Avant de commencer, je tiens à préciser que je suis un parfait néophyte en dramas asiatiques. J'ai beau avoir essayé de m'y frotter, le courant ne passe pas. La plupart d'entre eux me paraissent formellement assez "cheap" ou traitent de sujets qui ne m'intéressent pas vraiment. Un peu comme avec les telenovelas latins dans un certain sens. Pourtant, je reste plutôt fan des productions locales sur grand écran. Ma critique n'est donc pas celle d'un connaisseur venant rajouter une nouvelle pièce à son panthéon, mais plutôt celle d'un simple curieux qui ne savait pas trop où il mettait les pieds.
Avec Hibana, Netflix poursuit donc sa conquête de l'Archipelle après avoir essuyé deux succès en demi-teinte avec Atelier et Terrace House. Cette fois-ci, ils ont sorti la planche à billets et ont joué la carte de la sécurité en adaptant le best-seller du même nom (2,5 millions exemplaires vendus), écrit par Naoki Matayoshi et récompensé par un Akutagawa Prize, le prix littéraire le plus prestigieux du pays. L'objectif était clairement affiché : plaire à la fois aux Japonais, mais également réussir une nouvelle percée sur la scène internationale. C'est donc vendredi dernier (03/06) que les 10 premiers épisodes ont été sortis dans 190 pays.
La série nous immerge dans les coulisses du manzaï, un style traditionnel de spectacle comique généralement pratiqué en duo. Pour la faire courte, le manzaï pourrait s'apparenter à nos bons vieux humoristes/chansonniers à nous (Devos, Deproges, Bourvil, Coluche...), mais avec un débit de paroles beaucoup plus élevé. Les saillies s'enchaînent très vite et forment des histoires absurdes mêlant gags à tiroirs et blagues phonétiques. Une forme d'humour sur le vide que j'ai découvert avec la série et qui peut s'avérer parfois très drôle. Soyez donc rassuré, la barrière culturelle n'est pas vraiment rédhibitoire.
Nous suivons donc l'histoire de Tokunaga (Kento Hayashi), apprenti humoriste faisant partie du duo Spark (= Hibana = étincelle), qui va rencontrer l'expérimenté Kamiya (Kazuki Namioka) à l'occasion d'une scène ouverte. L’aîné va prendre le jeune homme sous son aile, mais à une condition, que Tokunaga écrive sa biographie. Prenant des airs de success-story réaliste, la première saison nous permet donc de suivre leurs trajectoires individuelles dans cette industrie compétitive. Leurs espoirs. Leurs échecs. Leurs victoires. Au fil des épisodes, qui s'étalent tout de même sur une période de 10 ans, la relation maître-disciple va se transformer en un lien quasi fraternel. Ils vont se découvrir et s'apprivoiser. La direction d'acteur fait mouche et l'alchimie qui se dégage du duo (et de leur duo de scène respectif d'ailleurs) fonctionne parfaitement bien. On rentre facilement en résonnance avec leurs états d'âme.
D'Osaka à Tokyo en passant par le feu d'artifice d'Atami, on en prend plein les mirettes avec l'excellent niveau technique de la série. Les épisodes sont parsemés de magnifiques travellings suivant des personnes se déplaçant en ville. À pied ou en vélo. Sobres ou totalement alcoolisés. Tentant d'embrasser leurs destins, de rattraper leurs passés, d'exploser leur joie ou de fuir l'objet de leur tristesse. La caméra se rapproche toujours très librement de ses sujets. Il y a d'ailleurs de bonnes idées bien exploitées : un changement de grain par-ci, un splitscreen par là, un cadrage iconique... C'est à la fois magnifique, dépaysant, absolument pas putassier, mais surtout porteur de sens.
La série offre donc une vision 360° sur toute l'industrie. D'abord par le quotidien des Sparks : répétitions, auditions, représentations... On assiste même à plusieurs sketchs du duo ou de certains ses concurrents. Certains sont hilarants, d'autres nous laissent de marbre. À l'image de leur success-story qui est loin d'être aussi reluisante qu'on pourrait le penser. Les travers du milieu et de ses acteurs sont d'ailleurs présentés sans concessions. Les émissions TV sont le Saint-Graal des comédiens. Les concours, des étapes obligatoires qui créent et défont leurs carrières. Les producteurs des, juges qui ont droit de vie de mort sur les artistes. Le constat n'est pas misérabiliste pour autant, juste réaliste et rempli de relief.
Mais ce que j'apprécie le plus dans cette série, c'est sa dimension purement artistique. Hibana, c'est plus qu'une simple série sur des comédiens, c'est un véritable essai sur l'humour et la bonne démarche d'un artiste. La série prend vie lorsqu'elle nourrit et illustre ce sujet. Les différents dialogues entre Tokunaga et Kamiya, remplis de seconds degrés, révèlent une vraie profondeur. Kamiya est un artiste un poil rebelle sur les bords qui a une conception bien marquée de la vocation. Il est totalement déluré et absolument pas carriériste. Durant les multiples déambulations des deux hommes, Kamiya parvient toujours à capter certains moments pour les détourner et s'en amuser. Il n'a pas de limite. Du pur génie artistique sans filtre. Son influence est grande sur Tokunaga et le décalage entre leurs deux carrières va provoquer bien des remous. Joie. Dépression. Inadaptation sociale. Tout l'ascenseur émotionnel que la série nous livre tourne intelligemment autour de cette thématique centrale. Il y a bien sûr une grosse part de "WTF", avec notamment le dernier épisode qui atteint un paroxysme d'absurdité !
Hibana c'est un petit OVNI qui n'aura certainement pas autant de succès que le haut du panier du catalogue Netflix. La faute à la supposée barrière culturelle. La faute à son traitement très verbeux qui passe plus par les dialogues que par l'action. C'est dommage parce la série regorge de qualités et qu'elle apporte beaucoup de fraîcheur et de dépaysement. En attendant, je salue la prise de risque de Netflix et j'espère que les retours seront suffisamment bons pour pouvoir me replonger dans une nouvelle saison !