Les Chroniques de Mr. Plouf
7.1
Les Chroniques de Mr. Plouf

Émission Web YouTube (2012)

La vie nous réserve bien des surprises. Par exemple, hier encore, je vaquais tranquillement à mes occupations. J’étais là, assis sur un banc, au milieu d’un parc, une bouteille de Schweppes à la main et un Cormac McCarthy dans l'autre, quand soudain, un gobelin doré aux reflets bleus sortit du sol.
« Messires, me dit-il, vous qui profitez par la grâce de Dieu du confort suprême, moi, Alpha25-71 le pourvoyeur de doigts, j’implore votre aide. Une armée d’anges de plomb a attaqué mon village. Porté par ses ailes aussi légères que le sable, leur chef a égorgé mon père, éventré ma mère, démembré mon grand-père, énucléé mon mentor, fait prisonniers ma femme et mes enfants et réduit mon peuple en esclavage. Vous êtes le seul à pouvoir nous sauver !
-Que nenni, lui répondis-je. Descendez donc du ciel la prochaine fois, ça fait meilleur effet. Les Galopins des montagnes hurlantes vous aideront sûrement. Moi, je vais plutôt faire une critique de Monsieur Plouf ainsi qu’un tour au marché.
Et c’est comme ça que j’ai adopté un dragon. Et que j’ai décidé de parler de Monsieur Plouf.


Comment ça, cette histoire n’a aucun sens ? Ah ! Qui êtes-vous pour le dire ?


Monsieur Plouf est une série de critiques créée en 2012, ce qui fait qu’elle fête ses 7 ans cette année. Une belle longévité pour une émission Youtube ! Son créateur, c’est Mathieu Lanz, ancien journaliste pour le magazine geek S2P, que je recommande chaudement, et par ailleurs Suisse, ce qui se remarque à sa manière de prononcer les multiples de dix. Les chroniques sont présentées non pas par Lanz lui-même, mais par son avatar cubique : Monsieur Plouf. Mais je vais l’appeler Plouf, parce que c’est comme ça que tout le monde l’appelle et parce que… parce que j’en ai envie, c’est ma critique et je fais ce que je veux !


Plouf, donc, est un être à mi-chemin entre un lego, un Playmobil et un avatar de Minecraft. Ce personnage a une vie assez étrange. D’une part il narre l’expérience de jeu de son homologue réel, expérience souvent très personnelle et pas très heureuse ; et d’autre part il doit le faire visuellement en se servant du fait qu’il évolue dans un monde parallèle, sorte de sandbox recréant des décors réels en version dessin et où apparemment tous les personnages de l’univers vidéoludique ont leur équivalent cubique. Enfin, ça c’est mon interprétation. Mais si vous voulez la version courte, c’est une chronique vidéoludique.


Et une sacrée bonne chronique, en plus ! Dans leur forme, les chroniques de Plouf empruntent pas mal à celle de Zero Punctuation, une émission Américaine elle aussi de critique vidéoludique créée en 2007. Le format animé avec des petits avatars, les décors tout simples, le durée de 5 à 10 minutes, et cetera. La série de Yahtzee a d’ailleurs influencé une autre chaine d’origine Suisse : Le Marque-page. Chaine que vous devez voir tout de suite, c’est un ordre ! Mais concernant le travail de Plouf, le moins qu’on puisse dire, c’est que ça fonctionne du tonnerre ! Du feu de dieu !


Chaque émission se place comme une balance devant trouver le parfait équilibre entre la richesse et la lisibilité. On ressent cette clarté dans la manière dont le visuel de la vidéo reflète celui du jeu, cette homogénéité visuelle qui pousse à recréer des créatures imaginaires compliquées pour les besoin d’un seul plan, cette attention toute particulière aux détails. Chaque image est constellée de petits détails rigolos et de gags visuels en tout genre, à tel point qu’on peut regarder une même critique pour la cinquième fois et découvrir un truc qu’on n’avait pas vu avant. D’autant que Plouf parvient à reprendre les gimmicks de son modèle tout en créant sa propre esthétique. Les bonhommes blancs sortis tout droit d’un panneau de signalisation sont remplacés par des lego cubiques tout mignons. Les ombres noirs sur fond jaune pétant qui donnaient l’impression de se trouver face à un chantier à six heures du mat’ ont cédé leur place à un magnifique fond bleu ciel qui donne envie de se balader dans une belle prairie sous un soleil qui réchauffe les cœurs.
Il y a aussi cette croix en haut à droite, qui est là et… ben elle est là… Je ne sais pas à quoi elle sert mais elle est là. Et c’est bien. Enfin… je suppose.


