Cahier-décharge ou Comment on en vient à regretter Le Hobbit

Au moment de la sortie de la saison 1, j’avais écrit une critique assez acerbe sur la seule base des deux premiers épisodes, n’ayant pas eu le courage d’aller au bout. J'ai finalement décidé de finir cette première saison, à l’occasion de la sortie de la deuxième, et je pense qu’il y a en fait quelques points qui méritent d’être reconsidérés. Je réécris donc intégralement cette critique, en essayant d’être moins méchant et plus précis, bien que cette série soit toujours aussi mauvaise dans ses autres épisodes.

En fait, le constat général est simple, tous les défauts découlent du même problème : cette série n'est qu’un produit marketing Amazon, quelque chose qui n’a pas d’âme, qui est le résultat d’une recette, d’une évaluation de ce qui va plaire ou pas au public. C’est-à-dire qu’il n’y a même pas le début du commencement de ce qui fait qu’on pourrait parler de cinéma (au sens large, peu importe que le format soit celui de la série ou d’un long-métrage). Je n’ai rien à reprocher à la vision des auteurs ici, le regard qu’ils portent sur ce qu’ils filment, leur façon de mettre en scène les personnages ou le récit, parce que la vision d’auteur, il n’y en a tout simplement pas et que toutes ces questions n'ont même pas lieu de se poser. The Rings of Power c'est de la série télé, au sens le plus péjoratif du mot, un téléfilm, un feuilleton feuilletonnant, c’est-à-dire rien du tout.

Sans même parler Terre du Milieu dans un premier temps, on ne peut que constater que tout est absolument convenu dans la manière de filmer, de raconter, de montrer les choses. C’est hallucinant qu’en neuf heures de film, on ne soit surpris par rien, aucune scène, aucun plan, rien. Quelle que soit la chose montrée, on va automatiquement au cliché, à la représentation par défaut. Concrètement, une séquence de The Rings of Power se déroule de la façon suivante : d’abord un plan d’ensemble du lieu, généralement une tour ou une montagne avec une petite cascade en travers du décor, généralement en CGI évidemment, avec une espèce de léger flottement, de panoramique autour du lieu, le plan tout droit sorti d’une cinématique de jeu vidéo. Ensuite c’est pas compliqué, c’est du champ-contrechamp en gros plan, presque tout le temps, sauf rares moments d’action, filmée tout aussi banalement. Il n’y pas de cadres, chez Peter Jackson il y avait des cadres, de la composition, des plans, ici le temps ne se suspend jamais, le silence ne s’installe jamais, les plans sont morts, sans vie. Si on prend l’introduction de chaque environnement dans la trilogie The Lord of the Rings, bien sûr qu’il y a aussi un plan d’ensemble et ensuite des dialogues, mais il y a d’abord et avant tout des scènes, des moments. Quand on nous présente la Comté, une scène a été réfléchie pour qu’on la découvre avec émerveillement à travers le trajet d’une charrette, charrette avec à son bord Frodo et Gandalf, c’est-à-dire qu’on sympathise en même temps avec les personnages, on est avec eux. Et la scène a quelque chose de quotidien, elle a une certaine durée, elle ancre son décor et ses personnages dans quelque chose de vivant. À l'arrivée à Edoras dans le film d'après aussi il y avait une scène. On était d'abord dans un palais morne et oppressant, sans voir l'extérieur, et c'est après coup qu'Eowyn sortait et que le décor extérieur nous apparaissait comme une bouffée d'air, on pouvait ressentir le vent, trois cavaliers apparaissaient dans la plaine, le drapeau s'arrachait et tombait aux pieds des cavaliers, et en quelques plans, toute la décadence d'Edoras était posée. Il n’y a pas de scènes dans The Rings of Power, ou plutôt il n’y a de scènes que ce qui a valeur d’illustration et explication de l'intrigue, avec une vague tonalité (parler d’ambiance ou d’atmosphère serait exagéré) imposée par une musique très sursignificative.

L’esthétique de la série va dans ce sens. Sans même parler du générique, tout en grains de sable dorés animés sur fond ébène, qui a donc autant d’âme qu’un spot pour la marque Dior, tous les plans ressemblent à des fond d’écran Windows. Les couleurs sont très tape-à-l’œil, les nuits bleu électrique, les lumières un peu brumeuses et numériques comme partout maintenant dans ce genre de séries télé, on sent l’image publicitaire ultra retouchée sans le moindre charme, au point que même les décors réels, qui sont en fait assez nombreux, ont l’air faux. Dans la direction artistique des films de Jackson, les détails dans les décors et accessoires sont là, mais ils se fondent dans un tout, parce que la lumière est plus naturelle, qu’il y a de la poussière, moins de CGI, que c’est filmé en moins bonne résolution aussi, alors que là, chaque accessoire est fait pour être vu, on a l’impression de voir des gens déguisés dans des décors en plastique, ça n’a aucune vie.

