Oui, à choisir, Haendel est quand même plus approprié que Offenbach quand on écrit une série qui se passe en 1813.
Car c'est une série qui se veut l'adaptation d'une saga de 9 volumes de Julia Quinn, La Chronique des Bridgerton. Julia Quinn, dans la grande lignée de Barbara Cartland et tant d'autres, s'appuie sur un contexte historique certain pour créer une œuvre imaginative et fantasque.
Ici, nous sommes donc en 1813, à l'époque georgienne, George III plus précisément. Lady Bridgerton, veuve, a huit enfants : nous nous intéressons plus particulièrement au destin amoureux des cinq aînés, ainsi qu'à celui des trois filles et de la cousine de la voisine Mrs Featherstone.
Tout ça, forcément, ça fait beaucoup de personnages, qui sont aussi bien développés que possible. Par chance, Lady Bridgerton a eu la bonne idée de nommer ses enfants par ordre alphabétique, ce qui permet de mieux s'y retrouver. Et on comprend assez vite que le fil conducteur de la Saison (avec et sans majuscule) est le pas de danse du beau duc ténébreux Simon, duc de Hastings, et de la jeune Miss Daphne Bridgerton, ce qui assure la cohérence. Nous voilà rassurés.
Soyons clairs, les rebondissements ne sont guère originaux et Julia Quinn n'a rien inventé. Grande lectrice de Barbara Cartland dont j'apprécie, à défaut de l'intrigue sirupeuse, la précision des préfaces historiques, je pourrais citer facilement trois ou quatre de ses livres qui tiennent sur le même scenario. Les personnages sont clichés au possible, le beau duc ténébreux, l'aristo qui veut mais ne peut pas épouser une actrice, l'aristo qui brûle de faire l'interdit, la jeune fille de bonne maison qui rêve d'être à l'égal des hommes, l'artiste homosexuel... Allez allez, c'est du connu tout ça. Ce qui est intéressant, c'est de jouer avec le cadre, pas de le tordre en plaquant des problématiques et idéaux du XXIe siècle sur du XIXe siècle. Attention, je ne dis pas que tous ces cas de figure n'aient pas existé. Mais soyons clairs, c'est commercial aussi. C'est ce à quoi s'attend un lecteur du XXIe siècle, qui lit en frissonnant agréablement le parfum du scandale et de l'interdit à bon prix. Mais tout de même, il est possible de faire mieux. C'est la raison pour laquelle j'adresse ma révérence aux personnages de Violet, Daphne, Marina, Penelope et Mr Featherstone, qui restent dans le cadre et s'en sortent remarquablement bien. Quelques intrigues secondaires ne sont pas en reste, et méritent à mon sens bien plus d'attention que les intrigues principales.
Jetons un voile pudique sur l'aimable représentation des personnages de toutes les couleurs. C'est comme le sparadrap du Capitaine Haddock, ça titille et ça agace, et, à titre personnel, ça m'a cassé toute immersion. Mais enfin, je me console en me disant que les films du XXe siècle n'étaient pas exempts de clichés eux non plus. Il paraît qu'il faut vivre avec son temps, et remplacer des clichés par d'autres clichés. Tant qu'à faire, étendons le voile pudique aux scènes dénudées. Il paraît qu'il faut vivre avec son temps, et accepter de faire le voyeur dans des scènes autrefois réservées aux chambres à coucher.
Heureusement, il reste les costumes et le décor. Même si je trouve le style Régence horriblement laid, mais ce n'est qu'un avis personnel, et le décor un peu carton-pâte parfois, reste qu'on n'a lésiné devant rien pour nous faire revivre cette époque. Les fêtes somptueuses et thématiques (eh oui, le bleu du bal des Hastings), les pique-niques, les promenades, certaines conventions sociales même que l'on retrouve, bref, même s'il y a un certain nombre d'anachronismes ça et là, nous sommes bien en 1813, et cela fait plaisir.
Allez, un peu d'indulgence pour cette série. Le scenario est cousu de fil blanc, certains personnages sentent un peu trop leur façon, on ne parvient pas à oublier totalement que nous sommes aussi au XXIe siècle, mais il y a quelques bonnes surprises, des intrigues secondaires bien dans leur époque, quelques personnages bien travaillés, des décors et des costumes superbes. Alors, Lady Whistledown, à vous de jouer pour une 2e saison.