Saison 1 :
Évacuons immédiatement l'argument de la comparaison des "petits Français" avec les machines de guerre des séries US : les Danois nous ont prouvé que le génie n'avait rien à voir, en série TV comme au cinéma, avec les moyens ou la nationalité. Si "le Bureau des Légendes" n'est pas une série géniale, ce n'est pas parce qu'elle est produite par Canal+ plutôt que par HBO, et signée par Eric Rochant, par ailleurs un réalisateur honnête, dont "les Patriotes" avait constitué à son époque un véritable jalon du film "d'espions". Le problème - car problème il y a, au-delà de toutes les qualités du "Bureau des Légendes" (intégrité dans la description minutieuse des méthodes de la DGSE, ambition dans la construction d'un panorama politique actuel et pertinent, de l'Algérie à l'Iran en passant par la Syrie, complexité de la narration refusant les effets faciles) - c'est avant tout dans le fait de confier à Mathieu Kassovitz, comme toujours affreusement limité et rapidement irritant, l'interprétation du personnage principal de cette première saison, et aussi de mettre au centre du jeu une "trahison" complètement invraisemblable pour des motifs sentimentaux auxquels on ne croit pas une seconde. Bâtie sur un assise aussi fragile - un personnage qui nous ennuie dans une situation irréaliste -, la fiction "à la John le Carré à laquelle on nous convie est forcément vouée à l'échec, et ce en dépit des efforts des autres acteurs, tous crédibles, eux, et de l'intérêt que l'on ressentira inévitablement pour les pièges dans lequel le monde pourri et inhumain de l'espionnage se débat assez pitoyablement. [Critique écrite en 2015]
Saison 2 :
Après un démarrage qui ne m'avait séduit qu'à moitié, voici qu'Eric Rochant frappe un grand coup avec une seconde saison impeccable de son "Bureau des Légendes". Sans rien sacrifier de l'intelligence et de la subtilité de ses constructions scénaristiques paranoïaques et pourtant effroyablement réalistes, Rochant rectifie les deux principales faiblesses de sa série (le jeu ampoulé de Kassovitz et l'invraisemblance de sa trahison "par amour") et cela de manière magistrale : il en fait tout simplement le sujet de cette deuxième saison, où Malotru est dépeint comme une sorte de grand malade, tragiquement perdu, oscilllant entre un manipulateur abject et un "maître espion" digne de Le Carré (plus ou moins explicitement cité à travers la référence à la Guerre Froide). Cette impensable déloyauté qui laisse Dufflot incrédule et abattu prend alors des accents de tragédie absolue, et ajoute une profondeur, une douleur inédites aux jeux d'espions qui se complexifient pour notre plus grand bonheur : un peu comme chez Le Carré également, le résultat final de toute cette "intelligence" et toute cette énergie dépensée est absurdement proche de zéro, ce qui confère à cette saison du "Bureau des Légendes" une grandeur nihiliste inespérée. Ajoutons à ces éloges la pertinence géo-politique de ses sujets (le nucléaire iranien, l'EI), regrettons marginalement le recours à des invraisemblances occasionnelles pour sauver ses personnages d'une mort certaine (le pire étant le tremblement de terre lors de l'évasion de Phénomène...), et célébrons la meilleure série d'espionnage jamais réalisée, toutes nationalités confondues ! [Critique écrite en 2016]
Saison 3 :
Si cette troisième saison marque un léger recul qualitatif par rapport à la seconde, sans doute parce qu'elle recentre son sujet sur Malotru et tente au final de justifier la trahison de ce dernier par son histoire d'amour toujours aussi peu crédible (ce qui nous vaudra dans le dernier épisode des scènes romantiques plus dignes d'un film hollywoodien standard que d'une ambitieuse série sur l'espionnage), "le Bureau des Légendes" reste une expérience indispensable : parce que la Syrie et son imbroglio politique inextricable reste en 2017 le principal "cancer" de la planète, on ne peut que louer Eric Rochant d'en faire le centre de son récit, et de nous