Irma Vep
6.9
Irma Vep

Série HBO, OCS (2022)

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Une mise en abyme brillante sur le cinéma et l'identité

Irma Vep, la mini-série réalisée par Olivier Assayas et diffusée sur HBO, est une œuvre complexe et fascinante qui mêle cinéma, métafiction et exploration de l’identité. Revisitant son propre film du même nom sorti en 1996, Assayas propose une série qui, à travers le personnage d’Irma Vep, interprété par Alicia Vikander, explore les coulisses du cinéma, la difficulté de créer de l’art à une époque de consumérisme et de franchises, et les crises personnelles que vivent les artistes. Irma Vep s’impose comme une œuvre intelligente et captivante, tout à la fois un hommage à l’histoire du cinéma et une réflexion sur la manière dont l’art interagit avec la réalité.


L’une des grandes forces d’Irma Vep est sa capacité à jouer avec les différents niveaux de réalité et de fiction. La série met en scène Mira (Alicia Vikander), une star de cinéma américaine désillusionnée, récemment sortie d’un tournage de blockbuster, qui accepte de tourner en France dans un projet de série télévisée, un remake du film muet français Les Vampires de Louis Feuillade. Mira, qui doit interpréter le personnage d’Irma Vep, se retrouve rapidement prise dans une spirale où la frontière entre son rôle et sa propre identité s’estompe.


Cette structure, qui entrelace la vie personnelle de Mira avec le tournage chaotique de Les Vampires, permet à Assayas de se livrer à une véritable réflexion sur le cinéma lui-même. La série devient une œuvre en miroir, où la fiction dialogue en permanence avec la réalité. À travers cette mise en abyme, Irma Vep questionne ce qu'il advient de l'identité de l'acteur lorsqu’il est absorbé par son rôle, et comment le cinéma, loin d’être un simple miroir du réel, peut déformer, altérer et recréer la réalité.


Ce jeu de mise en abyme est audacieux et peut sembler déroutant pour certains spectateurs. Cependant, pour ceux qui sont prêts à se laisser emporter par cette superposition de couches narratives, Irma Vep se révèle être une œuvre d’une profondeur fascinante. La série ne cesse de brouiller les frontières entre les différentes réalités, tout en explorant les doutes existentiels de son héroïne.


Le personnage de Mira, incarnée avec une grande subtilité par Alicia Vikander, est au cœur de cette réflexion sur l’identité. Mira, qui incarne Irma Vep à l’écran, se perd peu à peu dans ce rôle, au point que sa propre vie commence à être influencée par celle de son personnage. Cette fusion progressive entre la réalité de Mira et la fiction d’Irma Vep permet à Assayas d’aborder des thématiques profondes sur l’art, la célébrité et l'aliénation.


Alicia Vikander livre ici une performance magistrale, capturant à la fois la fragilité et la force intérieure de son personnage. Mira est une actrice au sommet de sa carrière, mais elle est aussi en pleine crise existentielle. Elle se sent détachée du monde hollywoodien et de ses superproductions, cherchant à retrouver un sens artistique plus pur à travers ce projet en France. Cependant, à mesure que le tournage avance, elle se rend compte que jouer Irma Vep la plonge dans un tourbillon psychologique où son identité devient de plus en plus floue.


La série s’intéresse particulièrement à cette idée de l’identité multiple. Mira, en tant qu’actrice, endosse constamment des rôles différents, et la série interroge ce que cela signifie pour une personne d'être à la fois elle-même et une autre à travers l’écran. Les moments où elle semble être plus "Irma" que "Mira" soulignent la complexité de cette crise identitaire. La série invite ainsi le spectateur à réfléchir à la manière dont le cinéma et la fiction influencent notre perception de la réalité et de nous-mêmes.


Irma Vep est avant tout une lettre d'amour au cinéma. En réadaptant son propre film de 1996, Assayas joue avec sa propre œuvre et, par extension, avec l’histoire du cinéma lui-même. Le film original Irma Vep, qui mettait en scène Maggie Cheung dans le rôle principal, était déjà une réflexion sur l’art, le cinéma et le rôle de l’acteur. La série va encore plus loin en faisant revivre cet univers à travers un autre médium et un contexte totalement différent.


