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Kengan Ashura est une bonne démonstration de la règle que je m’impose lorsqu’il s’agit de continuer ou non une série avant de rendre son verdict, à savoir donner cinq épisodes pour convaincre. Le procédé est faillible bien sûr. Bleach m’a plu pendant six à huit épisodes et fait lâcher vers le onzième, quand One Punch Man perd carrément son intérêt après les deux premiers. Cependant, la technique consiste moins à établir un plan fiable d’une série qu’à ne pas condamner une œuvre si elle emprunte un début très mal barré. Et dans le domaine, le manga de bagarre pour jeunes ou vieux ados se plaît trop souvent à exposer son univers, parfois réussi, via des scènes d’exposition indigentes de banalité et des resucées toutes plus consternantes les unes que les autres.

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Par exemple, si je vous dis qu’un manga débute avec une bagarre dans une ruelle ou un bar et met en scène un héros seul et sûr de lui face à des gens plus massifs, plus nombreux (souvent trois) et plus mal écrits dans leurs répliques, pour la seule raison qu’ils dénoncent l’incapacité des auteurs à créer des dialogues plausibles, vous devez réussir à tracer les canevas auxquels je me réfère. Bien sûr, les agresseurs sont souvent débraillés, vulgaires et fanfaronnent en exposant des armes, un avis de recherche ou autre artifice qui n’a aucun impact sur le héros. Héros trop stylé les ridiculisera devant témoin. Un patron de bar, une groopie, une groopie sous les traits d’un quadra en costard-cravate, tout est bon pour succéder les « oh mais quel homme », « quelle puissance c’est incroyable » et autres « je n’imaginais pas qu’il existait quelqu’un comme ça c’est un démon ».

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Sans ma règle des cinq épisodes, j’aurais cessé Kengan Ashura au bout de dix minutes, lassé de voir que j’ai déjà vécu ces scènes et que les héros badass font mouiller les culottes d’un public masculin qui semble s’extasier facilement devant des clones aseptisés, comme s’il était salutaire de raffoler d’un burger industriel et de le faire savoir à tout le monde. Et là, je pense devoir définir ce que j’entends par badass, ou plus exactement simili-badass.

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Trop bidasse!

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Avant que l’argument « tout est subjectif » ne pointe à l’esprit quand j’affirme que les vrais badass ne sont pas monnaie courante. Aussi faisons un petit cours accéléré sur la fainéantise pseudo-créative pour modeler un héros éligible à l’approbation facile d’un public amnésique. Vous voulez créer votre propre héros trop charismatique et pensez que c’est dur? Je vous livre la recette et vous défie de trouver ça plus compliqué que faire des boulettes de viande.

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Pour que votre héros soit badass, il faut qu’il soit beau. Faites-le musclé, bien proportionné selon le genre esthétique voulu. Il doit incarner la force sans dépasser la moyenne haute des gabarits des autres combattants. Veillez à ce qu’il ait un air blasé ou au moins inexpressif. Un air bovin qui ne réagit pas quand on lui arrache un poil de nez, c’est badass. Dans la vie réelle, on appelle ça des fades, des insuffisants mentaux ou des drogués. Mais votre héros, lui, il est badass. Au besoin et ce besoin arrivera, faites lui faire une grimace axée sur des yeux perçants écarquillés, un sourire carnassier façon killing joke et une aura à la con autour de lui pour bien souligner qu’il est plus fort que le commun des mortels.

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Pour les dialogues et attitudes, ne vous prenez franchement pas la tête car il s’agit de faire badass sans devoir compter sur le talent. Faites-le parler peu et optez toujours pour la tactique de la réplique par opposition systématique ou le mépris. On dit à votre personnage qu’il a un lacet défait, il répond qu’il n’a pas besoin de nouer ses lacets. On lui demande l’heure, il répond que ceux qui sont obsédés par le temps sont faibles. On lui dit qu’on a mal au genou, il répond que c’est parce qu’on manque d’entraînement ou que lui a appris à faire de la douleur une amie, ou optez pour le simple "bonne nuit". Bref, ne le faites jamais lancer les dialogues, seulement répliquer pour contrer et ce même devant des personnages qui n’ont aucune raison ni envie de jouer l’opposition. Le badass n’est pas qu’un zombie ou un cabotineur, c’est aussi un passif agressif.

