Critique (à chaud) de la 1re saison
Il est assez difficile de prendre la parole tout de suite après avoir vu le dernier épisode de la saison 1... Et pourtant, il faut tellement que ça sorte ! Alors par où commencer ?
Déjà, ce que je sais, c'est que si je devais écrire une série un jour, elle ressemblerait trait pour trait à cette 1re saison de Guyane. Fabien Nury a tout compris. Non seulement il écrit de bonnes bandes dessinées, mais au-delà de ça, il montre qu'il a parfaitement assimilé la grammaire de la série télévisée, et des meilleures, celles du calibre d'un Breaking Bad ou d'un Narcos.
Extrêmement sobre et dépouillée en apparence, Guyane est pourtant d'une richesse humaine et narrative hallucinante.
Les acteurs sont absolument phénoménaux et donnent beaucoup d'épaisseur à des personnages déjà parfaitement écrits. On n'a aucun élément sur l'origine des uns et des autres, on n'a presque aucun background, tout s'appuie sur ce qui nous est montré à l'écran : un visage, des pensées qui se trahissent (ou pas), des paroles et des actes, c'est tout ce qui définit ces personnages. Cela paraît si simple et si évident, et pourtant, combien de séries et de films savent le faire ?
Nury ne triche pas, il n'ajoute rien à ce qu'il nous est donné de voir, il ne nous donne que le strict nécessaire, et chaque interprète complète comme il peut en ayant recours à des subtilités de jeu extraordinaires. Les visages semblent si monolithiques et pourtant ils diffusent une telle foule de sentiments... Même Colin Firth est battu à plate couture !
Ce faisant, Fabien Nury (et son réalisateur Kim Chapiron) nous introduisent ainsi au coeur d'un dilemme difficile à trancher, lorsqu'on réalise qu'on est entré à fond dans le jeu des personnages, et qu'on veut à tout prix voir ces orpailleurs clandestins réussir dans leur tâche, alors même qu'ils sont pour ainsi dire des monstres. Mais des monstres à visage humain, et tout le génie du scénario (et des acteurs) est de savoir nous montrer chacune des deux faces de ces êtres tantôt abominables, tantôt émouvants...
La mise en scène, elle, est très proche du style documentaire, et pourtant, elle n'est jamais ennuyeuse ou n'aplatit jamais la narration. Au contraire, grâce à cette proximité avec les personnages, on est encore plus dans l'intrigue, ça laisse à la narration l'occasion de dévoiler toute l'étendue de son potentiel.
Ce sens aigu de la narration est tel, d'ailleurs, qu'il est difficile de dire ce qu'est Guyane : une série dramatique ? une série d'aventures ? une série policière ?
Pour moi, ce qui lui correspond le mieux, ce serait plutôt un genre insoupçonné : le western. Certes, on est dans la jungle guyanaise au XXIe siècle, et pourtant, le genre dont cette série est le plus proche, c'est le western. C'est austère comme du Leone, explosif comme du John Ford et profond comme du Dmytryk. C'est un récit de l'instant présent : on ne s'est pas ce qui s'est passé, on ne sait pas ce qui se passera, car on sait que comme dans ces bons vieux westerns, tout est possible. Mais ce qui compte, c'est de capter à chaque fois l'instant présent, avec toutes ses potentialités, avec tout ce qu'il suppose mais qu'il ne dit pas. Et ça, la caméra de Kim Chapiron (et des réalisateurs suivants) sait très bien la capter.
Renforcée par une violence d'autant plus brutale et plus vraie qu'elle ne s'autorise que des incursions somme toute limitées, mais toujours brillamment maîtrisées et extrêmement marquantes, cette ruée vers l'or moderne ne choisit jamais la voie de la facilité. N'oubliant pas de construire son scénario de manière progressive et réfléchie, Nury se pose en digne successeur d'Alexandre Dumas, comme si le père du Comte de Monte Cristo avait pris possession du petit écran pour en faire son nouveau média de prédilection.
Ainsi, cette première saison de Guyane éblouit par sa force et son intensité, d'un réalisme saisissant (même si on se doute que la Guyane ne se résume pas à l'orpaillage illégal, aux méchants trafiquants brésiliens, aux putes et aux junkies des banlieues). Commençant de manière assez tranquille, elle gagne en ampleur pour nous emmener vers des cimes qu'on n'imaginait pas, lors de son final grandiose.