L’autre style propre à ces chroniques est bien entendu le style littéraire. Non seulement le texte est parfaitement lisible et compréhensible même à celui qui n’a pas joué au jeu – tout en trouvant un bon compromis entre l’écrit bête et méchant et l’oralité outrancière –, mais Plouf est un expert dans l’art de styliser ses discours. Chaque émission regorge de figures de styles variées donnant lieu à des images très percutantes. Par exemple, comment exprimer son envie que la saga Assassin’s Creed prenne du repos ? Prenons l’expression au pied de la lettre et personnalisons-là pour en faire un employé en plein burnout qui cherche à revoir sa famille. Comment faire ressentir au spectateur tout le ridicule de la fin de Professeur Layton vs Phoenix Wright ? Partons dans un délire surréaliste à base de maison en muffins et de cochons-homards de l’espace. Sans parler des codes récurrents comme le fait de dialoguer directement avec le jeu ou les développeurs. Le long récit romanesque pour décrire son aventure sur Stardew Valley. Cette relation abusive et dégénérative qu’il entretenait avec The Binding of Isaac. Ça vit. Ça fourmille. Les textes sont pêchus, agréables. Ils arrivent même à me faire apprécier des critiques avec lesquelles je ne suis pas d’accord. On ressent l’implication émotionnelle de leur auteur.


C’est d’ailleurs le mot qui caractérise le mieux les avis de Plouf : Emotionnels. Chaque introduction est un mélange bien senti de présentation du jeu en lui-même, mais aussi d’opinions et de rapports particuliers à la culture vidéoludique. Sans parler de l’expérience de jeu. Plouf semble se satisfaire de ces petits riens qui composent l’existence, comme quand il préfère décrire ses aventures avec son cochon de compagnie plutôt que la chasse aux monstres de Monster Hunter. Les petites anecdotes fusent. Anecdotes de jeu, bien sûr, mais aussi anecdotes en dehors du jeu. Celles sur la vie personnelle et sur l’impact du jeu sur Matthieu Lanz en tant qu’homme. Elles donnent l’impression de partager son quotidien, tout en maintenant une certaine distance par l’utilisation d’images animées. Et Lanz n’hésite pas à se moquer de lui-même et de ses mauvaises habitudes. Rien que la présence récurrente de sa compagne, en personnage secondaire muet, nous montre que la limite entre expérience réelle et virtuelle est très floue.


Et cette voix… Cette magnifique voix… Bruits d’embrassades. Si je devais trouver une seule raison de regarder les vidéos de Lanz tous les jours, ce serait juste pour entendre sa voix. Elle a l’avantage d’être pleine d’entrain et d’énergie sans que jamais cela ne paraisse forcé ou trop pompeux. Les intonations sont naturelles, variées et on alterne fluidement entre la colère loufoque, l’hésitation justifiée, l’entrain tout naturel et les murmures de ravissement tout mignons. Maintenant, revenez en arrière et relisez le texte en collant la voix de Plouf par-dessus. Vous serez étonné de voir à quel point c’est facile.


Tout ça combiné, c’est bien ce qui donne l’impression d’avoir à faire à une vraie personne, avec des sentiments et des avis qui lui sont propres. Des avis un peu trop négatifs, c’est vrai… Et une certaine tendance à râler, aussi…


Pourtant les chroniques ne sont pas que de la poudre aux yeux. Ce sont aussi des critiques construites faites par un ancien journaliste. Chaque chronique suit un déroulé classique : introduction, résumé du jeu, argumentaire et conclusion. Et… je fais la précision, parce que personne ne semble l’avoir remarqué jusque-là, mais Matthieu Lanz est un critique, un vrai ! Le genre qui enchaine les arguments avec des connecteurs tellement logiques qu’on ne se rend même pas compte qu’on est passé d’un point à un autre. On pourrait croire qu’avec l’avalanche de figures de styles et de délires bizarres, les chroniques auraient tendance à partir dans tous les sens, voire à ne ressembler à rien, et pourtant ce n’est pas le cas. J’ai beau avoir étudié ses vidéos dans tous les sens, je n’arrive pas à comprendre comment il fait pour avoir un texte aussi homogène. C’est un peu comme étudier un énorme cube de granit : on a beau le regarder au microscope et examiner attentivement chaque face, rien n’y fait ! Pas une fissure, pas une bosse. Tout est si lisse, si propre, si étrangement bien agencé au point qu’on se demande comment ce genre de phénomène est possible. Cette homogénéité est bien aidée par la longueur des chroniques : rarement plus de 7 minutes. C’est ce qui rend les avis concis et sans chichi, là où une durée plus longue aurait eu pour effet de les faire se disperser beaucoup plus facilement. Une sorte de dilemme existentiel, en quelques sortes. Longueur ou clarté ? Eclectisme ou homogénéité ? Plouf a fait son choix, et ça marche très bien.


