La légende à la DGSE, c’est l’invention d’un personnage, l’écriture de son passé. On y définit ses amis, son parcours, ses rencontres. C’est un rôle sur mesure fait pour l’acteur du bureau de renseignement. Avec ce rôle, il s’infiltre, ment, joue sur la scène de la vie pour manipuler comme un comédien les sentiments des uns et des autres.
Il y a là quelque chose d’assez incroyable dans ces histoires d’espionnages, c’est la liberté qui habite les agents. Ils sont conscients des fonctionnements et dangers d’un système, ils se glissent dedans et arrivent à briser les règles que l’on connaît. Oui, car les agents de la DGSE sont de véritables génies qui ont réussi le rêve de tout artiste, qui est celui d’échapper à l’absurdité du monde. Cette « fuite vers l’avant » comme dirait la voix de Mathieu Kassovitz dans la série, est pénétrante, elle s’insère en nous, nous sommes alors dans l’ombre et avançons masqués, à l’abris des suspections.
Les agents de la DGSE ne sont pas des menteurs, l’interprétation est pleine de vérité quand ils endossent une nouvelle identité. Il y a une véritable recherche de la mémoire affective pour arriver à incarner un visage neuf, et c’est alors le portrait schizophrène qui nous saute à la gueule : l’acteur est triple. L’acteur incarne un personnage de la série, et ce personnage incarne lui aussi un personnage. C’est là qu’est toute la force de la société du spectacle que nous propose cette histoire. Il y a un travestissement constant. Aux prémices de la série ce procédé de divulgation nous apparaissait comme un cache, une manière de faire de l’ombre. Mais au fil des épisodes, ce cache est finalement révélateur des traits de personnalités forts qui traversent toutes les personnes et personnages. C’est dans l’obscurité de la chambre noire que sont développés les portraits photographiés. Les émotions transcendent alors les intrigues ! Le fictif est perforé ! Les émotions planent loin au-dessus des images comme une loi absolue, celle de l‘authenticité.
Le Bureau des légendes, c’est une multitude d’histoires imbriquées dans une multitudes d’acteurs et de personnages. La vie en une infinité de dimensions nous subjugue aussi violemment qu’un coup de marteau dans nos phalanges pour nous faire avouer la vérité. Vous pouvez frapper encore plus fort ou nous passer au polygraphe (instrument censé déterminé le vrai du faux de vos dires) il ne restera alors que la vibration de notre corps qui est en vie et c’est seulement cette palpitation cardiaque qui vaut une once d’intérêt chez les humains. La parole peut être vrai ou fausse, mais notre corps ne mentira pas, il suintera lors des difficultés et coulera lorsque qu’il sera tailladé. Le corps est l’expression de la douleur intérieure et d’un passé chargé. C’est pour ces raisons que l’incarnation des agents de la DGSE est aussi frappante, ils sont eux-mêmes car ils sont dans la justesse de la douleur ou de la joie.
Et s’il arrive que la fausseté empiète sur leur vie réelle ou fictive, les agents arrivent à se convaincre eux même avec leur propre mensonge. Ils posent avec leurs propres mains un bandeau sur leurs yeux : l’usage est double puisque qu’ils avancent sans voir et sans être vus.