Heroes
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Heroes

Série NBC (2006)

Il n’aura échappé à personne que, depuis une douzaine d’années, les super-héros opèrent un retour en force sur tous les écrans. On s’en étonne d’autant moins que nous vivons une époque où le besoin de rêves ainsi que de ces héros qui les portent se fait cruellement sentir. Il vaut d’ailleurs de rappeler que le tout premier super-héros de l’industrie du comic book, Superman, apparut à une époque de troubles économiques, sociaux et politiques assez comparable à celle que nous connaissons, et qui se caractérisait par une prise de conscience collective des limites de l’idéologie libérale – car cette itération du surhomme que représente le super-héros, en tant qu’individu supérieur, et puisqu’il ne joue pas selon les règles de la parfaite égalité des chances indispensable au succès du libéralisme, s’affirme au fond comme une contestation de ce dernier (1).


Bien sûr, la notion de surhomme plonge ses racines bien plus loin. Elle remonte au moins aux mythologies antiques où des humains et des dieux frayaient pour enfanter des plus qu’humains mais moins que des dieux (2) et où des héros morts dans la gloire atteignaient le statut de divinités auxquelles on pouvait demander leur force à travers la prière (3). Mais au contraire des super-héros, ces surhommes et demi-dieux, par leur appartenance à une croyance d’ordre religieuse, participaient à une représentation du monde – pour cette raison, je pense que le terme de « mythologie » correspond mal aux univers de super-héros et lui préfère celui de « cosmogonie ». Pourtant, les super-héros partagent avec les figures mythologiques d’antan qu’ils reflètent ce thème universel du désir de puissance qu’on retrouve dans toutes les cultures, et en particulier celui de l’invincibilité auquel cette branche de la narration graphique se trouve limitée presque entièrement (4).


Une autre différence tient dans ce que les super-héros, pas toujours mais souvent, relèvent des fantasmes techno-scientifiques de la science-fiction, c’est-à-dire d’une volonté de rationaliser le monde, de lui donner des contours concrets qui rentrent dans le domaine de l’explicable ou en tous cas du plausible. Au moins en apparence, car en tant que genre populaire destiné dans l’écrasante majorité des cas à un public peu exigeant, les récits de super-héros ne présentent que très rarement un fond vraiment cartésien, dans tous les sens du terme, que ce soit sur le plan des sciences physiques ou sur celui des sciences sociales – au contraire des mythologies qui reflétaient une représentation erronée du monde, les super-héros relèvent plus de l’escroquerie intellectuelle, ou assimilé. Pendant longtemps, dans ce monde à l’équilibre détruit par une autre guerre, l’atome se vit utilisé dans ce but, donner des capacités surhumaines à un simple humain, par exemple à travers une forme pour le moins simplifiée, voire idéalisée car bien peu souvent viable en réalité, de mutation ; d’autres procédés supposés capables de modifier l’humain, comme des facteurs polluants ou bien la manipulation génétique, parmi d’autres, relèvent au fond du même subterfuge : une science présentée comme nocive, au moins implicitement, provoque l’avènement de celui ou celle capable de remplacer l’Homme (5), illustrant par là même cette peur nouvelle issue de la compréhension que nos civilisations sont mortelles.


Dans le cas de Heroes, ces mutations en apparence spontanées seraient liées à la destruction de l’environnement par les activités humaines, comme une réponse de la nature au réchauffement climatique qui, selon les préceptes darwiniens de la théorie de l’évolution, engendrerait ainsi l’apparition d’êtres mieux adaptés à cette situation nouvelle. L’explication vaut ce qu’elle vaut, d’autant plus que des personnages apparaissant dans les saisons suivantes de la série montrent clairement que ce mécanisme seul ne se trouve pas à l’œuvre : des gens dotés de capacités spéciales ont existé il y a plusieurs siècles au moins, alors qu’il n’y avait aucun réchauffement climatique… Quoi qu’il en soit, l’apparition de ces surhommes reste classique, que ce soit dans les « origines » des héros comme dans la suite des événements : si on admet que les récits de surhumains relèvent de quatre situations type (6) – découverte d’une société de surhommes, apparition de ceux-ci parmi les humains, descriptions de leurs conflits intérieurs personnels dus à leur supériorité, et enfin domination totale de l’adversité en raison de cette même supériorité –, alors Heroes illustre à merveille la seconde et la troisième, au moins au début de l’histoire, avant de s’orienter vers la quatrième à travers le seul moyen d’alimenter un suspense quelconque quand des personnages se montrent à ce point supérieurs à n’importe quel autre, c’est-à-dire en décrivant l’affrontement de plusieurs surhommes entre eux – ce qui, au fond, reste la définition même du genre super-héros.


