Saison 1 :
Qui semble a priori mieux placé que l'auteur lui-même pour adapter son œuvre littéraire au cinéma / en série TV ? Personne, me répondrez-vous, sauf que tous les fidèles lecteurs de la fameuse saga "Harry Bosch" de Michael Connelly devront - logiquement - en convenir : le choix de Titus Welliver pour interpréter le rôle du fameux inspecteur furieux et méthodique condamnait d'office la série à l'échec, tant la mollesse désabusée de l'acteur rend peu crédibles les débordements réguliers de Bosch, et du coup empêche que le téléspectateur "connecte" avec un personnage qui devient largement incompréhensible. Second gros problème, l'idée foireuse de Connelly de nourrir le scénario de cette première saison par diverses histoires extraites de plusieurs de ses livres. Le résultat est une accumulation grotesque d'événements - particulièrement en ce qui concerne les "exactions" de Bosch, et ses problèmes avec la loi, la justice et sa hiérarchie - qui achève de décrédibiliser la série. Ajoutons encore l'occasion manquée de filmer de manière réaliste Los Angeles, l'interprétation désastreuse de Lance Reddick qui passe complètement à côté du personnage passionnant qu'est Irving, et nous voilà devant ce qu'on est bien obligé de considérer comme un semi-échec, malgré - admettons-le - le petit plaisir qu'on pourra prendre çà et là devant ce spectacle tiède et pantouflard. [Critique écrite en 2017]
Saison 2 :
Qu'est-ce qui a changé dans cette seconde saison de "Bosch", adaptation des romans à succès de Michael Connelly produite par l'auteur lui-même ? Pas grand chose sans doute, le rythme languissant est toujours là, ainsi qu'une certaine superficialité de la description du microcosme policier de Los Angeles, finalement assez loin du réalisme minutieux des meilleurs livres de la série. Et nous devons toujours accepter l'interprétation molle et décalée d'un Titus Welliver bien trop loin de la rudesse acérée du Harry Bosch créé par Connelly. Toujours est-il que, grâce à un scénario plus complexe cette fois, entre-mêlant mafia arménienne, policiers corrompus et manipulation conjugale, on s'intéresse beaucoup plus à ces dix nouveaux épisodes, qui se terminent dans une violence finalement bien venue. Curieusement, ce sont la relation entre Bosch et sa fille, et surtout la description attentive des dernières heures du criminel, passées dans l'intimité d'une histoire d'amour abandonnée, qui touchent le plus juste, et laissent entrevoir la possibilité d'une série qui regarderait vivre ses personnages sans les soumettre aussi rigidement aux impératifs de la fiction policière. [Critique écrite en 2017]
Saison 3 :
Après une seconde saison qui nous avait redonné un peu d'espoir, le troisième volet des enquêtes de Harry Bosch voit s'effondrer cette série qui n'a décidément jamais atteint le niveau des meilleurs livres de Michael Connelly - les premiers, bien entendu. Le problème vient cette fois du scénario, très confus et peu crédible, qui plonge rapidement le téléspectateur dans une sorte d'indifférence louchant vers l'ennui. Pire, la "révélation finale" de comportements éthiquement discutables de la part de Bosch enfonce le dernier clou dans le cercueil de la série, en éloignant radicalement (et très maladroitement) le personnage de la série - toujours aussi peu incarné par le fade Titus Welliver - de celui des livres. Et nous laisse donc désemparés, ayant perdu le peu de foi que nous avions encore en cette série terriblement plate. [Critique écrite en 2017]
Saison 4 :
En mêlant "l'Envol des Anges" avec une intrigue "nouvelle" construite à partir des connexions "chinoises" d'Eleanor Wish, les scénaristes de cette quatrième saison de la série inspirée de l’œuvre de Michael Connelly ont plutôt fait un bon travail, et le déroulement minutieux des enquêtes, insistant sur les aspects politiques, voire procéduriers du travail policier, semble pour la première fois complètement cohérent par rapport aux livres, corrigeant largement les dérives de la troisième saison. Si l'on ajoute que Titus Welliver semble (enfin) bien dans la peau du personnage de Bosch, qui ne lui correspondait pas tant que cela, et que le scénario prend en plein milieu de la saison le temps de faire faire à ses personnages principaux un travail de deuil crédible, on pourrait dire que cette quatrième saison est la meilleure à date. Le problème est néanmoins que, en sacrifiant complètement le spectaculaire et le suspense - ce qui est un parti-pris louable -, et en l'absence d'une mise en scène digne de ce nom - ce qui est un problème -, tout cela est terriblement mou, et demande de la part du téléspectateur une attention constante à la complexité de l'intrigue. Bref, un petit plaisir plutôt réservé aux aficionados qu'au grand public. [Critique écrite en 2018]
Saison 5 :
Voilà enfin la saison qui rend honneur aux livres de Connelly… alors que c'est peut-être celle qui a l’audace de s'en éloigner le plus : faisant sortir Bosch de sa "zone de confort" en l'envoyant en mission d'infiltration au bord de la Salton Sea, offrant à son partenaire Edgar - joliment interprété, de manière subtilement décalée, par Jamie Hector - un passé haïtien qui va revenir le hanter, faisant passer son héros "incorruptible" mais constamment "borderline" du côté des avocats manipulateurs honnis, les scénaristes de cette cinquième saison osent casser la routine de "Bosch" et touchent enfin le jackpot.
