L'art délicat de prendre son temps
Je crois qu’il faut être franc : j’ai vraiment eu du mal à noter cette série. Les quatre premiers épisodes vus, je me suis même demandé si les huit suivants valaient le coup que je grille des soirées. Puis, l’une de ses dernières où l’on est fatigué et avachi sur le canapé, je me suis dit avec ma douce qu’au pire, avec le cinquième épisode, nous allions meubler une de ces soirées insipides après une journée de boulot. Et paf.
Très clairement, la série, à mi-chemin entre documentaire et intrigue US, a du mal à trouver un rythme cohérent. Il faut donc s’armer d’un peu de courage pour ne pas couper les ponts, même après un épisode intéressant sur le fond consacré au financement de la mafia et aux investissements dans les paradis fiscaux ou dans la dette finlandaise mais, formellement chiant. Car Gomorra fini pas décoller et, une fois mise sur orbite, cette série s’avère être une vrai pépite intelligente. Moralement, sociologiquement, cette peinture de Naples nous explose en pleine gueule.
La galerie de personnage pose des archétypes assez classiques, à l’image de Genny Savastano, fils bouffi vissé aux seins de sa mère napolitaine carnassière, qui m’a fait pensé au soldat Baleine de Kubrick. Je ne veux rien dévoiler mais Genny a pris une épaisseur totalement inattendue et ô combien salvatrice. A Naples, les enfoirés sont partout ; politiques, flics corrompus, banquiers, c’est tout le capitalisme du Sud qui explose. Les Russes ne sont pas en reste, dans cette quête dévastatrice de fric. La Madone n’est jamais loin, la morale au final bien plus trash que celle des Sopranos. Cette Italie méridionale agonise sou nos yeux, éructe, et on jubile. On jubile, on se maudit après car point de héros. Ici défilent les victimes d’un système qui va bien au-delà de la mafia, qui prend ses racines dans un Occident carnassier qui va vraiment mal.
Prenez le temps de donner sa chance à cette série. Je vous le promets, vous allez être surpris. Photo impeccable de Naples qui éructe sous le regard du Vésuve sur fond de tubes de rap italiens ou de chansons d’amour improbables, Gomorra est mon premier coup de cœur de l’année en matière de série. La fin, glaciale, reste ouverte sur une seconde saison. Conte, Ciro, les Savastano sont tous des enfoirés, Naples est pourrie au-delà du possible, renvoyant Marseille tant décriée à une sympathique ville balnéaire mais, Vulcain m’en soit témoin, que ces gens finissent par être profonds. Par pitié, peut-être, par vice, aussi, j’ai aimé cette galerie. Merde, ce retour de Genny ! Grandiose cliffhanger !