Cyberpunk: Edgerunners
7.5
Cyberpunk: Edgerunners

Anime (mangas) Netflix (2022)

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Des personnages de manga dans un scénar polonais dramatique avec pour origine une franchise américaine héritière d’un magazine français et qui aborde un genre punk avec option « déconner avec la nature se paye » sur la plus progressiste des plateformes VOD internationales. Le simple fait que ce produit existe a le mérite d’attirer l’attention. Peut-on regarder la série sans avoir joué au jeu de rôle ou au jeu vidéo ? Bien sûr. Cette critique va-t-elle dévoiler le contenu de la série ? Oui, jusqu’à la dernière séquence. Je vous suggère d’ailleurs d’avoir vu la série avant de lire ces lignes, sauf si vous ne comptez pas la voir et cherchez des arguments pour vous laisser tenter.

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David contre Goliath. Tout contre.

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La série s’ouvre sur une scène d’exposition de toutes les mécaniques de combat d’un tueur de masse ayant jeté son dévolu sur les policiers de quartier sous équipés. Canon dans le bras, lame rétractile, déplacement rapide, on assiste à tout le panel d’un gameplay démonstratif laissant presque à penser que la série est en lien avec un jeu vidéo que personne ne connaît. Après une exécution du cyberpsycho en vue subjective, nous découvrons notre héros, David, jeune trafiquant de snuff movies qui adore se glisser dans la peau de tueurs jusqu’à leur trépas. On comprend bien vite que la vie n’a aucune valeur dans cet univers ultra technologique où la raison est vestige d’un passé oublié et la passion seule essence des âmes anonymes d’une mégalopole auto-alimentée par des corpos devenues chimères tangibles comme un Sin de Final Fantasy Dix dont les squames, en complot-tailleur, passent leur temps à servir de fluide synovial nécessaire à laisser celui d’en haut glisser sans se fragiliser sur celui du bas.

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Dans cette fresque dystopique pourtant familière de notre monde réel qui a déjà pénétré dans le cyberpunk, David n’est ni jugé par la série, ni excusé. C’est un antihéros qui ne trouve pas sa place dans un monde rongé par les gangs chaotiques massacrant au hasard les quidams et les institutions agréées ayant déjà choisi qui sera proie et qui sera prédateur. David, donc, grâce à un implant supposé trop lourd à porter pour lui, trompe la prédétermination en devenant un être trop puissant dans un monde qui n’a aucune place pour l’anomalie non-marquetée, non-classée dans un moule dédié à son usage. Seule solution offerte à lui : devenir un Cyberkepon, un Edgerunner, un mercenaire à qui on promet beaucoup de fric s’il accepte des contrats officieux de divers agents aux motivations troubles. Notre Martinez - c’est son nom - épousera alors la juste comparaison avec l’ascension, puis la chute d’un Tony Montana conscient de l’issue qui l’attend et dont le seul acte humain l’amènera à la mort. Mais, et là la comparaison s’arrête, également à une forme de salut.

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Si j'ai tout compris, c'est que c'est mal expliqué.

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J’ai lu çà et là que certains regrettent la simplicité des personnages, jugés fades, simplistes, caricaturaux. Je dirais pour ma part qu’ils sont archétypaux et comme le dit le personnage de Clooney dans Up in the air : les stéréotypes sont un gain de temps. Si je vous dit mexicain dans un une ville américaine, vous allez forcément supposer qu’il est en bas de la pyramide sociale, par exemple. Vous n’êtes pas raciste, vous avez les codes des archétypes qu’on vous a déjà servis 50 fois. Cyberpunk utilise sans modérations ces raccourcis pour éviter de devoir trop exposer des personnages dans un univers bien plus important qu’eux et des thématiques riches avec seulement dix épisodes de vingt-vinq minutes pour tout boucler. Pourtant, malgré ces facilités de narration, les personnages ont une consistance propre. Leur seul design suffit à comprendre nombre de choses les concernant. Par exemple, la série leur offre des mots de vocabulaire propres à l’univers d’une Night city d’ultra-violence et droogies comme devotchkas ont leurs quelques traits de caractère suffisants à les démarquer. Les meilleurs traitements reviennent à Lucy, la quête de rédemption et amoure de David, ainsi que Rebecca.