Bien sûr, certains défauts sont toujours là, mais ils ont fini par constituer l'essence d'une série définitivement pas comme les autres, et pas pour tous les goûts : ce mélange de mollesse anti-commerciale et de complexité inhabituelle (on dépasse cette fois l'intrication coutumière de deux fils narratifs, et on en arrive à la fin à trois, puis quatre histoires mêlées, qui, et c'est un soulagement vu les pratiques actuelles des scénaristes, ne se rejoignent jamais) font que "Bosch" requiert beaucoup d'attention de la part du téléspectateur ! Qui plus est, cette saison ne boucle pas toutes ses intrigues, nous faisant saliver quant à la suite…, mais surtout retournant à une pratique antérieure du genre, quand chaque saison n'était pas encore devenue une sorte de (très) long métrage.
Une délicieuse surprise que cette série qui, au contraire de 99% de ses concurrentes, a fini par se bonifier en vieillissant !
[Critique écrite en 2019]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2019/06/29/bosch-saison-5-la-serie-qui-se-bonifie-en-vieillissant/
Saison 6 :
Nous avions déjà signalé cette exception que constitue "Bosch" dans le domaine des séries télévisées « grand public » : voici un travail qui semble s’améliorer d’année en année, qui gagne à chaque saison du sens et de la profondeur, sans quasiment jamais sacrifier aux tristes rituels du genre que sont devenus les cliffhangers artificiels ou le délayage excessif du scénario pour remplir le programme du nombre d’épisodes pré-déterminé. La sixième saison de la série nous donne le sentiment d’avoir encore progressé en intérêt aussi bien qu’en crédibilité, ce qui vaut la peine d’être souligné.
Le démarrage de la saison inquiète, les menaces terroristes, qui plus est nucléaires, sur Los Angeles nous rappelant l’époque des 24 heures et de Jack Bauer, ce qui n’est pas, avouons-le, très rassurant vu de 2020… Heureusement, très vite, le scénario nous dévoile les faux-semblants derrière cette histoire, et nous plonge dans une énigme à la « whodunnit » somme toute très classique (nous dirons plutôt éprouvée), dont la résolution est, surprise, surprise, assez rapide puisqu’à mi-saison, la partie « policière » est bouclée, laissant place à la partie « judiciaire ». Ce qui pourrait ailleurs constituer une maladresse de narration s’avère la force de cette saison, comme si cette histoire de césium dérobé avait été un McGuffin, et comme si l’important était AILLEURS…
… Ailleurs, bien entendu, c’est dans toutes ces histoires parallèles qui se déploient, dans la continuité de la saison précédente : la rage des extrémistes « souverainistes » qui luttent contre le « trop d’état », la terrible criminalité au sein de la communauté haïtienne (délicieux – et incompréhensibles - dialogues en créole !) qui renvoie aux jours tragiques du totalitarisme sur l’île, la poursuite personnelle par Harry d’un cold case auquel il est émotionnellement attaché, la gestion opportuniste de la situation des SDFs à Los Angeles, la campagne aux élections municipales du Chef de la Police, l’utilisation d’une plainte de harcèlement sexuel pour un règlement de comptes entre collègues, les doutes d’une jeune femme idéaliste mais déterminée (la fille de Harry, désormais totalement incarnée par la toujours passionnante Madison Lintz, que l’on a aimé voir grandir, saison après saison) quant à son avenir professionnel pour servir le mieux possible la société,…
Une fois encore, la prolifération de enquêtes, de situations personnelles, et l’étroite imbrication entre vie professionnelle et vie intime de tous les protagonistes, ainsi que – comme dans les beaux romans de Michael Connelly – l’importance du TRAVAIL dans la résolution des cas sur lesquels bûchent les détectives, tout cela confère un sentiment de véracité aux situations, mais aussi d’une profonde humanité : des plus paumés aux plus puissants, tous les personnages ici, sympathiques ou haïssables, ont une profondeur, une complexité qui justifie leur temps à l’écran, et qui nous attache à leur destin. On n’en est certes pas encore au niveau de "The Wire", mais quelque part, dans un registre certes plus « commercial », plus populaire, on s’en approche : bout à bout, les six saisons à date de Bosch constituent un riche portrait de la société angelena, des tensions qui agitent la ville comme de la bonne volonté des hommes et des femmes qui, quotidiennement, travaillent pour plus de justice dans un système qui ne les aide pas forcément.
