Le Fléau
6.2
Le Fléau

Série ABC (1994)

Les Sacrifices Narratifs du Fléau Télévisuel

Série télévisée en quatre épisodes de 90 minutes, Le Fléau, sur cette durée, fait semblant de se donner l’ambition narrative de développer quelque chose (oui mais quoi ?) depuis la toile littéraire de Stephen King, qui participe ici au scénario et apparaît au casting.


Le premier épisode s’ouvre sur les grillages barbelés d’une base militaire isolée où veille un noir corbeau, et bientôt un soldat paniqué récupère épouse et fille pour fuir la contamination qui se déclare dans les sous-sols, et part ainsi semer

un virus fatal à travers les États-Unis.



Suivant, tant bien que mal, la chronologie du livre, la narration promène Stu Redman de son Texas tranquille à la cellule stérile d’un local du gouvernement dans le Vermont, regarde les affres du général responsable de l’opération, laisse vadrouiller Larry Underwood, le chanteur new yorkais, la jeune Frannie Smith ou encore son prétendant maladroit Harold Lauder, introduit Nick le sourd-muet. Laisse aussi apparaître Mère Abigail dans certains rêves.
Le tout parsemé de corbeaux.


« J’ai aussi peur que dans le Delta du Mekong en 69 »


Pas de mise en scène compliquée, du classique télévisé plan plan. Situation, champ, contrechamp. Pas de travail particulier sur l’image, à peine quelques tentatives grossières d’ambiances de lumière. Décors minimalistes, maquillages de sang et de maladie bricolés. Impasse sur plusieurs aspects qui auraient demandé plans d’ensemble, figuration et bugets décoration et effets spéciaux importants. Le champ de maïs du rêve commun, si intensément présent et signifiant dans l’œuvre originale, pue le studio sous une lumière qui l’éclaire en accentuant l’artefact. L’intéressant travail sur le son, autour de la surdité de Nick à de rares instants de ses premières apparitions, disparaît aussi vite qu’il a été évoqué. Il y a bien ces corbeaux disséminés là de loin en loin, pour ponctuer de rémanences artificielles le récit mais rien n’y fabrique d’angoisse ni de tension. Aucun des enjeux ne sont identifiés, comme si l’instinct de survie seul suffisait. Aucun des personnages n’est développé hors de l’instant. Minablement le réalisateur inconnu compte sur les (très mauvais) dialogues pour faire passer les craintes, les paniques éventuelles. Toute une densité de êtres. Il cite le texte, certes.



Il manque la verve angoissante et fantastique



des mots de Stephen King.


Le film accumule les personnages sans jamais s’y attacher, sans jamais développer le moindre fil de départ autour d’eux, et manque les histoires qui accompagnent, qui font du liant dans un ensemble et du lien avec le spectateur, du sentiment.


« Les choses se décomposent »


Encore eut-il fallu qu’elles soient composées.


Épisode après épisode, l’ennui succède à l’ennui. La brochette des comédiens survit. Chacun fait de son mieux avec le maigre qu’on lui demande ou qu’on lui raconte, ou qu’on lui laisse faire. Gary Sinise semble s’emmerder royalement dans le rôle principal, Rob Lowe interprète un sourd-muet dans la caricature et Bill Fagerbakke se bat avec les trois phrases auxquelles le condamnent son personnage d’attardé, les autres suivent le tempo dans la galerie vide. La simplification extrême de l’histoire jusqu’à l’ossature, le refus de choisir un angle ou un propos, la limite imposée par le format, trop court pour une œuvre aussi complexe et dense, qui empêche de développer un projet réellement ambitieux, nuit évidemment à l’objet télévisé.



Ne reste qu’une morne transcription visuelle



aux dialogues creux et aux relations évincées de complexes reliefs, une structure aplanie.


Le livre repose sur un combat entre le bien divin, Mère Abigail, fille centenaire des esclaves du continent touchée par la parole de Dieu, et la mort, un ange déchu dissimulé dans l’enveloppe factice de Randall Flagg. Celui-ci est un méchant profondément oppressant et menaçant sous la plume de Stephen King. Le diable fait homme, soudain capable d’interagir directement sur les survivants de l’apocalypse, de former une armée de désolation insouciante. Le refus de doter d’un réel budget le maquillage et les effets spéciaux, la pauvreté technique des palettes graphiques, tout nuit à la crédibilité du pauvre Jamey Sheridan, et fige Ruby Dee en une seule expression de béatitude.


L’essence du livre de Stephen King a été mise de côté pour ne se concentrer que sur la froide chronologie des interactions de chacun jusqu’au combat du bien contre le mal pauvrement schématisé ici dans une absence d’ambition et d’investissements visible et gênante. Le Fléau mérite bien mieux, et j’attends le producteur et les scénaristes qui sauront s’atteler, avec l’ambition de trois ou quatre saisons denses et angoissantes, à un projet contemporain aux essences du King conservées dans la dramatique générale autant que dans les intrigues secondaires, nombreuses, et jusque dans l’atmosphère malade et oppressante du bouquin.

Créée

le 24 déc. 2015

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