Critique mise à jour au fil des saisons
Chaque année voit fleurir une kyrielle de séries, qui de plus en plus s'accaparent une belle part de nos écrans. Les petites nouvelles doivent parfois jouer des coudes pour s'imposer dans cet univers déjà bien (sur)chargé. Arrivée avec 2017 dans le catalogue prolifique de Netflix, celle-ci n'a pas trop de soucis à se faire: avant même de démarrer et à peine annoncée, elle a su se faire remarquer. Adaptée de la saga littéraire de jeunesse du mystérieux et insaisissable Lemony Snicket, on ne présente plus les infortunés mais néanmoins fortunés orphelins et leur ombre démoniaque, le cupide Comte Olaf. Les mésaventures du jeune trio ont déjà passé avec succès l'épreuve du feu en tenant en haleine un vaste lectorat treize tomes durant.
A Netflix maintenant de nous captiver...
Tout ne commence pas si mal
Naturellement, tout commence mal pour Violette, Klaus et Prunille. Et c'est bien sûr ce que l'on attend de l'univers caustique des Baudelaire: de funestes péripéties. Car force est de constater que pour le spectateur assez aventureux pour passer outre les avertissements d'un Monsieur Snicket qui n'hésite pas à intervenir dans la narration, tout ne commence pas si mal. Et pour qui s'est déjà plongé dans les volumes relatant les déboires de la fratrie décidément fort peu chanceuse, l'atmosphère et la scénographie sont agréablement familières - malgré quelques choix esthétiques un peu douteux dans les premiers temps, majoritairement imputables aux images de synthèses. Davantage sans doute que nos jeunes héros, on apprécie les architectures biscornues qui émergent des brumes grisaillantes, le charme rétro des intérieurs et la saveur des noms évocateurs des lieux-dits, les couleurs patelles qui pétillent ça et là, apportant une touche de douceur acidulée à ce décor fuligineux. C'est sombre à souhait et un peu naïf à la fois. Entre le conte gothique et le conte de fée, avec un petit air préfabriqué de carte postale.
Dans ces paysages de carterie, le trio Baudelaire a des allures de figures de cire décoratives. Les cheveux bien peignés, les plis lissés et le col bien repassé, ils vont mécaniquement de foyer en tuteur comme les trois petits cochons qui leurs maisons soufflées, auraient abusés des antidépresseurs. De la même manière Neil Patrick Harris se montre parfoi convaincant sous les traits de l'auto-proclamé Comte mais grimaces, tatouage et sourcils broussailleux n'y suffisent pas tout à fait. Lui manque l'aura menaçante que distillait son inquiétante fantaisie: une folie latente qui émanait de ce sinistre échalas sous la plume de Lemony Snicket...
Il faudra attendre le quatrième diptyque marquant la fin de la première saison pour voir poindre chez les orphelins - enfin! - un brin de ce désespoir qui nous est narré par l'auteur. Après des débuts à-demi polaires ou peu s'en faut, une brise de panique se lève. Ce n'est pas encore la tempête, à peine un petit souffle de désarrois. De quoi faire monter quelques couleurs aux joues pâles des Baudelaire et agiter un peu leur univers par trop rangé. Car la série souffre du même défaut que son aînée de papier: une systématisation du schéma de l'intrigue qui en vient à manquer un peu de souffle. Mais de nouveaux élément se dessinent derrière ce premier canevas, qui laissent deviner une intrigue plus vaste et viennent titiller notre curiosité et l'envie de pousser plus avant.
Les trois petits cochons seraient-ils six?
Et naturellement tout va de mal en pis pour nos orphelins préférés. Las des foyers inhospitaliers, écœurés des tuteurs indifférents, trop (dés)intéressés ou mal intentionnés, ils poursuivent leurs malaventures sous forme de fuite sans pour autant briser le rythme métronomique de leurs sordides étapes ni endiguer l'hystérie d'un Olaf plus cabotin que jamais. Les voilà devenus gibiers de potence, l'affreux Comte et sa troupe toujours à leurs basques et leurs bobines en première page du Petit Pointilleux avec toute la fidélité et l'exactitude que peut suggérer l'éthique floue d'une journaliste avide de potins. Leur avenir parait bien sombre et dramatiquement incertain...
Pourtant une petite lueur d'espoir apparaît, un but se profile. Pas encore une issue mais peut être un sens à cette course insensée. Quoique trop fugitive pour apporte un changement de dynamique notoire, la rencontre avec les triplés Beauxdraps qui ne sont que deux nous laisse croire - et laisse espérer nos héros - que les infortunés Baudelaire ne sont pas seuls au monde, si noir soit-il. Mais point d'espoir sans désespoir dans l'univers tortueux de Lemony Snicket: le mystère s'épaissit à mesure que le narrateur nous apporte des éclaircissements. Car chaque nouveau personnage amène son lot d'interrogations, chaque nouvelle réponse d'autres questions.
La fin n'est pas au Dénouement
Naturellement le désespoir des Baudelaire est à son comble quand débute la fin. Momentanément séparés pour la première fois et leurs espoirs partis en fumée, il leur reste bien peu de choses auxquelles se raccrocher et de biens minces raisons d'encore espérer un heureux dénouement à leurs désastreuse aventures.
Pourtant, même le Comte Olaf perd pied et ne sait plus quelle comédie jouer. Révélations réunions, abandons, dissidences et nouvelles alliances: les uns se séparent, les autres se retrouvent, mais pour le trio une fois de plus sonne le glas de la désillusion. Leur persécuteur enfin accusé et semble-t'il acculé, leurs tuteurs rassemblés et dessillés, les visages amis réunis et repentis - les quelques absents sont occupés à d'autres ennuis et passionnantes péripéties - les Baudelaire croient un bref instant pouvoir souffler. Mais l'intrigue se poursuit avec son inexorable symétrie et ne s'écarte pas du schéma narratif installé dès les premiers épisodes. La donne est truquées avant même que les cartes ne soient distribuées et le procès vire à la parodie dans la plus totale hystérie, condensant en un seul épisode tout ce que la série à d'excessif.
Si leur patronyme laisse croire qu'en l'hôtel des frères Dénouement se trouve la clef de cette obscure affaire, ce n'est que le pénultième péril pour les orphelins et un leurre pour le spectateur naïf. Ce serait en effet mésestimer le goût prononcé de Monsieur Snicket pour les imbroglios alambiqués au burlesque funeste. Pour démêler ce nœud gordien , les Baudelaire devront trancher les amarres et mettre le cap vers le tout début pour enfin connaitre le fin mot de l'histoire.
La victoire est douce-amère, et nous rappelle que si nos ennemis sont mus par la haine, elle est elle-même souvent mue par la tristesse et le désespoir. Mais pour les Baudelaire, l'heure n'est plus au chagrin et pour nous est venu celle d'éteindre nos télés pour les laisser savourer leur liberté enfin retrouvée. Pour eux, c'est Vers la Fin qu'est le Début: celui d'une vie sans aucun doute riche en inventions ingénieuses, en lectures merveilleuses, en fine gastronomie pour solides quenottes.. et en aventures tout aussi passionnantes mais - souhaitons-leur! - moins affligeantes que leurs désastreuses mésaventures.