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La première présente au départ bien peu d’intérêt puisqu’elle n’est qu’une femme calculatrice aux airs impénétrables et dont la simple tignasse blanche et les fringues empruntée à Motoko Kusanagi semblent dire « bre-som est mon histoire ». Elle l’est du reste vu que la malheureuse est un sujet d’expérience en éternelle cavale sans famille, sans attache ni originalité d’écriture. Mais Lucy dépasse son stéréotype ennuyeux à mourir en présentant des facettes d’humanité et d’altruisme. Elle a peur, s’attache bien vite à David et mène une double-vie consacrée à sa protection jusqu’au combat final. Mieux encore, ce n’est pas une coquille que David parvient à briser malgré elle mais bien un personnage qui désire et fait le choix de partager ses secrets à un personnage assez respectueux de ses silences.

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La seconde, Rebecca, semble être une loli avec son mode « petit truc qui crie parce que c’est rigolo les gamines hystériques ». On pourrait se contenter de lui souhaiter une carrière prospère sur rule 34 et passer à autre chose. Sauf que Rebecca aussi est plus écrite que de prime abord. On sait ce qu’elle veut, ce qu’elle pense de la plupart des autres personnages de l’équipe et elle sert de façon très efficace de lien social et de soutien à David dont elle assiste, impuissante, à la chute.

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Enfin et sans vouloir trop m’appesantir sur les personnages, je vais rendre un peu de lumière à Maine, le leader et mentor de Martinez très peu cité alors qu’il est important pour le héros comme la façon qu’a la série de traduire son univers. Maine est l' ex-militaire classique et une porte d’entrée sur les Edgerunners. Il frappe souvent David via des gifles diverses, pour le punir comme le motiver ou même lui dire qu’il l’apprécie. La violence mutuelle est même un langage pleinement accepté dans son couple et amène à se poser une question : comment se dit-on qu’on s’aime dans Cyberpunk ? La réponse que je tire de la vision de la série est qu’on ne se le dit pas.

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L’amour existe, puisque naturellement ancré dans notre corps et notre âme (la notion d'âme est citée dans la série). Seulement, dans ce monde hyper matérialiste où ne compte que sa performance, son pouvoir ou sa réputation, le corps humain, de sa chair à ses expressions abstraites les plus fondamentales, laisse place à des greffes artificielles et à des codes préprogrammés. Pourquoi aucun des protagonistes ne cherche à survivre quand la cybernétisation les rend fous ? Parce qu’ils ne vivent que par la fuite en avant et, même s’ils constatent l’inquiétude de leurs proches, aucun n’a la moindre importance par rapport au désir pourtant humain de préférer vivre avec les siens qu’échouer à être une version fantasmée de soi. On comprend qu’ils sont tous aliénés par Night City et appliquent l’amour et l’amitié sans savoir comment ça marche. Surtout, sans comprendre l'importance de cette chose qui les rend aptes à remettre en question le cyberculte. Un ami proche veut se foutre en l’air ? Qui sommes-nous pour l’en empêcher ? C’est son choix et comme la vie n’a aucune valeur, la perte d’un être cher qui risque de virer tueur de masse est à accepter. Si Cyberpunk nous expose des fous sans les juger, il juge allégrement le monde qui a créé ses monstres.

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What is love ? Baby don't hurt me

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On ne promeut pas l’amour, mais on promeut le commerce du sexe. Casques VR avec pompe à bite connectée, les gens se masturbent via ces appareils même dans les rues, illustrant l’assouvissement de besoins primaires par pur mécanisme et sans se soucier de la collectivité. L’absence d’intimité se constate même via l’absence de pudeur des personnages ou le fait que les appels téléphoniques directement dans le cerveau ne semblent pas offrir d’option d’acceptation ou non de la venue d’un interlocuteur, à moins que ce ne soient les personnages aliénés qui ne puissent pas s’empêcher de répondre.

