La zone crépusculaire

J'ai un souvenir très clair d'un instant de mon enfance, comme une photo figée dans le temps, bien que je ne me rappelle que peu du contexte.
Je sais juste que je suis assez jeune entre sept et huit ans, peut-être six, et que je suis dans le salon de mes grands-parents à regarder un épisode d'une série qui me fascine totalement pendant que la journée décline et va laisser place à la soirée. Je me rappelle de l'incroyable excitation qui s'empare de moi lorsque je réalise sur quoi se conclut l'histoire que je viens de suivre. C'était la première fois que j'étais confronté à un retournement de situation (et si ce n'était pas la première fois, c'est le souvenir le plus marquant en tous cas) qu'on connaît mieux sous le terme de twist désormais, et j'en suis, comme de juste, tout retourné.
Des centaines de questions sur la nature de la réalité affluent dans ma tête d'enfant qui accepte tout cela avec un grand naturel et même un grande excitation. L'épisode de la Quatrième Dimension que je regarde a pour titre Cinq personnages en quête d'une sortie, mais je n'apprendrai que plus tard son titre.
La mémoire est comme un cheval fou qui s'emballe et vous emmène où bon lui semble dés lors que vous lui lâchez la bride, et me voilà transporté à travers les années vers un autre souvenir. Je suis cette fois plus âgé et mes souvenirs se font plus clairs. Je me souviens que chaque dimanche matin, je me réveille guilleret avant dix heures, non seulement car je sais que je vais déguster un petit chocolat chaud devant la télé accompagné de pains au chocolats ou de tartine de Nutella, mais surtout car je vais regarder deux épisodes d'une série qui me fascine, et même, me transporte: La Quatrième Dimension.
Après les épisodes on cherchait souvent à en parler avec un copain, lui aussi friand de cette étrange vielle série en noir et blanc qui enchaînait les retournements de situations et vous laissait bien souvent la bouche grande ouverte face à la révélation choquante ou la fin abrupte qui clôturait l'histoire.

La Quatrième Dimension a donc représenté pour moi une porte d’entrée dans le royaume du récit fantastique ou de science-fiction, et la création de Rod Serling a sans doute joué vis-à-vis de ma fascination et de mon appétence pour le genre que ce soit en matière de films, de séries ou de bouquins.

The Twilight Zone est une série créée et écrite en grande partie par le génial Rod Serling qui en est également le présentateur/narrateur omniscient intervenant à partir de la saison deux après l'introduction de l'épisode pour en résumer les enjeux. Serling écrira une vaste majorité des épisodes, mais sera principalement soutenu dans sa tâche par deux auteurs: Charles Beaumont et l'immense Richard Matheson (auteur des très célèbres Je suis une légende ou l’homme qui rétrécit ainsi que d’une quantité hallucinante de nouvelles dont certaines ont été directement adaptées pour la série qui nous occupe) . Earl Hammer junior écrira également certains épisodes de la saison cinq, et de nombreux autres auteurs, certains forts célèbres tel Ray Bradbury, interviendront ponctuellement pour ajouter leur pierre à l'édifice légendaire que constitue la série de Rod Serling. On y voit défiler comme à la parade un nombre invraisemblable d’acteurs qui deviendront des stars dans des films ou des séries dans le futur ou y font une apparition : Charles Bronson, Robert Duvall, Peter Falk, Morgan Britanny, Elizabeth Montgomery, Dennis Hooper, Martin Landau, Leonard Nimoy, Joan Blondell, William Shatner, Ann Blyth, George Takei, Jack Warden, Jack Klugman, Buster Keaton, Robert Redford, Burt Reynolds, Deans Stockwell, Lee Marvin, James Coburn, Donald Pleasance, Mickey Rooney, Burgess Meredith, et j’en passe.
Certains réalisateurs sont également associés à la série. On peut citer Don Siegel, Richard Donner, Jacques Tourneur, Stuart Rosenberg, Christian Nyby, ou Buzz Kulik

La quatrième Dimension est devenue avec les années une série culte mais s'est également insinuée comme une référence absolue dans la culture populaire au point que face à un événement étrange qui vous arrive ou auquel vous assistez, vous allez vous mettre à fredonner son générique Tadadada Tadadada Tadadada pour insister sur le coté irréel de la situation.
La série fut traduite dans nos contrées sous le nom très étrange de « la Quatrième Dimension » démontrant une certaine inaptitude à la physique de la part des traducteurs français, puisque la quatrième dimension est la dimension temporelle, et bien que certains épisodes jouent des paradoxes temporels, la série dans son entièreté ne tourne pas autour de ce seul concept. Il eut mieux valu l’appeler la Cinquième Dimension sans doute et pourtant tous ceux qui ont connu la série ne peuvent s’empêcher de ressentir un certain frisson à entendre la simple mention de ce Quatrième Dimension qui résonne également dans leur mémoire.