Pourtant, l’intérêt de Heroes ne se trouve pas dans ce classicisme somme toute assez attendu – il s’agit bien d’une série TV – mais se dissimule en fait dans les replis des divers futurs possibles et tous aussi cauchemardesques les uns que les autres que les héros, ici, tentent d’éviter, saison après saison. Car dans Heroes, l’apparition de surhommes devient le prétexte de bouleversements sociaux, ce qui reste la marque d’une science-fiction de qualité (7) ; si on regrette que le genre des super-héros ne s’aventure que trop rarement dans de telles contrées, en leur préférant des récits en fin de compte assez superposables et qui ne peuvent donc tirer pleinement profit de leur potentiel réel, on peut néanmoins évoquer comme influences bien visibles pour Heroes l’aventure Days of Future Past (Chris Claremont & John Byrne ; 1981) des X-Men, le célèbre et brillant Watchmen (Alan Moore & Dave Gibbons ; 1986) ou encore, bien iconoclaste à sa façon, Top Ten (Alan Moore, Gene Ha & Zander Cannon ; 1999), parmi d’autres œuvres d’exception dans le domaine du comic book de super-héros ; mais on y trouve aussi des références à des productions majeures de la science-fiction, certaines très orientées vers le thème du surhumain comme Cristal qui songe (1950) et Les Plus qu’humains (1953), les deux principaux romans de Théodore Sturgeon (1918-1985), ou bien vers la thématique post-apocalyptique classique du monde dévasté par un virus mortel qu’on trouve à la base d’un nombre incalculable de récits du genre, quel que soit leur média.


Ainsi, dans la lignée du hélas bien trop mal connu mais pourtant fondamental Miracleman (Alan Moore, Alan Davis & Gary Leach ; 1982), Heroes évoque surtout, bien que de manière assez sous-jacente, le destin possible de surhommes dans notre société ainsi que plusieurs manières possibles d’évolution pour ladite société au contact de tels individus surhumains. On observe donc ici une parfaite adéquation entre le fond et la forme, car cette image du super-héros en tant que surhumain mutant, c’est-à-dire une transformation progressive du patrimoine génétique de la race humaine à travers l’action de la nature, consiste bien sûr en un aperçu du futur – ce qui suffit pour faire de ce surhomme issu de l’évolution naturelle une parfaite incarnation d’une des nombreuses définitions de la science-fiction, en raison même de cette image de l’avenir qu’il incarne. Pour cette raison, et à travers les nombreux portraits de temps à venir possibles que présente Heroes, même si ces projections se situent toutes à une époque très proche et s’avèrent aussi – hélas – assez sommaires, cette production parvient à combiner non seulement son concept de départ avec une science-fiction exigeante mais donne aussi une réponse à l’idée, la question implicite propre au thème du surhomme mutant en lui esquissant un contour – celui du post-humain, par ailleurs un autre thème propre à la science-fiction.


