C’est peu de dire que cette série aura marqué les esprits, que ce soit en France (meilleure série française de tous les temps ???), ou à l’international où elle impressionne également (le New York Times l’a classé 3ème meilleure série de la décennie). Cette combinaison de film d’espionnage paranoïaque et de film d’auteur à la française en fait une œuvre au ton unique, cela grâce à un savant dosage de réalisme documentaire, de caractérisation psychologique des personnages et d’un sens du romanesque hors du commun. Tout cela était déjà en gestation en 1994 lorsqu’Eric Rochant réalisa son 3ème film, l’excellent LES PATRIOTES, où l’on retrouvait certains des ingrédients qui ont fait la marque de fabrique du Bureau.
Et la 5ème saison ne déroge pas à la règle, tant elle fait preuve de maîtrise mais également d’audace (jusqu’au dernier épisode!). Il y a un parti pris clair qui est de recentrer les personnages dans leur intimité et leurs affects, même si l’intensité dramatique ne faiblit pas et reste toujours captivante : il y a beaucoup plus d’onirisme, davantage de scènes de sexe, des personnages plus en proie au doute et une dimension tragique beaucoup plus prégnante. A ce titre, le personnage de JJA est un un exemple qui illustre parfaitement ces choix scénaristiques. Mathieu Amalric était déjà un grand acteur avant le Bureau mais la composition qu’il propose ici est absolument prodigieuse. On le voit sombrer inexorablement jusqu’à disparaître définitivement, d’où son absence un peu abrupte dans les 2 derniers episodes (petit regret). Les personnages de 1000 Sabords (Louis Garrel, très convaincant) et Peacemaker, « légende » malgré lui (Stefan Crepon), écornent l’image du clandestin insensible et sûr de lui. Mais le rôle le plus tragique est incontestablement Malotru dont le destin ne cesse de vaciller. Sur le fil du rasoir en permanence, il incarne un faux-héros à la limite de l’auto-destruction. Cette saison est également l’occasion de voir les deux rôles principaux féminins se développer, chacune étant amenée à prendre plus de pouvoir : Marie-Jeanne (elle aussi en proie constante au doute) doit prendre les reines du renseignement et Marina doit superviser la formation des nouvelles légendes. Florence Loiret-Caille et Sara Giraudeau sont impeccables, comme d’habitude. J’ai par contre eu plus de mal à suivre le rythme des évènements en début de saison, c’est parfois confus au niveau narratif même si la suite nous éclaire un peu.
Les deux derniers épisodes, aussi clivants qu’ils soient, sont là pour démontrer que ce n’est pas une série comme les autres. Je ne suis pas du tout d’accord avec les avis globalement négatifs sur les deux derniers épisodes réalisés par Jacques Audiard. Si Eric Rochant convoque un des plus grands réalisateurs français en lui donnant carte blanche pour boucler son ultime saison en tant que showrunner, ce n’est pas pour faire du Rochant! Qu’aurait-on dit s’il avait réalisé les épisodes comme les précédents? « Pourquoi faire venir Audiard? », « Pourquoi brider sa personnalité et son style? ». Pour moi, il ne fait qu’enfoncer le clou par rapport aux partis-pris de la saison 5, c’est à dire d’insister sur la psychologie des personnages et sur leurs états d’âme. Pour Audiard, cela doit passer par un resserrement au niveau de la narration et de l’action (moins de scènes d’espionnage), comme si le temps et l’espace se figeaient (beaucoup plus de scènes en France), mais pas par un abaissement de la dramaturgie car l’émotion qui s’en dégage est beaucoup plus intense. On est dans une tragédie grecque marquée par le remord, la blessure et le deuil. Alors certes la mise en scène est beaucoup plus stylisée mais elle ne prend jamais le dessus sur le reste. La scène finale en est l’exemple le plus frappant, Audiard a trouvé le bon dosage pour éviter le grotesque (il est vrai de justesse). Le regard de Mathieu Kassovitz dans cette scène me hantera longtemps, tout comme la musique de Bach (qui sonne comme un requiem) pendant une scène cruciale. Certains diront que cette réalisation dénature la série, moi je crois au contraire qu’elle rend le plus vibrant hommage aux personnages qui la composent en insistant sur le côté introspectif et sensible, et je suis sûr que cette fin finira par être acceptée avec le temps.