Gilmore Girls était, est, ma série préférée. Gilmore Girls était aussi ma philosophie, mon style de vie, ma religion. En tout cas, ce que je croyais être Gilmore Girls, jusqu'à ce revival qui vient tout remettre en question. Lundi 21 Novembre, la certitude d'avoir bientôt ces épisodes à regarder était le point lumineux de ma semaine, la seule perspective qui m'enthousiasmait. Vendredi 25 Novembre : les spoilers commencent à pointer et, en les lisant, mon attitude mue du tout au tout. L'enthousiasme devient angoisse. Et je sais ce qu'il va se passer, je sais ce que ce revival deviendra à mes yeux aussitôt regardé : un message prophétique que je n'ai aucune envie d'entendre.
Je suis Rory il y a 10 ans. J'ai 22 ans, mes études se terminent cette année et l'avenir n'est qu'un immense amas de flou. Je gère très mal l'incertitude et chaque jour, au bord des larmes, je vois les mèches roses de Rory s'imprimer sur ma rétine et j'entends ses paroles résonner dans ma tête.
Everything is just… ending. I just feel like everything is gonna be over. […] And it's just like I'm standing on this cliff, looking out into this abyss. And in my whole life, there's never been an abyss. I've always know exactly what is in front of me. And I've always known exactly where I'm going. And now… I don't know what's out there. (Rory Gilmore in GG 7x07)
Croyez-vous qu'à un pareil moment de ma vie j'ai besoin que l'on vienne me dire : "Ne t'inquiète pas, dans 10 ans tu sera tout autant perdue". Croyez-vous que Rory aurait-aimé recevoir ce message ? Croyez-vous qu'elle aurait pu avancer si elle avait su ce à quoi sa vie ressemblerait à 32 ans ? cette impression générale de flou, d'incertitude, de manque de stabilité. Et bien sûr ce n'est probablement pas la seule œuvre de fiction à m'envoyer un pareil message. Mais Gilmore Girls était autre chose, Gilmore Girls était un message positif !
Rory’s path was she was the girl that planned everything and life has shown her she can’t plan anything because it doesn’t matter what you plan. (Amy Sherman-Palladino on Rory's ending)
Est-ce aussi le chemin que je vais emprunter ? Fort probablement. Trop malheureusement. Je n'ai plus de plan, je ne réclame même pas de savoir exactement où j'arriverais dans 10 ans. Mais je veux au moins pouvoir m'accrocher à la certitude que ma vie sera un minimum stable.
We don’t like tying things up with bows because life isn’t like that, so we didn’t want an ending where it was like, And they all lived happily ever after. Proceed to vomit now… Your life should not have a bow on it at 32. Your life should be a wide-open field at 32 years old. (Amy Sherman-Palladino, on Rory’s arc and ending)
Devrait ? Devrait ? La stabilité est-elle fermeture ? La vie n'a-t-elle plus rien à apporter dès lors qu'elle est stabilisée ? N'a-t-elle plus aucun intérêt après la fin heureuse ? Bien sûr l'incertitude est synonyme de possibilités, et peut être une perspective enthousiasmante, un message positif. Mais si on veut de la stabilité ? Je veux de la stabilité. Rory voulait de la stabilité. Et Gilmore Girls me montrait tout l'intérêt que l'on pouvait trouver à la vie chaque jour, dans le quotidien, pour peu qu'on ait une bonne tendance à la répartie, la capacité à trouver de l'humour dans les situations, et un débit verbal suffisamment élevée. Pas besoin de grands évènements bouleversants, de changements majeurs, quand on peut réfléchir, échanger, grandir, continuer de changer,…
Vendredi dernier en cours, on a eu droit à un exposé sur la vision du travail des différentes générations. Nous, Millenials, ne voudrions plus de stabilité. Et moi, écoutant cet exposé, pensant à Rory et sentant les larmes me monter aux yeux, ne pouvait pas m'empêcher de me demander : N'en voulons-nous vraiment pas ? Ou devons-nous nous dire que nous n'en voulons pas, pour faire face au fait que de toute façon nous n'aurons pas la possibilité d'en avoir ? Je veux de la stabilité : pas celle qui enferme, mais celle qui rassure oui. Je veux pouvoir me projeter ; sans vision je me sens perdue et je ne me sens pas moi. Je veux des rêves, des objectifs, pour continuer d'avancer. Je veux des projets, et sentir qu'ils sont possibles. Je veux pouvoir changer, mais de ma propre initiative et pas parce que je sens que je n'ai pas le choix, ou parce que que changer tout le temps est la norme. Pourquoi Rory est-elle perdue ? Est-elle sensée représenter sa génération ? Mais Rory a toujours été bien plus qu'une représentante de sa génération : elle était différente, elle était plus comme moi que n'importe qui. L'avenir était ouvert, tout semblait possible pour elle.