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Je défends l’idée que tous ces éléments empruntent bien plus aux univers viciés d’un Métal Hurlant moderne qu’à la simple envie d’offrir de l’ecchi, de l’érotisme facile pour attirer l’adolescent las de s’astiquer l’argenterie sur les effigies de ses boîtes de kellogg’s. Certes, certains plans sont gratuits et exposent un peu inutilement le short moule-moule d’un personnage ou une paire de seins soigneusement dessinées pour le besoin du gros plan. Mais tous les corps montrés, sans exception, soulignent leur aspect factice. Les implants cybernétiques laissent des marques sur les corps à l'instar des rainures sur les coques de smartphone. Les poitrines comme organes génitaux laissent une interprétation libre sur ce qui est du vrai ou une plaque de métal pour les quelques cas où la couleur de la peau ne laisse pas deviner que tout a été remplacé. Les corps sont objectivement esthétiques, mais à aucun moment ils ne veulent promouvoir l’idéal de cet aspect déshumanisé. Il n'en ressort qu'une impression glauque de gens qui traitent leur enveloppe charnelle comme un outil bon à bidouiller selon l'utilisé désirée. Lucy n’est pas Druuna et Rebecca n’est pas Marie Rose de Dead or Alive.

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Objectif Lune

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Soit et pour recoller à l’histoire, David, traumatisé par les dégâts collatéraux qu’il a causés, conscient que ses implants l’amènent finalement à la cyberpsychose, traitera l’hubris par fuite en avant jusqu’à la mort et tâchera d’accomplir les rêves des gens qu’il aime, travailler aux rêves des autres étant la caractérisation principale de Martyres. Sa mère voulait qu’il gravisse les échelons de la corporation Arasaka ? Certes, il a rejeté les appels à le réintégrer dans les jupons nippons, mais avec ses implants le voilà littéralement propulsé au sommet de la tour. Lucy veut fuir la Terre pour aller vivre dans une colonie lunaire ? Certes, il ne l’y a pas emmenée quand ils en avaient les moyens, mais là avec le dernier contrat il lui offrira un billet à titre posthume. Maine voulait devenir un Cyberpunk ultime ? Il n’y arrivera pas plus que lui, mais il peut tenter de défaire le soldat le plus cybernétisé du monde avant d’y passer.

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David obtient des victoires mineures et détournées sur toutes ses quêtes. L’affrontement contre Adam Smasher (le cybersoldat ultime) est d’ailleurs autant un gros clin d’oeil aux connaisseurs de la licence qu’une apothéose bienvenue étant donné que Martinez en plein bad trip se confronte à ce qui incarne le mieux son lui mais en réussi, l’humanité en moins. Le duel, graphiquement inventif, mais sans grand suspense, amènera surtout Martinez à protéger sa belle et à consacrer les dernières minutes de sa vie à celle qui est devenue sa seule raison de vivre et de mourir. Il trouve enfin sa propore raison d'exister et devient un humain émancipé le temps de cette ultime scène. Une réussite personnelle due à Lucy, sa quête et sa seule façon de prolonger sa vie en dehors de la cyberpsychose également.

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Car si personne n’évoque l’amour dans Edgerunners, il existe bel et bien. C’est une entité qui se manifestera « scientifiquement » en ramenant plusieurs fois David du point de non-retour, tout comme Maine avait réussi à parler avec David pendant la préparation des funérailles de sa femme. L’amour, c’est un bug dans cet univers. Un bug qui fait planter la déshumanisation des personnages par la machine. La machine étant à la fois la vanité des individus, mais également le symbole religieux d’une oppression par contrôle idéologique des puissants envers le peuple, l’amour devient une arme de salut, d'émancipation spirituelle et la valeur absolue en laquelle les gens doivent croire. Il n’est pas innocent de montrer, en scène finale, une Lucy sur la Lune ayant accompli son but ultime, pour finalement rester sur une impression douce-amère volontairement sobre lorsqu'elle pense à David avec elle sur ce lieu où elle a obtenu ce qu’elle voulait, mais demeure seule. Tandis que les corporations pensent toujours que leur salut viendra de reliques technologiques d’un monde ancien et que le progrès justifie le sacrifice de la population. Chacun, à son échelle, laisse le monde dans son état et se contente d'un épilogue satisfaisant, même s'il y a un côté vain à la satisfaction de son objectif.

