Dans la première moitié des années 1990, le juvénile amateur de comics que je suis se régale avec un certain nombre de bandes dessinées retranscrites en dessins animés. Il y a bien sûr Batman : the animated series du côté de DC, et chez la concurrence les sympathiques X-Men et Spider-Man, l'homme araignée. Mais il y en a eu tellement d’autres de l’autre côté de l’Atlantique, parfois inédits ou diffusés discrètement de notre côté. C’est le cas de la troisième série des Quatre Fantastiques. Celle-ci dura 2 saisons pour 26 épisodes, mais ma critique ne se portera que sur 5 d’entre eux, deux racontant leurs origines, et trois autres qui concernent leur première rencontre avec le Dr Fatalis. Pas d’inquiétude, c’est bien suffisant pour en conclure certains points.
Les Quatre Fantastiques n’est pas une équipe comme les autres. S’ils affrontent des grandes menaces, de quoi faire rêver les lecteurs, leur intérêt réside sur leur complémentarité et les liens qui les unissent. Ils sont une famille super-héroïque. Cette série ne leur enlève pas ça. Les liens existants et les personnalités sont conservées. Reed est le leader, un homme intelligent et pragmatique, Johnny est la tête brûlée, l’adolescent un peu fougueux, la Chose, un bêta au grand coeur, Sue est la femme du groupe. Reed et Sue s’aiment, la Chose et Johnny se taquinent, et c’est très bien comme ça.
Il n’y a que le personnage de la Femme invisible, Sue Storm, qui revient de bien loin, au moins des premiers épisodes de la série papier, tant elle est, justement, invisible. Les comics l’avaient depuis longtemps dopée, en pouvoirs et dans sa personnalité, ce dont se fiche la série. Des épisodes vus, elle sert surtout de prétexte stupide au scénario, que ce soit pour être remplacée par un vilain méchant ou se faire kidnapper.
Le coup de balai est violent sur tous les aspects féminins de la série. Cela vient probablement du constat que la série devait se destiner aux garçons, et qu’il fallait mettre l’accent sur les personnages masculins. Alyssia, un personnage féminin récurrent de la série de comics est ici une nunuche aveugle. L’importance de la mère de Dr Doom dans ses origines et son influence sur sa détermination est balayée pour être remplacée par son père. Mais le problème est que la mise au rabot de tous les éléments féminins présents originellement envoie un très détestable signal auprès de la jeunesse, où le héros ne peut être que masculin et la femme une gêne.
De toute manière, les histoires sont loin de faire rêver. Malgré leur découpage sur plusieurs épisodes, c’est loin de témoigner d’une quelconque recherche, il ne s’agit que de recopier ce qui vient des comics en s’aidant des clichés habituels d’une série animée dans ces années. On pourrait d’ailleurs juger de la pertinence de certaines modifications. La série adapte certaines sagas, oscillant entre une certaine fidélité et des libertés moins compréhensibles. Faire du Maître des marionnettes le premier ennemi du groupe est bien faible, quand dans la BD ils affrontaient l’Homme taupe et ses monstres géants. Ou que le passage dans le passé avec le Dr Doom se fasse en Grèce, alors que dans l’original cela se déroulait chez les pirates. Pas de monstres, pas de pirates, nous voilà bien. Garder ces éléments aurait déjà donné plus de saveur à ces épisodes.
Mais si le reste suivait, ce ne serait pas bien grave. Mais non. Ce n’est qu’une multitude de raccourcis scénaristiques et de facilités qui prennent le cerveau de l'enfant pour sous-développé. Que les Quatre Fantastiques racontent leurs origines sur un plateau de téléthon est déjà bien curieux. Mais qu’ils n’arrivent pas à remarquer que Sue a été remplacé par une autre femme, c’est déjà gros, mais qu’en plus de lui avoir juste ajouté une perruque, sa remplaçante soit aveugle et ne soit pas au courant de la supercherie, c’est impossible à avaler. Dans la saga en trois parties, les trois garçons passent tout un épisode à s’évader et retrouver le Dr Doom avant que celle-ci ne leur dise que tout cela faisait partie de son plan. Donc le labyrinthe vicieux et tous les pièges mortels avant, c’était du flan ? Nous avons aussi Reed qui déclare qu’il ne faut pas changer le passé, avant que dans la même phrase il décide d’aider les Grecs contre les Perses, de méchants sauvages qui en veulent aux pères de la démocratie, bien présentés de façon négative et avec la peau sombre. Question crédibilité, zéro, mais question discrimination, ça marque des points.