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Enfin, comme votre badass n’est clairement pas original ni objectivement travaillé, validez-le par l’univers qui l’entoure. S’il jette une canette dans une poubelle, n’hésitez pas à ce que ses amis blêmissent en admirant la précision d’un tel lancer, si possible rejoué au ralenti. Les femmes doivent rougir ou être troublées par la senteur de musc et le regard éteint de votre badass. Enfin, veillez à ce que même l’ennemi de votre personnage saisisse chaque opportunité de lui lécher les bottes. Compliments homo-érotiques, pensées dites à voix haute pour souligner la toute puissance du bovin, déploiement d’un obstacle exagérément iconisé pour démontrer qu’il faut un forcément autre badass pour affronter un badass, veillez à ce que l’univers tout entier ne réagisse qu’à l’aune de votre insipide protagoniste. La validation sociale est importante et votre public aimera se glisser dans l’un des déchets en gravitation autour de votre soleil. Vous savez tout. Ah ! Et comme votre badass n’est sans doute pas sympathique (ça demande des qualités d’écriture pour y parvenir), ajoutez un élément un peu décalé pour montrer que vous n’avez pas un clone sans couleur propre. Faites lui dire qu’il veut manger, qu’il est incapable de vouvoyer, qu’il préfère dormir dans des voitures. Choppez un ou deux éléments aléatoires pour un faux semblant d’écriture et le tour est joué. Les absences de codes sociaux sont particulièrement conseillés. Gardez en tête que vous visez un public ado qui pense qu’il est rebelle de ne pas dire merci et qui aime quand un personnage comprend mal des propos ou les détourne de façon cynique pour troller. Ils défendront même votre honteuse création en citant toujours les mêmes éléments rachitiques pour en revendiquer l'originalité. Un peu comme les plans d'épaves ensablées dans un Episode VII.

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Forts de ces informations, constatons que tout y est pour notre badass Ashura. Tokita, notre héros du jour, a opté pour l’amour de la viande (de préférence chassée soi-même) ainsi que le fait de toujours nommer les gens par leurs nom et prénom et ce même quand ils lui font remarquer qu’il n’a pas à faire ça. Sinon, c’est un clone décrit ci-dessus. Le faire-valoir qui le suit, Yamashita, est un employé lambda d’une grosse firme et il ne sert qu’à iconiser le combattant pendant plusieurs épisodes. Kengan Ashura est, pour employer un terme consacré, franchement de la merde sur tout son début si on retire les combats, soit quelques minutes par épisode. Et encore, pour ma part je ne sauve que celui dans le parking de Full Contact.

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C'est un coup à prendre

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Cependant, la série éveille peu à peu des éléments rassurants. Tokita frime et est surhumain, mais on constate que ses adversaires peuvent également l’être et le mettent bien vite en difficulté. Il se blesse et doit gérer son état entre les rencontres, tout comme plus tard la série aura le bon goût de cesser de lui offrir du kaïoken gratuit en instaurant une règle d’autodestruction quand il passe en mode facile. Puis, le mode facile ne sera plus suffisant et le héros devra réellement apprendre et progresser dans un tournoi où il apparaîtra clair qu’il n’a pas encore le niveau pour l’emporter. Et ça, c’est intéressant parce que, même si on se doute qu’il va gagner, ce n’est pas un héros pleinement formé dont le suspense des duels ne repose que sur des ronds de jambe de mise en scène, voire l’éternelle connerie des personnages de bagarre à faire un demi-combat en sous-régime pour jauger l’autre. L’iconisation ennuyeuse de Tokita s’éthiole et un soin est apporté à mettre en lumière pléthore d’autres personnages aussi absurdes que savoureux dans leurs concepts. Je vous laisse les surprises, mais je vous donne un seul exemple pour illustrer.

