L'écœurement est un mot bien faible pour qualifier ce que m'inspire cette prétendue adaptation du roman magistral d'Alexandre Dumas. Il est difficile de trahir à ce point une œuvre, et même de la châtrer aussi ignominieusement.
Passons sur le gloubi-boulga politiquement correct, d'ailleurs passablement anachronique. Tout y est, depuis le procès où Villefort requiert contre une fille s'étant fait avorter (nous sommes sous Louis-Philippe, pas sous le régime de la loi de 1920), jusqu'aux proclamations vertueuses de Monte Cristo sur son amitié avec Maximilen Morrel, fils d'armateur et officier (présenté à la bonne société, dans le roman, par ce pur aristocrate qu'est Château-Renaud). Josée Dayan et/ou Didier Decoin ne connaissent pas - ne veulent pas connaître - l'époque qu'ils prétendent nous représenter.
Mais il ne s'agit que de fautes relativement vénielles. Le seul effort constant de l'ensemble est visiblement une volonté d'avilir à tout prix le personnage central, de le ramener à la platitude d'âme et à la bassesse d'esprit de la réalisatrice. Edmond Dantès est tout simplement escamoté et ses souffrances minimisées, tandis que le comte de Monte Cristo est réduit à une sorte de Jean Valjean de supérette. Celui qui, chez Dumas, nous est présenté comme un personnage romantique, un Byron, un Lara, voire la réincarnation du vampire Lord Ruthwen, est devenu un vague petit bourgeois réglant ses comptes de jeunesse.
Entendons-nous bien. L'adaptateur a toujours des droits sur l"œuvre qu'il adapte. Il peut retrancher des épisodes, supprimer des personnages et contracter l'action, Mais on n'imagine pas une adaptation d'Hamlet (encore une histoire de vengeance) qui supprimerait les hésitations du prince du Danemark et se terminerait par son mariage avec Ophélie sous le regard attendri de la reine Gertrude. C'est pourtant à ce niveau qu'il faut situer la réalisation de la nommée Josée Dayan qui ne fait décidément rien pour mériter un quelconque respect. Il faut un cœur pourri pour préférer les retrouvailles confondantes de niaiserie entre Monte Cristo et Mercédès à la dernière scène qui les réunit dans le roman et son équivalent dans la série de Denys de la Patellière, toutes deux également poignantes. Là est l'humanité, la vraie.
La distribution est à l'avenant. Quelle idée a donc eu notre Gégé national de s'embarquer dans pareille galère? Transcendantal dans "Cyrano de Bergerac", il est ici invraisemblable. Comment croire qu'un tel gaillard puisse sortir ainsi de quatorze années d'enfermement et de misère physiologique? Gérard Depardieu n'est pas Monte Cristo. Où est l'ambiguïté de ce personnage censé mener une vengeance complexe et impitoyable (au point de projeter froidement la mort de l'innocent Albert de Morcerf), de ce personnage qui se prend pour Dieu alors qu'avec un sadisme tranquille il évoque les pires supplices et contemple sans ciller le spectacle d'une exécution particulièrement sauvage ? Où est l'intériorité de ce personnage forgé par des années de silence forcé et de solitude quasi permanente? Où sont la splendeur et la distinction de ce millionnaire aux ressources infinies et que les personnages les plus aristocratiques du roman dépeignent comme "un grand seigneur de tous les pays" ?
Ne parlons pas des autres comédiens, ni de la réalisation. Ici, le grotesque touche au burlesque.
A la fin du roman, Monte Cristo présente comme le résumé de la sagesse humaine "ces deux mots: attendre et espérer". Dans le cas de cette escroquerie audiovisuelle, il n'y a rien à attendre, et il ne faut espérer que l'oubli.