Nous n’évoquerons pas la communication en verlan pour se faire comprendre sans être repéré, la pire mutinerie vue dans un prison, ou les motivations des adversaires rencontrés, qui veulent conquérir le monde alors qu’ils n’ont aucune envergure ou se venger sans que leur histoire ne soit expliquée. Ces cinq épisodes ne sont qu’un ensemble de mauvaises histoires, avec des décisions contradictoires, des personnages sans aucune épaisseur, et un manque flagrant d’enjeux.
Et comme si cela ne suffisait pas, la série est très vilaine techniquement. Rien à voir avec les trois séries citées plus haut, ou même avec la moyenne de l’époque. Comme tant d’autres productions mal animées, il y a des problèmes de raccords entre les scènes, des couleurs qui changent, comme la chevelure de Johnny qui passe du blond au brun ou des pupilles qui passent du noir au blanc. Cela se voit pourtant, et n’aurait pas coûté grand-chose à être refait, un petit coup de pinceau. Mais non. Mais ce qui est le plus épatant, c’est le problème de proportions, où les personnages changent de taille entre les plans, et parfois même pendant les scènes d’action. Dr Doom passe ainsi d’une carrure massive à une allure plus athlétique selon les passages. Certains visages, déjà très grossiers, n’ont pas la même cohérence au fil de chaque épisode. L’animation est très sommaire, et on la doit pour la première saison à Wang Films Productions. La deuxième saison a été animée par un autre studio que je ne peux pas juger, les épisodes vus faisant partie de la première, mais il est difficile de faire pire.
La série est moche. Les designs sont d’une platitude incroyable. Cela se voit dans les personnages secondaires, moulés dans le même moule, ou aux robots affrontés, vus ailleurs, peut-être même recyclés d’une autre série. Mais il y a certains choix qui choquent. Si les Quatre Fantastiques ou le Maître des maléfices sont cohérents avec la BD, le Dr Doom l’était presque, avec son armure et son habit bien reconnaissable. Mais il y a ce masque. L’ouverture de la bouche est composée de quatre éléments, qui ressemblent à des dents, lui donnent un air demeuré. Mais il y a pire. Malgré que ce soit un masque de fer, à deux reprises, Dr Doom sourit. Son masque sourit (!), dans un rictus ridicule et incohérent avec le personnage.
A cette longue liste d’énumérations, il faudrait citer le doublage français, aux voix forcées, comme celles de Reed et d’Alyssia. Celui-ci opte pour les noms anglais, Reed pour le Red des lecteurs de Lug/Semic de l’époque, Dr Doom pour Dr Fatalis ou Sue pour Jane. Les noms américains sont prononcés à la française, ce qui est assez risible, et parfois même embarrassant quand il s’agit de Sue prononcé platement « Su ». La Chose ou la Torche par contre gardent leurs noms français, peut-être parce qu’ils sont plus faciles à prononcer pour les garçons français.
A cette époque, la série dessinée publiée dans Nova avait quelques défauts, s’était lancée vers quelques pistes maladroites mais avait gardé un sens de la surprise et du feuilleton bien appréciable. Pour cette déclinaison, la surprise serait plutôt de voir à quel point le spectateur a affaire à un suicide artistique. L’adaptation est assez aléatoire, quelques libertés sont au choix étranges et d’autres dérangeantes, comme les profils féminins présentés. Mais surtout, entre les scénarios sans logiques et un rendu visuel désastreux, rien ne mérite l’attention du curieux aujourd’hui. Qu’une telle série ait pu être diffusée en dit long sur le cynisme des producteurs.
Bonne (?) nouvelle, la série est disponible sur Disney +.