https://www.editions-maia.com/livre/seriellement-votre-drai-pierric-9791042506483/
Un passé non digéré
Outre son massif montagneux isolé et son abbaye bénédictine, Montserrat s’avère être un lieu de pèlerinage pour ufologues espérant établir le contact avec une vie extraterrestre. Dans cette curieuse ambiance ésotérique et alors qu’il prend ses aises dans le café de l’hôtel où il réside à l’occasion d’un tournage, Enric est soudainement happé par les images d’un groupe de musique uniquement composé de jeunes filles. C’est tout d’abord la tenue vestimentaire datée de ces demoiselles ainsi que le kitsch absolu de leur clip qui saute aux yeux. Quant aux paroles de cette chanson désolante de mièvrerie, elles se contentent d’appeler les personnes recluses à se tourner vers un Dieu dont elles portent le message. Devant un tel étalage de sérieux dans le mauvais goût, on peut comprendre que cette vidéo soit devenue virale sur les réseaux sociaux. Mais Enric, lui, ne peut détacher son regard hagard de l’écran, à tel point qu’il finit même par « s’oublier ». Dès lors, le récit nous replonge une trentaine d’années en arrière quand Enric et sa petite sœur Irene étaient élevés par un mère défaillante au doux nom de… Montserrat. Un mère au langage inadapté et aux mœurs dissolues dont elle ne protège aucunement ses enfants. Leur vie à tous les trois va cependant prendre une tournure inattendue lorsque cette dernière trouve refuge auprès d’un homme dévot et sectaire qui voit en elle une âme sainte. La série s’attardera par la suite à nous dépeindre la vie d'enfermement qui fut la leur quelques années plus tard, lorsque Montserrat, devenue aigrie et injurieuse envers ses proches, se découvre le don de communication avec Dieu. Il restera enfin à Enric le besoin de renouer contact avec sa mère pour laquelle il éprouve des sentiments ambivalents en plus de venir en aide à des demi-sœurs littéralement coupées du monde extérieur. Il s’agira surtout pour lui d’enfin trouver la paix malgré les souffrances qu’il a endurées durant son enfance.
Un premier acte intéressant
Découpées en trois parties distinctes, « la Mesias » nous dresse dans un premier temps le portrait d’une mère exubérante sans aucun principe éducatif. Trop occupée à festoyer et à se prostituer par par manque d’argent, Montserrat prive Irene et Enric de scolarité, les convie à participer à ses soirées quand le bruit des adultes les empêche de trouver le sommeil ou les expose à la nudité de ses amants. Le reste du temps, ils n’ont d’autres choix que de combler l’absence de leur mère en subvenant eux-mêmes à leurs besoins. Même sa communication est en tout point désastreuse : en effet, ses paroles les amènent soit à endosser des responsabilités trop lourdes pour leurs petites épaules, soit à faire état de confidences intimes impropres à la bonne construction psychique d’enfants de cet âge. Ces deux épisodes saisissants sont sans conteste les plus stimulants de la série tant ils dépeignent avec une grande justesse une femme tellement irresponsable qu’on se prend à appréhender l’impact généré par son comportement sur sa progéniture. Pour autant, cette réalité glaçante se voit entrecoupée par le quotidien d’un Enric dont le mal-être peine à nous attendrir. Peut-être parce qu’il délaisse soudainement son travail pour faire n’importe quoi (se battre avec des jeunes dans un bar puis coucher avec une adepte du spiritisme extra-terrestre) ou parce qu’il entretient un lien particulier avec le monstre de Roswell ? C’est possible. Mais c’est aussi parce que Roger Casamajor, qui l’interprète, n’a pas l’occasion de donner un autre visage à son personnage que celui d’un homme désespérément déboussolé. Un manque de diversité dans les expressions qui, rapidement, finit par agacer.
Des personnages figés
Ce problème, on le retrouve lors d’une troisième partie qui lui est majoritairement consacrée. Mais à son désarroi vient se rajouter la froideur d’une sœur qui s’est forgée une carapace pour se construire une vie décente. Deux postures immuables comme si ces êtres humains ne se définissaient qu’au travers de leur douleur respective. Sans la minimiser, il aurait été préférable de ne pas réduire Irene et Ebric à cette émotion primale et nous montrer au contraire qu’elle s’inscrit dans des personnalités complexes qui la rendent singulière. Ce reproche, on peut également l’adresser à la manière dont nous est dépeinte Montserrat, cette tyrannique mère destructrice. Si on la découvre inconséquente et extravertie dans sa jeunesse, c’est une toute autre femme qui nous est donnée de voir par la suite. A la manière violente et culpabilisante qu’elle a de souligner la constante ingratitude dont elle se sent victime s’ensuit cette période fondatrice où elle se sent en lien avec Dieu. Ses crises de colère puis de démence s’avèrent, il est vrai, très « photogéniques » et ne laissent pas insensible le spectateur. Toutefois, ils ne disent rien ou presque de ce qui a mené à cette forme de folie. Le rendu est assez impressionnant formellement : Montserrat hurle, injurie, traverse des phases de « possession ». Mais cela ne suffit pas à masquer le vide narratif de ces interminables épisodes… Et s’il paraît incompréhensible que les auteurs aient choisi des actrices différentes pour incarner ce personnage «extraordinaire », il est regrettable de constater que cet étrange parti-pris reflète parfaitement le peu de lien existant entre les différentes étapes de sa vie.
Des messages forts noyés dans une mise en forme décevante
Quoi qu’il en soit, ceux qui ont évidemment pâtit de la personnalité toxique de cette impitoyable marâtre, ce sont bien évidemment ses enfants. Pour autant, à part Irene et Enric, toutes paraissent longtemps interchangeables. Elles aussi en sont réduites à la légitime sidération qui les envahit à chaque coup de semonce de la redoutée matriarche. Toutefois, leur virulence ne suffit pas à expliquer l’incapacité des filles à se frotter au monde extérieur. En effet, jamais il ne leur viendrait à l’esprit de s’aventurer au-delà des limites du domaine familial. Sur ce point, la série touche pertinemment sa cible : que les bourreaux persuadent leurs victimes qu’elles ne peuvent se dispenser de leur présence et l’emprise psychologique devient totale. De plus, « La Mesias » évite l’écueil de pointer du doigt les seules dérives religieuses. Elle s’attaque plus généralement aux sectarismes de tous bords tout en faisant état des mécanismes de l’aliénation qu’elle engendre et des traumas qui en découlent. A ce titre, le final fait preuve d’une finesse de propos tout à fait louable. Non, malgré les souffrances qui lui sont associées, on ne peut entièrement se soustraire à son passé. Plutôt que de le combattre, il est plus apaisant de se l’approprier. Malheureusement, pour en arriver à un si sage épilogue, il aura fallu supporter une séance d’exorcisme à la lourdeur symbolique navrante et à l’esthétisme pop discutable. D’une manière générale, et comme il convient de porter un point final à cette chronique, on se prend à regretter que cette série (bien trop démonstrative et globalement dénuée d'enjeux narratifs) ne se soit pas contentée d’un format plus court. Les tranches de vie qu’elle s’emploie à nous narrer y auraient sans nul doute gagné en impact et en intensité.