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Implant fixe

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Pour aborder de façon succincte la technique, je résumerai en disant que c’est un bon mix entre les vraies véhémences artistiques et les cache-misères plus ou moins habiles. Séquences dupliquées, plans fixes pour laisser défiler les dialogues, passages à la limite de l’affreux (le combat entre le motard japonais et les héros expose des personnages brouillons et difformes), des animations à qualité aléatoire et quelques fautes de goût, comme le triple plan d’exécution de chaque personnage pour en augmenter l’impact alors que ça l'amoindrit, à fortiori quand un perso figurant a droit à la même astuce que les protagonistes . A contrario, il y a de beaux passages (l'animation sur la Lune, l'emploi de la slow motion via l'implant de David), des moments où le gore ne se contente pas de pots de peinture rouge et des décors magnifiques; à mon souvenir leur intégralité. Beaucoup d’œuvres qui se veulent cyberpunk abusent des néons et de couleurs vives flanquées en vrac pour faire futuriste. Le résultat est grostesque et donne un effet cheapouille.

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Or, Edgerunners utilise la même méthode, mais en bien. C’est coloré sans oublier une forme de beauté dans les compositions d'images entre les tenues des personnages et le fond. Toute la ville se présente davantage comme une projection plausible de mégalopole technophile plutôt qu’un fantasme d’illustrateur fanat de criard et d’hyperboles graphiques. On peut y croire à Night City. La série n’oublie bien sûr pas son emprunt à l’animation japonaise et les règles de la physique sont bafouées en permanence dès qu’il s’agit de manœuvrer des voitures. L’effet grotesque offre tout de même une certaine réjouissance via l’envie d’illustrer une façon davantage débridée que poseuse de ses course-poursuites. Ce n’est pas parfait, mais pour une série d’appel pour vendre du jeu-vidéo et des produits dérivés il faut admettre qu’on a droit à une vitrine de luxe et qui respecte à la fois son écrin et son public. Les défauts évoqués peuvent sans trop de mal être imputés à un manque de temps ou un besoin de resserrer le budget.

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Au passage, l’album de la série a été salué. Perso, je n’aime qu’un seul morceau, dont les sons me semblent paradoxalement tous moches. Mais mis ensemble, il y a un truc qui me parle. M’enfin, ça reste un album très conseillé par des gens bien plus érudits que moi en la matière et dans tous les cas intéressant à découvrir.

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Dix qu'on aime....ou presque.

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Au final, que vous ayez ou non votre expérience dans l’univers de Cyberpunk, voire son genre, donnez sa chance à cette série. Tout ne vous plaira pas forcément, mais elle est riche en bien des domaines et aura autant de chances de vous toucher. Surtout, voyez si le simple et bien fait vous parle. Les fils narratifs ont beau n’apporter aucune surprise sur la seconde moitié, l’exécution est propre et efficace pour bien des spectateurs de divers horizons. Et si vous n’avez jamais trempé un orteil dans Ghost in the Shell, Evangelion ou Métropolis, Cyberpunk Edgerunners est une excellente porte d’entrée car il en reprend des thématiques tout en garantissant un divertissement populaire et respectueux du spectateur. Pour moi ce sera un 8. Un pur vote du coeur m’aurait fait monter à 9 car j’ai voulu revoir la série depuis le début sitôt son générique de fin. Mais avec un peu de recul….oh eh puis merde, allez je mets 9 !

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Après tout, l’émotion a marché sur moi et ça met un taquet à l’idéologie actuelle qui veut que chacun puisse devenir son propre dieu fantasmé. Arrêtez de vous filtrer la tronche pour des selfies qui vous donnent toujours la même peau floue dégueulasse et ne sous-estimez pas l’importance d’avoir des gens qui tiennent à vous. Soyez humains, pas des produits prédéterminés par ce que des gens qui n’ont rien à foutre de vous vous enjoignent à devenir. Et le Coca Cola Zéro est un mensonge. Il est sans sucre, mais pas sans diabète express de type 2.

Gharrosaurus
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le 17 sept. 2023

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Gharrosaurus

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