Harlots
6.5
Harlots

Série Hulu (2017)

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Harlots, un regard sur la prostitution à l’époque georgienne

Harlots sort en DVD/Blu-ray. L’occasion de revisiter l’Angleterre de l’ère georgienne, ses costumes surannés, ses décors typiques, mais surtout d’épingler le phénomène de la prostitution féminine et de revenir sur les batailles que se livraient les maisons closes concurrentes…


Harlots repose sur une double immersion. Diffusée sur ITV et Hulu, la série prend pour cadre l’Angleterre georgienne, et plus spécifiquement le Londres de 1763. Soho, St James’s Square ou Covent Garden font partie des lieux traversés par les protagonistes de Moira Buffini et Alison Newman, les créatrices du show, qui s’inspirent du livre Harris’s List of the Covent Garden Ladies de Hallie Rubenhold.


Le spectateur se trouve plongé, grâce à des décors travaillés et des costumes idoines, au cœur d’une société apparaissant tout au plus au seuil de la civilisation moderne. Deux éléments suffisent à s’en convaincre : une femme sur cinq se prostitue et la plupart de ces travailleuses du sexe sont répertoriées, comme de vulgaires produits de consommation courante, dans un opuscule consacré aux plaisirs de la chair, volontiers vexatoire.


Le milieu de la prostitution, la guerre que se mènent deux maisons closes constituent la deuxième couche de cette immersion. Comme les créatrices de la série le mentionnent elles-mêmes dans les bonus de cette édition Blu-ray, les deux maisons rivales se distinguent à l’écran par différents procédés, parfois très subtils : l’apparat de leur établissement, la condition sociale de leur clientèle et même les couleurs de leurs accoutrements.


Margaret Wells, à qui le spectateur est appelé à s’identifier, gère un bordel aux finances incertaines, qu’elle cherche bientôt à établir à Greek Street, au prix d’embarras considérables. Cette matriarche a beau présenter un visage humain et se montrer à l’occasion vulnérable, elle n’hésite pas à monnayer les charmes de ses filles, Charlotte et Lucy. Lydia Quigley est son adversaire la plus coriace. Elle manipule les juges, recrute de jeunes femmes ingénues en recourant à la ruse, exige d’elles une certaine tenue et des talents particuliers (dont la pratique d’un instrument de musique), et provoque des violences aux conséquences variables. Les deux femmes ont un passé commun qui sera révélé par bribes, sans beaucoup d’éclat, après plusieurs épisodes.


L’essentiel de Harlots se déroule toutefois à l’intérieur des maisons closes. Il ne s’agit nullement de faire l’étalage d’un racolage gratuit, car « chaque scène de sexe participe de la discussion sur la condition des femmes », comme l’indique très clairement la comédienne britannique Jessica Brown Findlay dans une interview accordée au magazine Télérama. Il est plutôt question de survie, de résilience, d’impuissance, du rapport au sexe et au corps féminin, mais surtout des liens filiaux qui s’effilochent, comme c’est le cas entre Lydia Quigley et son fils Charles ou entre Margaret Wells et sa fille Charlotte. Cette dernière lui rappellera d’ailleurs la chose suivante : « Maman, tu m’as vendue à douze ans. »


La vie à Londres en 1763


Pour bien cerner les enjeux, il faut remettre en perspective la réalité sociologique de ce Londres passé : l’argent est perçu à l’époque georgienne comme « l’unique pouvoir d’une femme dans ce monde », les demoiselles de condition modeste qui s’en tirent le mieux sont celles qui parviennent à s’attacher la sympathie d’un « protecteur conciliant », le viol et l’inceste constituent le point de départ de nombreuses carrières dans la prostitution et même la matriarche Wells a été vendue dans sa jeunesse… contre une paire de chaussures.


Les clients des bordels, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, notables ou non, peuvent se montrer pitoyables, violents, bienveillants ou en butte aux souvenirs périssables d’une femme autrefois aimée. Sir George Howard, qui s’apprête à prononcer un discours important au Parlement, vit quant à lui au cœur d’un ménage à trois, puisqu’il fraie ouvertement avec Charlotte Wells, au vu et au su de tous – y compris de sa femme. C’est en fait une douzaine de personnages que le spectateur est appelé à suivre dans une ronde permanente : aux tenancières perdues dans des intrigues shakespeariennes se juxtaposent par exemple un énigmatique Lord Fallon, une Lucy Wells fragile ou une Emily Lacey à l’humeur changeante, qui va passer sans vergogne d’une maison à l’autre.


Écrite et réalisée par des femmes, Harlots dispose d’un point de vue singulier sur les conditions de vie des prostituées londoniennes d’une ère révolue. Le travail de reconstitution, le générique stylisé mettant à l’honneur le corps féminin, la bande-son pop-rock, la restitution (sommaire) des dysfonctionnements judiciaires, la résurgence du conservatisme religieux, l’évocation de certaines relations purement contractuelles, les multiples questions laissées en suspens sont autant de satisfactions à mettre au crédit de Moira Buffini et Alison Newman, les cocréatrices du show.


En revanche, on peut regretter, surtout au regard des promesses véhiculées par la série, un certain ronronnement scénaristique, un déficit en scènes puissantes, des dialogues inégaux et un manque de rythme défavorable au récit. Si l’envie de bien faire se ressent au fil des épisodes, plusieurs maladresses mettent à mal certaines tentatives louables. Il en va ainsi des relations entre Charles Quigley et Emily Lacey ou entre Charlotte Wells et Sir George Howard, pas dénuées de clichés. Ce n’est malheureusement pas dans les bonus de l’édition DVD/Blu-ray qu’on trouvera de quoi se consoler, puisqu’ils se cantonnent à un bref entretien avec les créatrices de la série et une présentation tout aussi rapide des différents métiers – les décors, les costumes, le maquillage – qui font l’étoffe de Harlots.


Critique publiée sur Le Mag du Ciné à l'occasion de la parution (le 20 mars) de l'édition DVD/Blu-ray.

Cultural_Mind
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le 28 févr. 2019

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