Qu'est-elle devenue aujourd'hui ? Perdue dans les méandres de la réalité, elle abandonne et part se réfugier dans l'écriture d'un livre. Ecrire m'a toujours paru comme la solution de facilité : ce que je pourrais toujours faire si je veux échapper au monde réel et me blottir au chaud dans mon propre univers. Ce que je ferais le jour où je me résignerais à l'idée que je suis incapable de me faire une place dans ce monde réel qui d'ailleurs ne m'attire pas plus que ça. La solution de repli. Ca aurait été différent si ça avait toujours été son rêve, mais ce n'était pas le cas. Oui, Rory a abandonné. Mitchum avait raison.
It’s a tough business. Lot of stress. […] And I have to tell you. You don’t got it. […] I just don’t really think that you have the drive to put yourself out there, to be honest. [...] I mean, just now in this meeting, I encouraged everyone to say whatever they wanted. You said nothing. […] See, the thing is, in the real world, it’s not always good enough to do just what’s asked of you. […] I’m not saying you’re not competent. You’re smart. You’re terrific at anticipating needs. Actually, you’d make a great assistant. (Mitchum Huntzberger in GG 5x21)
J'ai toujours sû que Mitchum avait raison : ses propos n'étaient que trop vrai quand ils s'agissait de moi. Tous les personnages en voulaient à Mitchum et le trouvaient horrible : ils disaient tous que c'était faux, et Rory était la seule qui semblait consciente que c'était vrai, ou effrayée que ça puisse l'être. Ils disaient tous que c'était faux, et je pensais qu'ASP le pensait aussi. Même si moi au fond je savais que c'était vrai. Et je me disais que Rory ferait tout pour réaliser son rêve quoi qu'il en coûte, et que pour moi tout irait bien car je ne souhaitais pas être journaliste ou faire un métier qui exige de s'imposer. Mais je continuais de pleurer en écoutant cette scène car au fond je savais ; je savais que c'était des qualités exigées par la réalité dans sa globalité. Bien sûr j'ai progressé, j'ai appris à m'imposer, j'ai pris plein d'initiatives dans tous mes stages, j'ai essayé (et presque trop bien réussi) de plus m'affirmer. Mais quelque chose bloque et bloquera toujours : quelque chose par rapport à l'absurdité de la réalité. Cette réalité qui fait que le sourire commercial et les discours shinny mais vides pèsent plus que l'esprit critique et la sincérité. Cette réalité qui exige de faire marcher son réseau, se mettre en avant, s'imposer, se vendre ! Que quelque soit ce que je veux faire, aussi compétente que je sois, aussi faite pour ça que je sois, je serais toujours bloquée au moins au moment du recrutement, exactement comme je le suis maintenant. Je suis devenue capable de défendre mes idées, de vendre mon point de vue, mais me vendre moi en tant que personne c'est une autre histoire. Aller me confronter à la réalité, me renseigner, faire des démarches, me mettre en avant, travailler mon image,... Je me sens comme une petite souris, qui ne prend pas assez de risques. Je suis Rory.