Mais je crois que ce qu’il y a de pire, et qui rend la série à la limite du regardable par moments, c’est à quel point le jeu des acteurs et leurs dialogues est gangréné par les standards qui se sont imposés dans la série télé, mais aussi dans le cinéma américain ces dernières décennies : ce faux jeu sobre, à la fois hyper théâtral mais constamment chuchoté sur un ton grave très artificiel et filmé en gros plan. Si on prend un film hollywoodien qui a plus de trente ans, cette façon de jouer n’existe pas. Ici c’est poussé à un degré peut-être jamais atteint auparavant et c’est d’une lourdeur absolue, pas une réplique ne sonne juste, et c’est constamment uniforme, tout le monde parle pareil. Le champ-contrechamp est d’autant plus sollicité avec cette direction de jeu, qui impose que l’acteur se regarde narcissiquement faire son cirque en gros plan pour la caméra au lieu de jouer avec les autres comédiens. Alors tout est déclamé à voix basse, statique parce que c’est constamment ultra solennel (seuls les nains et hobbits viennent redonner un peu de vie à tout ça dans de rares moments), les corps ne bougent pas, n’existent pas (sauf pour montrer un peu le costume).

Et quatre-vingt-dix pourcents du temps, les dialogues sont soit explicatifs, soit ce sont des conversations pleurnichardes sur des questions de pardon, de bonne conscience et de morale. Un personnage va dire que c’est sa faute si telle catastrophe est arrivée, l’autre lui rétorque que non, c’est la sienne, etc. Que de la psychologie et de la morale lourdingue, des personnages qui sont les psys des autres personnages, et c'est bien ça qui occupe le plus de temps d'écran. Je regarde peu de séries, mais c’était globalement la même chose (en moins pire) dans The Walking Dead, une obsession pour la vertu et des personnages qui ne font que de se demander pardon. Il y a aussi énormément d’aphorismes bidon dans les dialogues, censés retranscrire un certain lien à la nature ou une forme de sagesse, mais ce sont presque toujours des slogans qui ne veulent rien dire, c’est de la caricature de l’écriture de Tolkien et rien d’autre. Comment peut-on tomber à côté à ce point et se vautrer dans un tel ridicule ?

La mise en scène est d’autant plus pauvre qu’on voit bien que les scénaristes ne savent pas quoi raconter. Autant les films de Jackson, malgré leurs défauts, avaient une trame solide donnée par les romans sur laquelle s’appuyer, autant dans la série c’est du bricolage de scènes qui alternent différents lieux pour faire passer le temps. Alors on fait s’arrêter les personnages quelque part, ce qui redonne toujours lieu aux mêmes scènes obligées filmées à l’identique à chaque fois : la rencontre avec les nouveaux personnages, la méfiance qu’ils éprouvent à l’égard de ceux qu’on connaît, puis ils ont un accord au départ, mais des tensions naissent, et tout s’étale comme ça, il se passe des épisodes entiers sans que rien n’arrive, où c’est juste des allers-retours, parce qu’il faut l’accord du père du nain pour prendre telle décision et qu’il ne veut pas, etc. Si rien ne se passe ça ne me dérange pas, mais à ce moment là il faut vraiment se poser et tourner une scène, une scène, un moment, que quelque chose se passe, que la personne qui tient la caméra donne l’impression de s’intéresser un minimum à ce qu’elle est en train de filmer. Jackson savait créer des moments purement chaleureux, poser son récit, mettre au second plan l’intrigue, et ça donner les meilleurs séquences de la saga : toutes les scènes entre Gandalf et Bilbo (jeune comme vieux), les fleurs sur la tombe du fils de Theoden, le cheval blanc dans la plaine, l’anniversaire des Bilbo, etc.

Le pire c’est que ça traine tellement inutilement qu’à la fin, il ne reste que vingt minutes pour commencer à évoquer les anneaux de pouvoir et montrer leur fabrication, alors que c’est le titre de la série. Il faut littéralement trois jours à Celebrimbor pour apprendre toute la technique de cet art et fabriquer les trois objets les plus puissants de toute la Terre du Milieu. Et là où ça devient juste ridicule, c’est quand on voit le niveau des conseils que lui donne Sauron pour y parvenir : « Et si tu faisais des alliages de différents métaux ? », « Vu que ça ne marche pas en y allant comme un bourrin, pourquoi n’essaies-tu pas d’y aller plus doucement ? ». Et à chaque fois Celebrimbor est ébahi par une telle finesse d’esprit de la part de son comparse. C’est ça l’art de la forge des grands anneaux de pouvoir ? Tout ça pour ça ? Neuf heures pour ça ?

Ce qui est incroyable, c'est de voir que toutes les polémiques tournent autour de trois acteurs noirs, comme si ça avait la moindre importance, comme si les défauts de la série se trouvaient là. Alors bien sûr que non, ils n'ont pas été choisis pour leur talent : aucun acteur de cette série n'en a, du talent...

Beorambar
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le 8 sept. 2024

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