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Il y a un personnage qui a appris le kung fu ancestral où on se bat comme des animaux. La mante religieuse, le tigre, tout ça tout ça. Sauf que le mec, il s’est dit que l’animal le plus dangereux, c’est l’humain. Et l’humain, il se bat avec des balles. Et ce qui est mieux qu’une balle, c’est une plus grosse balle. Du coup, le combattant fait des charges à la Bison de Street Fighter en imitant l’animal ultime qu’est le missile. Quand on en arrive à ce niveau de bêtise et que le manga est extrêmement généreux en idées farfelues du genre, l’effet commence à prendre et on n’entre non pas dans le plaisir coupable ni le nanar, mais bien dans ce qu’est véritablement Kengan Ashura : une déclaration d’amour au cinéma bis d’arts martiaux et aux grandes heures des jeux de baston sur borne d’arcade. Rappelons-nous que dans les années 80 une forme de mysticisme prégnait les arts martiaux et qu'on avait droit à quelques héros dotés d'autoguérison ou de la capacité à être encore plus forts sitôt aveugles. Kengan Ashura est un digne héritier de cette idéologie trop facilement moquée aujourd'hui.

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OK technique

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Pour orchestrer les rencontres, les corps hypertrophiés s’animent de façon fluide et soignée pour afficher des chorégraphies diverses et habilement empruntées aux vrais arts martiaux, mais aussi à toutes les références de jeux vidéos imaginables. Une part belle est donnée aux phases de lutte et de sol, mais pas seulement façon catch. On voit du jiu-jitsu, de la lutte et beaucoup de transitions au sol comme le feraient de vrais grappleurs qui veulent soumettre l’autre, pas seulement prendre l’ascendant pour tout jouer aux poings. La CGI employée peut déplaire, mais était certainement nécessaire à la réalisation des mouvements dans des budgets décents pour la série. On s’y fait et seuls les décors restent pauvrets du début à la fin. Une ruelle, une maison en ruine, une calde de navire, une arène, tout est virtuel et factice étant donné que le décor ne joue qu'un rôle extrêmement mineur dans les rencontres. l'arène est d'ailleurs démeusurément grande pour s'affranchir du souci des cordes ou grillages des rings.

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S’il n’y a pas de quoi rêver visuellement, la série se démarque par le style des combattants et les références qui les englobent. Des entreprises parodiées de Nintendo, Bandai et bien d’autres sponsorisent les poulains célébrant leur entrée avec des sons et lumières évoquant clairement la grande époque du Pride Fc. Son thème musicale est même doucement suggéré. Si essayer de trouver les clins d’yeux dans une œuvre est votre truc, vous avez de quoi vous amuser avec de gros melting pot. Surtout, la violence est présente, mais on n’abuse pas du gore porn. Si quelques combattants préfèrent effectivement tuer leur adversaire, la majorité reste dans l’idée de vaincre et les mutilations restent bien dosées. Ce qui est intelligent, car les moments les plus graphiques sont d’autant plus marquants et on évite d’avoir l’impression de regarder des gens se battre avec leurs moignons comme dans Mortal Kombat ou le Sacré Graal. Le favori du tournoi a d'ailleurs un surnom évoquant la destruction alors qu'on constate qu'il ne cherche jamais à tuer. De bonnes questions se sont posées sur le fait d'exposer des arts martiaux extravagants plutôt que des rixes barbares entre psychopathes. Coucou Baki.

