcés. On voit une Lane qui sort peu à peu de la révolte et renonce progressivement à ses rêves, se rapprochant inéluctablement de la rigidité maternante de sa mère (ce qui pourrait passer pour tragique mais qui est davantage présenté comme un « c’est la vie, c’est bien aussi »). Le couple Sookie/Jackson qui évolue d’une relation de couple simple, pleine d’amour et sans rebondissements à une forme de conflit larvé sur des questions de maternité et de paternité tout en montrant ce qu’il peut y avoir d’ambivalent dans une relation amoureuse. Il y a également Emily Gilmore qui, masquée sous ses apparats de dame de fer, semble hantée par la question de savoir si elle a manqué sa vie. De la même manière, Lorelai et Rory ne sont pas si polissées qu’elles en ont l’air. Pour une Lorelai guidée par ses convictions, parfois égoïste, voire un peu dure, abîmée par sa culpabilité d’avoir abandonné ses parents, solide comme un chêne sous son apparente légèreté, on a une Rory que j’ai trouvée de plus en plus imbuvable au fil des saisons. D’une petite fille parfaite, elle évolue vers une jeune femme manquant d’humilité, n’ayant rien déconstruit de ses privilèges, qui prend plus qu’elle ne donne sans jamais dire merci (que ce soit à ses grands-parents, à ses petits amis, à Paris, aux habitants de Stars Hollow) et qui tombe toujours des nues quand un reproche lui est adressé. Rien de tout cela n’est dit de manière franche, mais malgré l’apparente légèreté de l’intrigue, malgré l’humour des dialogues, les problématiques et les parts d’ombre des personnages se dessinent au fil de la série sans trop de manichéisme ni de raccourcis.
Il faut aussi noter certains aspects féministes de la série. Les femmes tiennent les rênes, que ce soit amoureusement ou professionnellement. Et surtout, elles ont le choix. Alors que Rory
refuse d'épouser Logan pour se concentrer sur sa carrière
, Sookie, génie culinaire, préfère rester vivre une vie tranquille à Stars Hollow que de suivre les feux de l’ambition. Pour une fois, et c’est suffisamment rare pour le souligner, les femmes sont les personnages principales, elles font rire, elles suivent leurs désirs et évaluent chaque compromis comme un danger potentiel de se perdre, elles font la cour aux hommes, elles choisissent leurs partenaires, tout comme leur sexualité (ça reste malgré tout relativement prude, n’exagérons rien, it is les USA). La série fait aussi un portrait de ces femmes de la génération d’Emily qui passent leurs journées à organiser des galas de charité en buvant du thé, dénonçant ce qu’un certain traditionalisme peut imposer d’absurde aux femmes.
Du côté de la critique sociale, le grand écart fait par Lorelai entre son milieu d’origine et Stars Hollow, est également assez bien mené. Elle oscille entre ces deux mondes : son envie d’avoir des relations harmonieuses avec sa famille est mise à mal par son refus d’accepter les règles du jeu. Les deux hommes entre lesquels elle n’arrive pas à choisir sont également issus de ces deux milieux qui constituent sans doute deux parts de son identité. On voit son désarroi lorsque sa fille redevient une membre de cette classe privilégiée, on voit son malaise vis à vis de la relation de Rory et Logan, enfant gâté d'un magnat de la presse. Et la violence des rapports entre ces deux monde est palpable, notamment au moment où Rory se détourne une nouvelle fois de Dean : on y voit le caractère quasi-inéluctable de son retour aux racines bourgeoises de sa famille. C’est ce que j’ai d’ailleurs trouvé le plus pénible dans les dernières saisons.
En gros, cette série aurait vraiment pu être une énième cruchasserie américaine où les actrices principales incarnent toutes les normes de la société, où on ne croise que des blancs, avec une intrigue mièvre mère/fille/meilleurescop’s, et des rebondissements dont les ficelles se renouvellent assez peu. Mais elle relève le niveau par plein de petits riens, comme l’éclectisme de ses références culturelles, la loufoquerie de certains personnages (Michel et ses chiens, Kirk, le Dwight Schrute de cette série ou Paris et sa belle intensité), l’organisation vivement démocratique de la ville ou encore l'accent mis sur le désir de transmission de la plupart des personnages (Lorelai en premier lieu, ses parents, Mrs Kim, Luke). Des petits riens qui font que - même si bon, y'avait peut-être mieux à faire - j'arrive à peu près à me déculpabiliser d'y avoir passé 102,6h.