Ah, si vous m'aviez connu il y a vingt ans!
Bien sûr, on peut critiquer le jeu de Jean Marais et celui de Jean-François Poron (vous croyez que c'est facile d'être expressif avec un gros morceau de ferraille sur la figure?), mais il n'empêche. Nous voilà devant un film de cape et d'épée plus profond qu'il n'y paraît. Ce n'est pas un hasard si Cécil Saint-Laurent, alias Jacques Laurent, l'un des Hussards, a mis la main au scénario et aux dialogues.
Il y a d'abord ce d'Artagnan vieillissant, un peu dépassé, un peu en retrait, mais qui s'accroche de manière singulièrement touchante à la jeunesse ("Je me bats pour rester jeune et mériter ainsi de vous plaire"). Il s'y accroche de manière d'autant plus poignante qu'il sent bien qu'avec cette jeunesse, c'est un monde qui disparaît. Plus de ferrets de la Reine, plus de cruelle Milady, plus de Rochefort ou de cardinal machiavélique. Il s'agit cette fois d'une banale mission de gendarmerie (le transfert d'un prisonnier). Plus de méchants non plus : les seuls antagonistes sont des conspirateurs minables et un jaloux ridicule auquel notre mousquetaire ne fera même pas l'aumône d'une blessure bien sentie.
Le véritable adversaire de d'Artagnan (et du malheureux Philippe) est autrement plus redoutable: il s'agit de la raison d'Etat, la vraie, celle qui veut assurer la paix d'un royaume et sa stabilité. Le dialogue entre le jeune Louis XIV et son frère jumeau est important. Le jeune roi accepte l'idée d'une vie de captivité (à vingt ans!), et il ne comprend pas que Philippe ne réagisse pas comme lui. Une telle raison d'Etat ne se combat pas à coups d'épée. Dans une telle perspective qui est celle de l'Etat moderne, d'Artagnan a beau rayonner de courage et de panache, il est devenu de trop. Adieu estocades et chevauchées héroïques, voici le temps des combinaisons politiques et de l'esbroufe. Le récit de la bataille des Dunes est une merveille de style mais aussi d'ironie. Il ne s'agit plus de gagner, mais de faire savoir que l'on a gagné. Les ferrailleurs cèdent le pas aux rhéteurs.
Avec tout cela, "Le Masque de fer" aurait pu n'être qu'un film de cape et d'épée crépusculaire d'où émanerait la seule tristesse. Il n'en est rien. Jean Marais réussit à être drôle et émouvant sans verser dans le pathétique. Jean-François Poron n'est peut-être pas le jeune premier du siècle, mais il présente un Louis XIV très vraisemblable, émouvant lui aussi dans son acceptation des sacrifices auxquels sa naissance l'oblige, mais aussi un peu glaçant. Quant aux femmes, chacune à sa façon, elles sont tout simplement craquantes, que ce soit Sylva Koscina, Claudine Auger qui se prête de bonne grâce à une magistrale fessée, ou la radieuse Gisèle Pascal (pour ceux qui l'ont oublié, Gisèle Pascal avait séduit le prince Rainier avant l'arrivée de Grace Kelly).
Enfin, une mention toute spéciale à Jean Rochefort à qui revient l'extraordinaire ironie du mot de la fin (et l'éclat de rire homérique qui s'ensuit) : "Saura-t-on jamais qui je suis?".
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