Si vous cherchez un animé intelligent qui vous donne des frissons sans tomber dans l'extravagance à outrance ou la démesure fictionnelle, vous avez frappé à la bonne porte. Sorti en 2007, Kaiji est un animé emporté par un style graphique unique aux antipodes de tout ce que l'on connaît. Si vous pensez encore que les débuts stylistiques d'Oda pour One Piece rebutent, alors Kaiji vous rendra myope en 3 épisodes. Les différents chara-design sont fait de telle sorte à rendre les traits physiques très exagérés et vite ragoutants afin de bien renforcer le ressenti du spectateur. Pourtant, passé l'épisode 1, l'histoire, l'ambiance et la curiosité se seront vites chargés de balayer vos révulsions. C'est d'ailleurs l'aspect graphique qui donne le ton à la série et la rend si unique.
Kaiji raconte l'histoire d'un faux voyou de seconde zone nommé Kaiji (what a twist) doté d'un caractère un peu paradoxal. Un homme au cœur bon qui n'hésite pourtant pas à commettre quelques petits délits pour s'en sortir. Un jour cependant, un homme nommé Endo vêtu d'un costume noir et de lunettes noires sonne à sa porte. Notre héros apprend qu'il est endetté d'une sommes qu'il ne pourra tout bonnement jamais rembourser, quelque soit les moyens qu'il utilise pour y parvenir. Comment ? Cet idiot trop gentil s'est porté garant de la gestion d'argent de l'une de ses connaissances, ce dernier n'ayant pas hésité à le dépenser de manière totalement irréfléchie. Mais comment rembourser une somme aussi importante que vendre ta vie, celle de ta famille et celle de ta descendance sur une dizaine de générations ne suffirait pas ? Une solution : Espoir, le casino flottant, dans lequel il est invité à passer une nuit et où il pourra amplement rembourser sa dette. Il saute sur l'occasion après une courte réflexion. Vous vous doutez que la suite ne sera pas aussi belle qu'Endo, l'homme en noir, a prétendu l'être aux oreilles de Kaiji. On y découvrira un homme qui sombre sous l'effet des jeux d'argent, complètement soumis à sa propre adrénaline.
C'est à cet instant que l'histoire et les enjeux prennent forme. À partir de ce moment, l'animé entre dans une dimension parfaitement sombre et dénué de sens moral. Un monde où vous ne verrez plus jamais le jeu du Pierre/Feuille/Ciseau de la même manière, un monde où le jeu de carte le plus basique et avec les règles les plus simples devient une torture psychologique sans précédent pour quiconque y joue, faisant passer le Poker pour un banal jeu de réussite. À cet instant, méfiance et trahison, manipulation et ruse deviennent les maîtres mots de la situation. La série happe totalement notre attention tant les enjeux sont d'une importance capitale et le caractère du héros à l'opposé de ce que la situation exige. Diablement réaliste, furieusement obnubilant et terriblement bien développé, Kaiji propose une ambiance absolument givrante et efficace au sein de laquelle les personnages sont dotés d'une écriture précise et incisive, menant l'histoire avec un excellent sens du drame.
Mais Kaiji c'est aussi une très bonne critique de la corruption et de l'inégalité de répartition des richesses. Ah il ne ferait pas bon d'être un représentant politique français du moment dans Kaiji. Cette première saison est une suite épisode après épisode de retournements de situations tous plus inattendus les uns que les autres. On assiste à ce que l'argent et le désir qu'il implique peut produire de plus néfaste et de plus hideux sur Terre. Laissant apparaître les pires malices de la manipulation, que l'on soit d'un côté comme de l'autre, des situations extrêmes nous poussant rapidement à mettre de côté nos principes et à réagir sans l'ombre d'une logique. Réactions absurdes, volonté de survivre absolue, tout nous pousse à ne plus réfléchir et à prendre une décision parmi un choix extrêmement restreint visant précisément à nous pousser à l'égoïsme et l'erreur. Une saison qui montre, de manière très exacerbée et pas aussi exagérée qu'on pourrait le penser, la puissance de manipulation des gens qui possèdent le pouvoir par l'argent.
