Les Carnets de Mr. Manatane, c’est un peu comme si Salvador Dalí faisait du stand-up en costume trois pièces, avec une touche de Kafka et une bonne rasade de Benoît Poelvoorde en roue libre. C’est la quintessence de l’humour absurde servi sur un plateau de dialogues improbables, où le quotidien devient un terrain de jeu surréaliste, et où chaque épisode te fait te demander si tu n’as pas, toi aussi, un peu trop forcé sur le café ou les champignons hallucinogènes. Bref, c’est du pur génie déguisé en bordel organisé.
Benoît Poelvoorde, dans son rôle de Mr. Manatane, est le maître de cérémonie de ce cirque déjanté. Imagine un présentateur télé en plein délire existentiel, te balançant des monologues et des réflexions aussi improbables que poétiques. Il est à la fois philosophe de comptoir et gourou de l’absurde, capable de te disserter sur le fromage à raclette avec la même intensité que sur les mystères de l’univers. Chaque épisode est un moment de flottement, où la réalité semble fondre sous la chaleur des projecteurs, et où Poelvoorde s’amuse à tout remettre en question, y compris lui-même.
L'une des forces de la série, c'est que tu ne sais jamais où elle va te mener. Tu penses regarder un sketch classique, et tout à coup, tu te retrouves plongé dans une dissection métaphysique sur la crème pâtissière, ou une réflexion existentielle sur le choix des chaussettes. C’est cette imprévisibilité qui fait tout le charme de Mr. Manatane : rien n’a vraiment de sens, mais tout semble avoir une importance capitale dans l’univers loufoque qu’il a créé.
Les monologues de Mr. Manatane sont de véritables pièces d’orfèvrerie. Chaque réplique est ciselée comme un bijou d'absurdité, et tu te surprends à hocher la tête comme si tout ce qu’il disait était d’une logique implacable… avant de te rendre compte que non, absolument rien n’a de sens. Poelvoorde passe avec une aisance déconcertante d’un sujet anodin à une envolée lyrique qui te laisse perplexe, mais fasciné. Il peut te faire une tirade enflammée sur les mérites de la banane dans les régimes alimentaires, pour ensuite basculer sur une analyse philosophique du mouvement des marées. C’est du grand n’importe quoi, et c’est pour ça qu’on adore.
Les sketchs sont souvent entrecoupés de scènes absurdes, où Mr. Manatane se lance dans des aventures encore plus étranges. Que ce soit en train de jouer au tennis avec des règles inventées sur place, ou de diriger une chorale invisible dans un concert de sons imaginaires, chaque situation semble tirée d’un rêve fiévreux où la logique a définitivement pris un congé sans solde. On a l'impression de se balader dans un tableau de Magritte où tout est normal, jusqu'à ce qu'une pomme apparaisse dans ton champ de vision.
Mais Les Carnets de Mr. Manatane, ce n'est pas juste Poelvoorde qui soliloque dans le vide. C’est aussi une galerie de personnages secondaires aussi barrés que lui, qui viennent peupler son univers avec leur propre lot de bizarreries. Des voisins étranges, des collègues tout aussi perdus, et des passants qui semblent tout droit sortis d’un casting pour un film d’art expérimental. Tout le monde a l’air de suivre le rythme délirant de Mr. Manatane, et cela donne une harmonie inattendue à ce chaos organisé.
Et puis, il y a ce côté presque "improvisé" dans la série. Poelvoorde donne l’impression de tout inventer sur le moment, comme s’il laissait ses pensées dériver et nous embarquait dans son flux de conscience sans filtre. On se croirait dans son esprit, à explorer des recoins où même lui n’a jamais mis les pieds. Le décor minimaliste, les gros plans un peu trop serrés sur son visage expressif, tout contribue à cette atmosphère intimiste où l’absurde devient presque tangible.
Visuellement, la série est sobre, presque austère, mais c’est cette simplicité qui met encore plus en valeur les délires de Mr. Manatane. Pas de grands effets spéciaux ou de décors extravagants, juste Poelvoorde, sa verve inarrêtable, et une mise en scène qui semble toujours prête à basculer dans le surréalisme le plus complet. La caméra est là pour capter chaque tressaillement, chaque grimace, chaque moment de pure folie contenue.
Et bien sûr, impossible de parler de Mr. Manatane sans évoquer la finesse des dialogues. C’est du grand art, une écriture qui jongle entre humour intellectuel et absurdité totale. Les jeux de mots sont aussi déconcertants que brillants, les phrases s’enchaînent comme des notes de jazz improvisé, et chaque mot semble avoir été choisi pour te faire basculer entre le rire et l’incompréhension. C’est une écriture qui rappelle que l’humour, quand il est bien fait, peut être aussi poétique qu’un vers de Baudelaire, avec la touche de Desproges en supplément.
En résumé, Les Carnets de Mr. Manatane est un chef-d'œuvre d’humour absurde, une série qui ne ressemble à aucune autre et qui t’emmène dans un voyage mental où chaque détour est une nouvelle surprise. Benoît Poelvoorde y brille en maître de l’absurde, capable de te faire croire que tout ce qu’il dit a un sens… alors que rien n’en a. C’est à la fois une leçon de non-sens et une œuvre d’art télévisuelle qui ne vieillit pas, comme une bonne bouteille de vin rouge qu’on déguste en riant devant un monologue sur les œufs à la coque.