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Ecchimose

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La saison une vous amène jusqu’au premier tour du tournoi et se conclut par l’affrontement entre Tokita et son premier adversaire. La seconde saison se conclut après le second tour de Tokita. Le gros point fort de la deuxième saison est le roaster de personnages du tournoi, mais la première regorge de prétendants aux qualifications, ce qui nous donne deux saisons entière de pures découvertes de tronches sans s'y perdre. On veut les découvrir et voir quelles idées les auteurs ont placées pour caractériser chaque bourrin. J’avais parié qu’il y aurait un français, gentleman ou effeminé, copiant un art de savate ou exécutant des déplacements dignes de films de capes et d’épées. Eh non, y a pas. Mais on a le coup du combattant venant de ce fameux pays pas si loin du Siam, du Japon ou de l’Allemange et qu’on appelle L’Afrique. Ils avaient faits la même dans le film Le Grand Tournoi avec Vandamme. Et si dans le film le combattant avait son slip léopard et ses grigris en brassards, ici les japonais optent pour la subtilité d’un combattant qui répand les femmes à poil tel des pétales de rose dans son sillage. Bob Makihara aussi était une caricature dans Enfer et Paradis, mais lui au moins était un des héros voués à une évolution (avortée) et demeurait une création d’un dessinateur de hentaï assumant le caractère pervers de son œuvre. Ici, c’est gratuit et plutôt malvenu.

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Les scènes qui ne sont ni de la bagarre, ni de l’intimidation entre mâles en muscles ou en costumes rappellent bien vite que les scénaristes sont des chèvres quand on se fait imposer de voir une scène d’agression sexuelle lesbienne entre deux nanas en bikinis. Heureusement, les interludes veillent aussi à exposer la relation entre Tokita et Yamashita (le faire-valoir devenu sponsor du héros) qui s’épaissira un peu dans la saison 2. Pas plus qu’une crêpe sans bière dans la pâte, mais bon on veille à un peu humaniser le bovin tandis que le peureux limite son jeu de technocrate soumis pour apprendre à s’affirmer et bomber le torse face aux autres requins de la finance présents. Une connivence entre eux s’instaure même et, même si ça reste mal fait, on apprécie malgré tout qu’un effort soit fourni à développer la relation entre les deux protagonistes. Yamashita n’est d’ailleurs pas un mauvais personnage sur le plan comique. C’est juste qu’on en fait toujours des caisses à le montrer tirer des expressions d’effroi en se lamentant non-stop. Surtout, il sert à verbaliser ce qu’on avait déjà compris et c’est vite insupportable. Avec plus de sobriété, il aurait fait une bonne touche de légèreté d’autant que des gags le mettant en scène sont vraiment bons.

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Tokita, quant à lui, reste un personnage extrêmement fade. Il participe au tournoi par vengeance et pour redorer le blason de son école, bon. Son côté détaché de la société offre quelques moments plus louables, comme une scène où il refuse un gain de pari remporté parce qu’il ne veut pas pervertir les rencontres avec des jeux d’argent. C’est un début, mais on a déjà écoulé deux saisons et l’évolution se traîne. Je vous passe l'ambiance sur les magouilles de gros bonnets de la finance, c'est satisfaisant, mais comme l'est une intrigue de WWE. Disons que le propos social est évoqué.

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Décision partagée

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Au final, je recommande la vision de Kengan Ashura. Si vous avez peu de patience avec les débuts foireux, vous pouvez passer les deux premiers épisodes qui sont vraiment nazes. Bien sûr, ne regardez cette série que par sensibilité envers le genre et l'appétence envers un certain hommage aux films comme Bloodsport ou Undisputed. Vous aurez aussi les typiques scènes de personnages observateurs qui y vont de leurs commentaires depuis les gradins, comme dans Olive et Tom. Je mets un 7 parce que c'est très bon pour la baston mais vraiment pauvret pour le reste. La plus grande force de Kengan Ashura est pour moi de réussir à restituer une influence rétro de la grande époque des arts martiaux avec une esthétique moderne. Il ne manque que les musiques de Stan Bush et on est à la maison, trente ans en arrière.

Gharrosaurus
7
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le 20 sept. 2023

Critique lue 162 fois

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Gharrosaurus

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