La seconde saison malheureusement s'enferme dans une idée un peu trop simpliste et efface le génie de la première saison pour laisser place à une stratégie plus osée, mais également plus chanceuse. L'analyse, la réflexion et la lecture de l'esprit de son adversaire sont beaucoup moins présent. En grande partie car le(s) adversaire(s) sont beaucoup moins intéressants. Moins charismatiques, moins intelligents, ils apparaissent comme transparents par rapport aux antagonistes de la première saison. En revanche la tension est toujours aussi maîtrisée et l'antagoniste principal n'est plus ici un personnage mais une machine, plus que ça même, un bâtiment, un lieu. C'est là que psychologiquement l'animé prend une ampleur inattendue. Les différents personnages ont créé une situation de laquelle ils ne peuvent sortir et dont ils ont perdu le contrôle total. C'est pourtant leur réflexion, et le combat psychologiquement destructeur qu'ils sont en train de subir, qui les mèneront à trouver une solution et à mettre un terme à cette situation palpitante retenant notre respiration durant chaque épisode.
Cependant c'est précisément cette fatalité à laquelle Kaiji est soumis durant la deuxième saison qui le ramène à sa situation de départ. Cette situation où il sentait la fatalité mener sa vie, cette fatalité qui l'avait emprisonné dans sa vie de faux voyou. Sauf qu'il l'a vaincue, il a vaincu ses propres démons à travers la chance et la malchance. Au travers de l'appât du gain, des jeux d'argent et de l'aléatoire, l'animé Kaiji délivre un message très fort. Le héros a subit un parcours terrifiant, mortel par instant, de quoi rendre fou n'importe quel individu lisant actuellement ces lignes. Et son parcours ne lui a apporté que malheurs sur malheurs, sacrifices sur sacrifices, concessions sur concessions jusqu'à devenir moins qu'une vermine aux yeux de qui accepteraient de lui accorder la moindre attention. Mais en en ressortant grandi, on comprends qu'il faut sans cesse se battre, que si notre volonté est juste et indéfectible, on pourra se prendre mille et un coups, mortels ou destructeurs, le résultat à l'arrivée sera peut-être risible pour les autres, mais pour vous, c'est ce que vous avez subit qui est risible comparé à ce que vous y avez gagné. En somme, si c'est un détail pour vous, jouer du piano debout peut vouloir dire beaucoup chez d'autres.
La morale principale semble abstraite et digne de n'importe quel shonen de première zone. Cependant cette fin permet également d'y voir une seconde morale beaucoup plus discutable, inattendue et bien plus discrète. Celle, en sommes, de l'effet papillon. Il apparaît d'ailleurs légèrement dommage que les personnages qui concluent l'histoire avec Kaiji soient tous uniquement tirés de la saison 2 et aucun de la saison 1. On passe notre vie à essayer de faire les bons choix, et pour quels résultats ? On trime en essayant de saisir des opportunités, on tente quotidiennement d'améliorer le train-train de notre vie. On essaie de ne pas succomber à nos pêcher et de conserver une ligne de vie droite car le karma nous rattrapera sans cesse. Et si vous faisiez volontairement les mauvais choix dans un but noble ? Sans jamais qu'on s'en aperçoive, c'est la véritable morale de cet animé. Tirer sur la corde, toujours et encore, jusqu'à ce qu'elle casse, car c'est seulement lorsqu'elle casse que vous en connaissez la résistance et donc les conséquences. Vous pouvez faire des choix pour influencer un futur proche, mais vous ne savez pas quel impact il aura sur le long terme. La conclusion de l'anime montre que le parcours du héros ne promettait à aucun moment de se terminer ainsi, en agissant comme il l'a fait, avec une inconscience notoire. Kaiji prouve pour autant que les choses que l'on fait n'apportent pas les résultats que l'on pourrait penser et qu'il faut des fois accepter des risques démesurés pour dissiper le gros nuages sombre derrière la brume qui nous fait face.