C’est dans ce contexte que les derniers épisodes de la saison sont très beaux : au-delà de la tension finale autour de la scène assez convenue de l’attentat terroriste, c’est bien le terrible sentiment de tristesse qui conclut – ou pas – la plupart des fils narratifs de la saison qui en fait le prix. Oui, à la fin, il ne reste plus qu’à compter les morts. Et les illusions perdues. Il ne reste plus qu’à continuer.
Bravo.
[Critique écrite en 2020]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2020/04/30/amazon-prime-bosch-saison-6-compter-les-morts/
Saison 7 :
Michael Connelly a de la chance : à la différence de la vaste majorité des adaptations à l’écran – films ou séries TV – des livres à succès, le "Bosch" d’Amazon Studios ("Harry Bosch" en France…) rend désormais parfaitement hommage à la qualité des livres, tout en s’en démarquant suffisamment pour que les lecteurs n’aient pas l’impression d’un travail scolaire des scénaristes (Bon, le fait que Connelly soit coproducteur exécutif de la série aide certainement !). Et ce n’est pas cette septième saison impeccable qui va changer quoi que ce soit à notre jugement très positif sur la série d’Eric Overmeyer, qui, après un démarrage assez lent, a atteint l’excellence à partir de sa quatrième saison.
Les scénaristes répètent ici, sans que ne se traduise aucune usure, la recette du succès des volets précédents : deux enquêtes policières complexes qui s’entremêlent, et un bon nombre d’intrigues parallèles dans lesquels sont impliqués quasiment tous les personnages emblématiques de la série, pour un résultat aussi complexe que finalement haletant (on est loin de la mollesse des débuts !). Pendant que Harry enquête sur un incendie criminel ayant coûté la vie à une petite fille immigrée, puis se trouve impliqué dans une affaire de scandale financier qui tourne vraiment mal, Jerry Edgar se débat avec son sentiment de culpabilité après l’exécution de Jacques Avril, le Lieutenant Billets affronte des flics « incels », tandis que le Chief Irvin Irving doit faire des pieds et des mains pour pouvoir être élu à un second mandat. Si l’on ajoute que Maddie (une Madison Lintz de plus en plus séduisante avec les années qui passent) se trouve dans la ligne de mire d’un tueur à gage, on pourrait dire que les scénaristes en font vraiment beaucoup…
Pourtant, grâce à la qualité de l’écriture, le téléspectateur n’est jamais perdu devant la multiplication des intrigues… même si Bosch requiert une attention de tous les instants pour être appréciée à sa juste valeur. Et, comme dans les meilleurs moments des saisons précédentes, les scènes de suspense et d’action, pour être encore moins nombreuses qu’à l’habitude (on sait que Connelly est bien plus intéressé par la description du fonctionnement des machines policière et judiciaire), sont d’une efficacité démultipliée par leur sobriété.
La vision sociale – sur le melting pot bouillonnant qu’est Los Angeles et les conflits inter-ethniques qui en résultent – et politique – sur la corruption active ou passive endémique des autorités, mais surtout sur les manipulations permanentes auxquelles il faut se livrer si l’on veut survivre « au sommet » de la pyramide – reste prépondérante, et se mêle encore plus clairement qu’à l’habitude à un dilemme moral auquel il n’existe pas de réponse parfaite : ce qui amène la saison à une conclusion, lors d’une conclusion « brise-cœur », très pessimiste.
Avec ce que suggère la dernière scène de "Bosch", on comprend la rumeur qui veut que la série se poursuivrait sous la forme d’un spin-off sur les nouvelles bases établies dans le dernier épisode, mais on a très envie que les responsables de ce succès s’en tiennent à leur promesse d’en rester là, à ce niveau d’excellence finalement étonnant.
[Critique écrite en 2021]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : Déjà parvenue à sa septième saison, annoncée comme la dernière, la série Harry Bosch continue à tutoyer l’excellence : la vision sociale, politique et profondément morale de Connelly se mêle une fois encore parfaitement au suspense des enquêtes policières.