À travers le tournage chaotique de Les Vampires au cœur de la série, Irma Vep rend hommage à Louis Feuillade et à l’histoire du cinéma muet. Les séquences du film d’origine sont parfois intégrées à la série, ce qui renforce la mise en abyme tout en créant une continuité avec le passé. Assayas montre comment le cinéma peut se réinventer, se réinterpréter, tout en restant profondément ancré dans ses origines.


La série explore également la difficulté de faire du cinéma dans un monde où l’industrie est dominée par les blockbusters et les impératifs commerciaux. Le personnage du réalisateur René Vidal (joué par Vincent Macaigne), qui dirige le remake de Les Vampires, est lui-même en proie à ses propres démons artistiques. René est un réalisateur tourmenté, obsédé par son projet, mais aussi conscient des contraintes qui pèsent sur lui. À travers ce personnage, Assayas s'interroge sur ce que signifie être un cinéaste à une époque où l’art semble parfois sacrifié au profit du divertissement de masse.


La performance d’Alicia Vikander est évidemment l’un des points forts de la série, mais Irma Vep bénéficie également d’un casting éclectique et talentueux. Vincent Macaigne, en tant que René Vidal, incarne un réalisateur angoissé, tiraillé entre son désir de créer une œuvre d’art et les exigences d’un tournage qui semble constamment sur le point de s’effondrer. Son jeu apporte une certaine dose d’humour absurde à la série, tout en reflétant le chaos inhérent au processus créatif.


Le reste du casting, composé d’acteurs européens et internationaux, ajoute à la dimension cosmopolite de la série. Chaque personnage, qu’il s’agisse d’un membre de l’équipe de tournage ou d’un acteur, contribue à enrichir cette réflexion sur le cinéma en apportant sa propre perspective. Lars Eidinger, qui incarne l’acteur Gottfried, est particulièrement savoureux en star capricieuse et excentrique, ajoutant une touche de légèreté et d’humour à l’ensemble.


La dynamique entre ces personnages, avec leurs tensions, leurs égos et leurs doutes, reflète les coulisses souvent tumultueuses d’un tournage de film. Irma Vep montre ainsi le cinéma sous un angle désacralisé, en dévoilant les moments de chaos, de frustration et parfois d’échec, tout en célébrant la magie qui naît malgré tout de cette confusion créative.


Si Irma Vep peut déstabiliser certains spectateurs par son rythme lent et sa narration éclatée, cette approche sert parfaitement le propos de la série. Assayas ne cherche pas à créer un récit linéaire ou conventionnel, mais plutôt à nous plonger dans une atmosphère où le temps semble suspendu, où les frontières entre la réalité et la fiction se brouillent. La série se nourrit de cette lenteur pour approfondir les personnages et leurs dilemmes.


Certaines séquences, comme les répétitions du film dans le film ou les moments de flottement entre deux scènes, peuvent sembler anodines, mais elles participent à l'immersion du spectateur dans ce monde étrange et fascinant. Ce rythme contemplatif permet aussi à la série de développer une réflexion plus poussée sur le cinéma et sur le rôle de l’acteur, en prenant le temps d’explorer les processus intérieurs des personnages.


Irma Vep est une série singulière et audacieuse, qui parvient à mêler plusieurs niveaux de lecture dans une mise en abyme vertigineuse. Olivier Assayas signe une œuvre qui interroge à la fois le cinéma, l’art de jouer et l’identité des artistes, tout en rendant hommage à l’histoire du septième art. Portée par une Alicia Vikander magistrale, la série captive par son ambiance particulière, son humour subtil et ses réflexions profondes sur l’art et la création.


Irma Vep est bien plus qu’une simple série sur les coulisses d’un tournage ; elle est une exploration fascinante de la manière dont le cinéma façonne notre perception du réel et de nous-mêmes. Elle montre à quel point la frontière entre la fiction et la réalité est poreuse, et comment le cinéma, loin d’être une simple illusion, peut devenir un véritable miroir de nos angoisses et de nos désirs.

CinephageAiguise
9

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il y a 3 jours

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