Voilà pourquoi on ne peut que regretter l’arrêt complet de la série après la quatrième saison car la conclusion de celle-ci ouvrait le récit dans une direction alors jamais vue à ma connaissance dans le registre des séries TV de super-héros et qui laissait augurer le meilleur pour une suite qu’on ne verra malheureusement sans doute jamais… Quant au projet évoqué par plusieurs sources officielles de terminer l’histoire par une paire de téléfilms, s’il ne manque pas d’intérêt il fait surtout craindre qu’un tel format se montre bien trop court pour exploiter tout le potentiel des différents thèmes de Heroes à leur juste valeur. Mais comme de toutes manières les dernières nouvelles fournies par les créateurs de la franchise sur ce point font dire que même cette issue est tombée à l’eau, et que de plus on reste sans nouvelles sur la possibilité avancée par l’auteur principal de poursuivre l’aventure sur d’autres supports… Peut-être en fin de compte faudra-t-il attendre de voir cette œuvre, une fois devenue culte, engendrer une séquelle ou un remake d’ici 10, 12 ou 15 ans, voire plus, comme on a pu le voir avec d’autres réalisations qui en leur temps n’ont pas satisfaits leurs producteurs.


Quoi qu’il en soit, il n’en reste pas moins que Heroes compte parmi ces œuvres du genre super-héros et de science-fiction en général parmi les plus réussies du petit écran, pour les raisons explicitées ici comme pour ses techniques narratives d’une efficacité redoutable et ses personnages bien plus fouillés qu’ils peuvent en donner l’impression au premier abord. Pour ceux d’entre vous lassés de tous les clones du genre qui se suivent sans vraiment se distinguer, et tout aussi distrayants qu’ils puissent s’avérer, Heroes reste le meilleur candidat à ce jour.


(1) Gérard Klein, « Surhommes et Mutants », préface à Histoires de mutants (Le Livre de Poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3766, 1974, ISBN : 2-253-00063-9) ; lire ce texte en ligne.


(2) Demètre Ioakimidis, « Différents puisque supérieurs », préface à Histoires de surhommes (Le Livre de Poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3786, 1984, ISBN : 2-253-03411-8).


(3) Jacques Goimard, « Du Surnaturel au supranormal », préface à Histoires de pouvoirs (Le Livre de Poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3770, 1975, ISBN : 2-253-00739-0).


(4) Jacques Goimard, op. cité.


(5) Gérard Klein, op. cité.


(6) Demètre Ioakimidis, op. cité.


(7) Isaac Asimov, « Social Science Fiction », in « Modern Science Fiction: Its Meaning and Its Future » (New York: Coward-McCann, 1953) ; lire un exemple dans l’article « Asimov’s Three Kinds of Science Fiction » sur le site tvtropes.org (en).


Adaptations et spin-offs :


Sous forme d’une série de webcomics d’une demi-douzaine à une dizaine de pages chacun environ et totalisant 173 numéros en tout. Si les premiers restent assez anecdotiques et ciblent de toute évidence les plus grands fans de la série, plusieurs récits ultérieurs qui s’étendent parfois sur plusieurs numéros se montrent souvent bien plus intéressants et approfondissent assez l’univers de la série. À noter que Fusion Comics en a publié en français deux recueils comprenant les numéros un à 34 pour le premier volume (sorti en mars 2008) et les numéros 35 à 80 pour le second (publié en septembre 2009) ; on reste à ce jour sans nouvelles d’un troisième tome.


Sous la forme d’un roman intitulé Heroes: Saving Charlie écrit par Aury Wallington et publié chez Del Rey Books le 26 décembre 2007. Situé dans la première saison de la série, ce récit met en scène Hiko Nakamura quand celui-ci voyage vers le passé dans l’espoir de sauver Charlene « Charlie » Andrews qui doit mourir sous la main du tueur en série aux super-pouvoirs Sylar. Bien que rédigé en étroite collaboration avec les créateurs de la série, la canonicité de ce roman reste encore à établir officiellement…


Récompenses :



  • Outstanding Program of the Year aux 23e TCA Awards en 2007.

  • Favorite New TV Drama aux 33e People’s Choice Awards en 2007.

  • l’ensemble du casting de la première saison fut nommé « People who Mattered » dans le numéro Person of the Year 2006 du Time.

LeDinoBleu
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le 9 nov. 2012

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