En tant que série d’anthologie, les épisodes de la Quatrième dimension sont très variés aussi bien dans leurs thèmes que dans leurs genres : récits édifiants cherchant à résonner comme un avertissement (l’autodestruction de l’homme et la menace nucléaire sont des classiques) , contes moraux parfois d’une grande cruauté, épisodes à la portée humoristique, science-fiction humaniste ou désespérée, fantastique se faisant passer pour de la science-Fiction, récits à la Capra (on sent l’influence assez présentes de It’s a Wonderfull Life dans certains épisodes), classiques du fantastique remis au gout du jour (il doit bien y avoir 5 ou 6 variations sur le thème de Faust et du pacte avec le diable), contes de Noël,…
La série de Serling fait feu de tout bois mais en gardant toujours une grande qualité d’écriture ainsi qu’une efficacité et une sobriété rarement prise en défaut.

Je vais faire une petit tour d’horizon des différentes saisons de la série. J’en profiterai pour vous établir une petite liste de visionnage avec les épisodes que je considère comme étant des incontournables de la série. Ils sont assez nombreux, et il serait plus rapide pour moi de vous citer les épisodes un peu moins bons, mais ça ne serait pas rendre hommage à une série qui en mérite tant.
A noter que de nombreux épisodes ont clairement influencés d'autres œuvres à venir, tel que Image dans un miroir qui a du influencer d’une certaine manière le Us de Jordan Peele (qui décidera d’ailleurs de se lancer dans un revival de la Twilight Zone), Long Live Walter Jameson, dont les prémisses ressemblent comme deux gouttes d’eau à The Man from Earth, ou la poupée vivante qui fait immédiatement penser à Chucky. Mais il y a fort à parier qu’une bonne partie de la science fiction et du fantastique des années 60 et au-delà ont une dette vis-à-vis de la série de Rod Serling.

SAISON 1
Début en fanfare pour la série qui d’entrée de jeu déballe toute sa palette et démontres ses nombreuses qualités. Dans l’ensemble, la série est constituée de très peu d’épisodes plus faibles, mais la saison 1 est remplie jusqu’à ras-bord d’’excellents épisodes.

Je ne noterai que les numéros des épisodes sans quoi, ça me prendrait bien trop de temps.
Les meilleurs épisodes sont les suivants : 1, 2, 4, 5, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 14, 15, 16, 18, 21, 22, 23, 24, 25, 28, 29, 30, 31, 32, 34, et 36

SAISON 2
Toujours aussi réussie, elle est également composée d'un grand nombre d'épisodes marquants.
Je vous conseille particulièrement les épisodes 2, 5, 6, 7, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 16, 17, 22, 23, 25, 26, 28 et 29

SAISON 3
Sans doute le sommet de la série. On y trouve de très nombreux classiques
Les épisodes à voir en priorités sont les épisodes 1, 3, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 21, 22, 23, 24, 26, 27, 28, 29, 31, 33, 34, 35, et 37

SAISON 4
Les épisodes sont toujours assez réussis, mais la série change de format lors de la saison quatre sur demande des producteurs, passant d’un 25 minutes à un 52 minutes et perd beaucoup de son impact avec des milieux d’épisodes parfois un peu mou.
La saison 5 reviendra d’ailleurs au format original de 25 minutes suite à l’échec relatif de la saison 4.
Episodes marquants : 1, 4, 6, 11, 16

SAISON 5
Marque un retour au format original et à la forme. Quelques grands classiques de la série apparaissent également lors de cette ultime saison
Episodes marquants : 1, 3, 4, 6, 7, 11, 12, 13, 15, 16, 17, 19, 22, 23, 25, et 30

Après le succès de sa série phare, Serling continuera à écrire pour la télévision et essayera à nouveau de recréer des séries sur la même base que celle de la Quatrième Dimension, comme la série Night Gallery empruntant plus volontiers son ambiance au gothique, ou d’autres projets que ce soit à la télévision ou dans le comics. Il ne parviendra jamais à atteindre à nouveau le succès qui entoure sa série fétiche.
Après de nombreuses histoires et d'encore plus nombreux paquets de clopes, Rod Serling disparaît d’une attaque cardiaque à l’âge de 50 ans.
Et pourtant, faites attention, car si lorsque le jour laisse place à la nuit, vous pénétrez dans une rue que vous n’avez jamais remarquée jusqu’alors, ou prenez un chemin en voiture qui n’est indiqué sur aucune carte, et qu’un petit homme fumant cigarette sur cigarette vous regarde un sourire aux lèvres, il se pourrait bien que vous soyez tombé sur Rod Serling qui vous y attendait pour vous emmener avec lui dans un voyage au cœur d'une contrée dont la seule frontière est votre imagination. Un voyage dans les ténèbres. Un voyage au bout de la peur, au tréfonds de vous-même. Un voyage dans la Quatrième Dimension !