apporter une vision que l'on peut juger lucide des conflits qui s'y déroule. Sinon, on s'amusera dans cette troisième partie des jeux d'espions autour du Mossad et des centrales iraniennes (même si l'interprétation de Sara Giraudeau est régulièrement déconcertante, ce qui sert et dessert alternativement son personnage), et on se désolera du sort réservé à Duflot, le personnage le plus passionnant de la série, magistralement incarné par le brillant Jean-Pierre Darroussin. On tremblera régulièrement devant les épreuves vécues par nos personnages favoris, la partie "thriller" du "Bureau des Légendes" restant impeccablement tendue et stressante. Bravo aussi au final particulièrement sombre, et donc parfaitement réaliste : un tel final suggère d'ailleurs que la série peut s'arrêter là, ce qui serait très élégant, mais un peu frustrant. Si c'était le cas, "le Bureau des Légendes" nous manquerait ! [Critique écrite en 2017]
Saison 4 :
Nous croyions être débarrassés de Malotru, et le voilà revenu, toujours plus traître, toujours plus déplaisant, dans une nouvelle intrigue brillante autour de l'introduction d'une taupe dans les services russes de "guerre cybernétique". Les scénaristes du "Bureau des Légendes", qui, disons le tout de suite, ne déçoit toujours pas à la quatrième saison, ont eu toutefois la belle idée "méta" d'incarner littéralement notre incompréhension envers un personnage aussi détestable que celui interprété par (le pénible) Kassovitz : mettre les mots de notre incrédulité dans la bouche de JJA, brillamment incarné par un Mathieu Amalric très à l'aise en ordure paranoïaque. Sinon, on se délectera des nombreux suspense relatifs au monde vertigineux de l'informatique d'agression, et on se réjouira de ce que "le Bureau des Légendes" reste toujours autant à la pointe de l'actualité. Reste que la plus belle partie de cette quatrième saison est la traque patiente de Français enrôlés par Daesch et susceptibles de monter de nouveaux attentats : un long et angoissant périple qui mène à une victoire finale des plus discrètes. Malgré une ou deux petites invraisemblances, c'est tout simplement remarquable d'intelligence !
[Critique écrite en 2018]
Saison 5 :
Voilà, ça devait arriver, mais ça fait mal quand on pense aux hauteurs où était arrivée "le Bureau des Légendes", clairement la meilleure de l'histoire de la télévision française : non, elle n'est pas devenue mauvaise, rassurez-vous (ou du moins, pas encore...), mais Eric Rochant a quitté le bateau. Et à la fin de l'épisode 8, en nous le transformant, avec élégance, en un très bel adieu : l'intrigue de la saison, qui avait été un peu longue à démarrer, mais était devenue parfaite, une fois de plus, à partir du cinquième épisode, était bouclée, et le discours récapitulatif de la môme Giraudeau était parfait. Un beau final de saison, et même un beau final pour toute la série.
Sauf que, non, Canal+ n'allait pas laisser filer sa "série de prestige", et il fallait 1) boucler les dix épisodes réglementaires 2) avoir la possibilité de poursuivre l'histoire. Exit Rochant,voilà donc le pénible Audiard qui se pointe, avec son habituel pathos à la louche, sa symbolique pataude, et son cinéma d'une lourdeur et d'une emphase insupportables. Et ces deux derniers épisodes, inutiles, ne sont pas aussi mauvais que l'insurrection des fans sur les réseaux sociaux peut le laisser croire, ils sont juste moyens, et surtout totalement à côté de ce que la série a été durant 5 ans : on ne regarde plus "le Bureau des Légendes", mais quelque chose d'autre, de différent. Et ça, c'est un problème, non ?
PS : Oublions néanmoins un instant notre frustration pour souligner l'excellent personnage campé par le toujours brillant Mathieu Amalric, ainsi que la jolie sortie d'un Louis Garrel de son chemin bien tracé dans le cinéma d'auteurs. Si ces deux personnages sont négligés par Audiard dans sa conclusion, ils contribuent grandement à la réussite de cette cinquième saison.
[Critique écrite en 2020]