"Millenials are entitled". C'est aussi ce que l'on entend dire, c'est aussi ce qui a été dit de cette nouvelle Rory a qui on a bien trop de reproches à faire. C'est aussi ce qu'ASP elle-même a sous-entendu. Et ce que l'exposé sur les générations m'a fait apparaître, c'est qu'après tout c'était probablement une bonne chose : est-ce un crime après tout, d'attendre de notre travail qu'il nous satisfasse ? qu'il nous permette de nous épanouir ? Est-ce un crime que de chercher un sens à la vie ? Cette génération X me semblait bien résignée, résignée à accepter la vie telle qu'elle est. Et on ne pourra jamais avoir plus si on ne réclame pas plus, n'est-ce pas ? Oui, peut-être que je crois que tout m'est dû. Peut-être que ce n'est aussi après tout qu'une application de la leçon de Mitchum. Alors, dans tous les cas, la conscience de sa propre valeur n'est pas un caprice. Alors, l'attitude de Rory je la comprend : je comprends qu'elle ne se précipite pas sur le 1er job qui lui est proposé quand il ne lui plaît pas, je comprend qu'elle abandonne quand elle réalise que la vie qui lui est proposée par la réalité n'est pas vraiment celle qu'elle avait souhaitée… Au final, en partant écrire un livre, elle reprend le contrôle sur sa vie : elle cesse de se laisser mener en bateau par les patrons potentiels, d'être complètement dépendante de leurs caprices et de leur bon vouloir,… Je comprends qu'elle veille autre chose que ça. Et même si peut-être parfois elle exagère – je ne sais pas – je sais que ce n'est pas complètement out of character, car je sais que je pourrais devenir elle. Je sais que je pourrais avoir peur et abandonner (ou me rebeller et refuser ce monde qui ne correspond pas à mes valeurs : ce qui au final reviendra exactement au même). Elle est cette fille qui n'a jamais connu de difficulté, qui sa grandi entourée de personnes qui lui répétaient combien elle était brillante et lui garantissaient un avenir radieux,… Elle est cette fille qui a été élevée dans l'idée qu'elle méritait le bonheur. Tout le monde le disait, et je l'ai cru. Tout le monde le disait et je voulais le croire : pour elle comme pour moi. Je voulais croire qu'ils avaient raison de croire en elle, et je pensais qu'ASP le pensait. ASP a retourné sa veste, et toute la série prend un sens différent. Ainsi, Rory est juste une fille pourrie gâtée qui a eu la présomption de croire qu'en étant une fille sérieuse qui travaillait dur elle pourrait voler au dessus de la mêlée et échapper aux difficultés de la vie, aux caprices du destin ? Je suis cette fille aussi. Je l'ai cru et je le crois encore. J'ai encore besoin d'y croire.
Pour son comportement dans sa vie sentimentale, je ne trouve absolument aucune excuse à Rory, je ne comprends pas du tout son comportement, et au final je m'en fiche un peu, ou en tout cas je ne le prends pas à cœur car je ne me suis jamais identifiée à elle sur cet aspect là. Mais il y aurait bien des choses à dire ! Comme il y aurait des choses à dire sur les autres personnages et leurs histoires. Sans parler des 4 derniers mots, et de l'insistance d'ASP que le destin se répète. C'est la chose la plus ridicule du monde… Fataliste au possible. Déprimant au possible. Et ironique quand on y pense, parce que si c'était le cas alors on pourrait prévoir l'avenir, faire des plans,… Rory est sa propre personne et a droit à son propre destin. Quitte à choisir entre deux messages qui me déplaisent, "la vie est imprévisible" passe beaucoup mieux que "l'histoire se répète". Mais le problème de ces deux messages, aussi contradictoires qu'ils soient, est qu'ils se rejoignent sur un point : nous n'avons aucun contrôle. Et c'est la leçon la plus ridicule du monde ! Bravo l'empowerment ! Alors non ! Cherchons à prendre en main notre propre destin, internalisons notre locus of control, regardons les 7 premières saisons de Gilmore Girls et positivons.
Un jour, quand j'aurais 32 ans et que je serais toujours aussi perdue qu'aujourd'hui, je serais bien contente de pouvoir me dire que c'était aussi le cas de Rory à mon âge. Mais aujourd'hui, je ne veux pas de ce message. Aujourd'hui, je veux croire que tout est possible, je veux croire que le destin est assez ouvert pour contenir toutes les possibilités, y compris celle de la stabilité à laquelle j'aspire ! Je veux croire que c'est possible, et je veux croire que ça ne dépend que de moi.
Et ces épisodes sont somme toute bien sympas à regarder, et ça fait du bien de retrouver cet univers et ces personnages hauts en couleurs. C'est juste d'y repenser qui fait du mal.