Kingdom
7.3
Kingdom

Drama Netflix (2019)

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Saison 1 :
Oui, on peut être passionné par le cinéma coréen depuis presque 30 ans et n’avoir encore jamais regardé une série TV du pays du matin calme. Heureusement, Netflix est là pour nous aider à corriger cette lacune, et nous voilà devant ce "Kingdom", à essayer de séparer le bon grain de l’ivraie. Ou plus exactement à reconnaître ce qui est ici intrinsèquement du « cinéma coréen » par rapport à ce qui ressemble quand même à du recyclage – ou, admettons le, peut-être même du détournement de grandes séries « globales », histoire de s’assurer un certain retour sur investissement. Car "Kingdom" est clairement un projet cher, une oeuvre située dans un contexte historique nécessitant costumes magnifiques et constructions grandioses, un vrai « grand spectacle » – a priori sans effets digitaux, au moins visibles, ce qui est rafraîchissant en soi -, qui nécessite donc une large adhésion populaire. C’est d’ailleurs sans doute là, dans un certain nombre de facilités dans le genre « humour asiatique bien lourd » que "Kingdom" aura peut-être fait le plein de téléspectateurs dans la région, mais rebutera bien des Occidentaux peu friands d’interprétation grimaçante et de personnages au burlesque primaire…


Il serait néanmoins dommage de ne pas supporter ces scories pour pouvoir jouir des nombreuses qualités d’une série qui revêt naturellement les caractéristiques du meilleur cinéma local en mélangeant effrontément terreur, gore, action et politique. Comme un arrangement improbable entre un "Game of Thrones" plus « réaliste », oui, oui… et un "Walking Dead" beaucoup plus sauvage, si l’on veut…


On a donc droit à une lutte acharnée et retorse pour le pouvoir, avec comme grands méchants un père ambitieux et surtout sa fille redoutable de duplicité derrière sa séduisante allure innocente, et du côté des « bons », un grand dadais à la noblesse et à la naïveté régulièrement ridicules. L’intelligence du scénario de "Kingdom"est de rendre ce conflit à la fois consistant et politiquement « actuel » en insistant sur l’incurie et le mépris de l’appareil politique et administratif du pays, et sur la situation horrifique du peuple coréen, terrorisé par le pouvoir de vie et de mort que ses dirigeants ont et exercent sur lui, et abandonné à la misère et à la famine.


Dans ce contexte violemment révoltant, l’éruption sauvage d’une épidémie transformant les gens en zombies assoiffés de sang prend du coup un sens beaucoup plus intéressant : la maladie est le résultat direct d’une manipulation de la famille royale, mais la « zombification » du monde renvoie aussi à une sorte de révolution radicale balayant l’édifice oppressant des classes sociales. Que l’on ait fait le choix ici de morts-vivants véloces, comme dans "Dernier Train pour Busan", nous garantit en plus nombre de scènes de poursuite et de bataille rangée parfaitement spectaculaires, ce qui ne gâche rien !


L’oscillation entre scènes (voire épisodes entiers) dédiés aux machinations politiques et grands moments fantastiques ou d’action permet en outre à "Kingdom" de ne jamais nous lasser, et de se démarquer notablement de ses « modèles », prouvant encore une fois que le fameux « mélange de genres » coréen fonctionne aussi bien, même dans un contexte plus commercial.


Formellement splendide, "Kingdom" clôt sa première saison avec un dernier épisode particulièrement malin, mélangeant tension et surprise scénaristique aux lourdes conséquences. On attend la suite avec impatience !
[Critique écrite en 2019]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2019/12/19/netflix-kingdom-la-coree-produit-aussi-de-grandes-series/


Saison 2 :
Si l’on avait pu émettre quelques réserves devant la première saison de "Kingdom", comme sur les touches de burlesque pas vraiment drôles, et peut-être aussi sur une certaine difficulté (initiale au moins…) pour le spectateur occidental à appréhender les relations personnelles et rapports politiques entre les multiples personnages, cette seconde saison de la série coréenne à grand spectacle "Kingdom" se révèle parfaitement emballante, peut-être même ce qu’on a vu de plus « cinématographiquement » enthousiasmant sur nos petits écrans en cette première partie de l’année 2020.


Le premier point fort de "Kingdom", encore plus criant, ici, c’est sa beauté visuelle, certes habituelle – dans une version picturale souvent figée - dans un certain cinéma asiatique de « reconstitution historique », mais ici sublimée par de remarquables idées de mises en scène et de mouvements. La plupart des épisodes sont réalisés par l’encore inconnu Park In-je, mais on a envie de retenir son nom, tant il est capable de rendre intéressantes les scènes les plus convenues, en particulier lors des longues scènes de bataille rangée entre « monstres » et humains : on ne peut s’empêcher de se dire régulièrement que si "Walking Dead" avait été mis en scène avec ce talent, on aurait pu passer sur la plupart de ses faiblesses scénaristiques !


Mais ici, point de faiblesse scénaristique – si l’on ferme les yeux sur certains déplacements de personnages d’un lieu à l’autre un peu trop rapides (un défaut que l’on relevait aussi dans "Game of Thrones", rappelons-le…) – mais au contraire une histoire formidable, tant du point de vue politique qu’humain, qui se révèle dans cette seconde saison finalement plus passionnante encore que les confrontations gore avec les morts-vivants. Les complotistes parmi nous – et les autres, gageons-le - adoreront l’idée, fort contemporaine, d’une épidémie provoquée sciemment par les gouvernants à des fins d’abord militaires (disposer d’une armée de monstres pour résister à l’ennemi nippon), puis politiques (garder le pouvoir à tout prix), en sacrifiant sans aucun état d’âme le peuple, qualifié en permanence de « sous-humain » : voilà un sujet qui ne pourra que nous interpeller dans notre situation de victimes d’une pandémie peinant à comprendre les décisions politiques qui nous affectent !


Difficile donc de ne pas se laisser emporter par la puissance « lyrique » des deux grands combats ouvrant et fermant cette saison, la scène « finale » du lac gelé s’avérant particulièrement puissante et pouvant donner des leçons aux réalisateurs de "Game of Thrones". Difficile aussi de ne pas se passionner pour les multiples complots et stratagèmes politiques qui s’entre-mêlent entre ces deux « grands moments » de la série. Difficile même de ne pas frémir aux côtés des personnages principaux, qui ont – pour la plupart – perdu dans cette saison leur côté parodique et ont gagné en profondeur, à l’image de l’excellent Ji-Hoon Ju qui confère cette fois une véritable humanité à son Prince Lee Chang, ou de l’actrice fétiche des Washowski, Doona Bae (vue en particulier dans "Sense8" et dans "Cloud Atlas"), très convaincante en femme du peuple et médecin brillant.


On se montrera plus circonspect quant à l’épilogue final, qui semble promettre une suite dans un registre « policier » kitsch (oui, on a pu penser à un moment aux films déraisonnables de Tsui Hark) qui risque de décevoir après la splendeur de cette seconde saison. Mais on fera confiance à King Seong-hun et à son équipe pour maintenir le même niveau d’excellence dans un autre genre.
[Critique écrite en 2020]
Retrouvez cette critique et bien d'autres encore sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2020/05/20/netflix-kingdom-saison-2-les-zombies-du-pays-du-matin-plus-si-calme/

EricDebarnot
7
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleures séries de 2019

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le 19 déc. 2019

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Eric BBYoda

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