Et c’est sans parler de la pertinence des arguments, toujours logiques, clairs et compréhensibles. Subjectifs, il est vrai, car on parle d’un avis personnel, pas loin d’être universellement fiable, mais compréhensibles quand même. Si on ajoute ce sens de la description très grandiloquent qui colle parfaitement à la voix enjouée, c’est un délice à écouter. Même si je trouve que ça ne l’empêche pas d’avoir un peu de mauvaise foi ou de sortir des propos contradictoires de temps en temps.


Oui, Plouf, il y a des fois où tu m’énerves avec tes plaintes à deux balles ! Par exemple, tu n’as aucun problème avec le fait que Mario ait un univers enfantin et sans réelle cohérence par rapport au nôtre. Par contre, quand Pokémon fait la même chose, catastrophe ! L’immersion est fichue ! Abandonnez le navire, fermez les écoutilles, rabattez le caquet des moines ! Et c’est vrai que tu peux être agaçant, à constamment chercher à te plaindre. Sans parler des fois où tu avoues ouvertement ne pas comprendre une partie du jeu. Comme si tu te dénigrai toi-même ou montrai ton incompétence. On peut avoir l’impression, un peu à tort, que tu ne vis que pour chercher la petite bête sur certains jeux. Tu en as même fait un running-gag ; c’est très bien d’avoir de l’autodérision, mais ça ne suffit pas. Moi, ça ne me gêne pas mais c’est vrai que cette tendance peut être pénible, et ce même si elle n’est jamais gratuite. Pour le coup, c’est à chacun de voir s’il y adhère ou pas. Moi-même, je déteste les râleurs, et pourtant je suis tes chroniques avec assiduité.


Il y a aussi cette tendance que tu as à ne parler que de grosses sorties. Les Ubisoft, les triples A, les suites de suites que tu ne voulais pas voir, les jeux indé à succès. D’autant que tu as tendance à les conspuer et à ne jamais cacher ton dégoût pour certains d’entre eux. Mais si c’est le cas, pourquoi ne pas t’intéresser un peu plus à ces jeux moins connu, moins vendus. Ces jeux qui ont une sortie limitée, dont peu de monde parle et par conséquent gagneraient à ce que des gens comme toi en parlent. Ça fait 7 ans que tu es sur YouTube et j’ai l’impression que tu n’as pas évolué depuis. En l’état actuel, tes critiques ont tendance à faire du surplace et à ressasser les mêmes arguments ou pire, à ne pas apporter grand-chose dans les débats vidéoludiques. Pourquoi ne pas sortir un peu de ta zone de confort, parler un peu d’autre chose ? Avec ton talent pour l’écriture, ça devrait être aussi facile que d’aller promener son chien quelques minutes par peur qu’il salisse la maison. Parce que là, excuse-moi, mais tu stagnes !


Mais je t’aime bien quand même, hein ! Tentative d’imitation du rire de Plouf.


Plouf n’est clairement pas le meilleur critique existant sur YouTube. Il a certains défauts un peu trop inhérents aux critiques en général. Ses tendances à se plaindre, ses choix de sujets discutables… Cependant, je trouve qu’il serait stupide de le dénigrer, de le harceler dans son dos ou de le pendre en place public. S’il manque un peu de… de raffinement, dirons-nous, il a quand même quelque chose bien à lui : il a une personnalité.


Il s’avère que j’ai un problème avec le domaine de la critique « A chaud », celui qui s’intéresse aux dernières sorties. La raison étant que c’est tout le temps la même chose. Les mêmes types aigris en pull moche avec des têtes à claques, les mêmes appartements à 300 euros le mois sans personnalité, les mêmes posters tout nuls, le même découpage chiant avec cette fichue zone spoilers, les mêmes discours oraux interchangeables ! Comme si en France, on ne savait faire que ça. Alors que pas du tout. Il y a plein de choses à faire avec une critique. Pourquoi ne pas l’emmener faire un tour dehors, lui faire découvrir le monde extérieur. Elle croisera d’autres styles, d’autres concepts ; puis elle se fera des amis, grandira et deviendra une ado rebelle qui sort en boîte pour prendre un peu de bon temps. Enfin, elle finira par devenir adulte. Elle trouvera l’amour, se mariera et nous offrira toute une armée de gentils petits concepts qui iront à leur tour expérimenter le monde, permettant enfin à l’humanité, et surtout à internet, de progresser. Et ce sera magnifique !

WatchFox
8
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le 23 oct. 2019

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