Les Envahisseurs
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Les Envahisseurs

Série ABC (1967)

Les Envahisseurs, en un mot (sans spoilers) : Si vous aimez les 60's, si vous aimez le fantastique, si vous aimez Hitchcock, "The Invaders" offre un bon mélange de ces trois univers. La série contient son nombre d'incohérences et d'improvisations, mais aussi son lot de magnifiques scènes à suspense, dans une mise en scène classique et solide, ou d'expérimentations visuelles surréalistes. Le motif rouge relie esthétiquement la quarantaine d'épisodes avec brio : la désintégration des extraterrestres dans une lueur rouge en est la plus belle trouvaille. Le héros est impeccablement joué par Roy Thinnes. Pris au piège de leur thème (la chasse aux extraterrestres, donc, la chasse aux sorcières), les scénaristes jouent du caractère entêté de leur héros, assument son côté réactionnaire, l'incompréhension de la société de son époque. On voit ainsi la série évoluer dans sa métaphore, vers une morale de plus en plus "flower power", comme si les scénaristes suivaient le mouvement de l'Histoire et interrogent leur héros en croisade. Lui-même devient peu à peu plus souple, moins froid, et s'ouvre politiquement. Les envahisseurs, eux, s'ils peuvent parfois paraître associé à la peur communiste dans la saison 1, servent au contraire à montrer le besoin pour les humains de "s'allier" face à la menace de toute pensée totalitaire. La série vaut donc aussi comme un bon témoin des préoccupations des années 60, entre reste de parano de la guerre froide, crainte d'invasion étrangère, et début d'un questionnement de son propre pays, de son engagement au Vietnam et se tourne vers une ouverture à la "détente" dans la guerre froide...


Analyse détaillée (Spoilers)
SAISON 1


Mars 2020. Confiné, je me lance dans The Invaders (Les envahisseurs), la série à mi-chemin entre Invasion of the body snatchers et X-Files. Créée par Larry Cohen (qui réalisera en 1974 le film d’horreur It’s Alive, et scénariste de Maniac Cop, L’avocat du diable, Phone Game…), la série est produite par Quinn Martin, qui sortait du succès du Fugitif et voulait le réitérer.


Le pilote est un petit chef d'œuvre, l'épisode 2 très bon. La série, en couleur, sait créer de belles atmosphères malgré les caméras TV de l'époque, bénéficiant de beaucoup de scènes en décor naturel et d'une musique culte signée Dominic Frontiere. Au-delà du célèbre thème principal, génial, la série joue d’un leitmotiv : ces deux notes répétitives, lançinantes, qui distillent une angoisse tout à fait herrmannienne, parfois agrémentée de sonorités plus « psychédéliques » des 60’s pour évoquer l’aspect SF. A mi-chemin de la saison 1, ces quelques thèmes de Dominic Frontiere sont utilisés à outrance, omniprésents (on peut faire le même reproche pour X-Files des années plus tard, tapissée de la musique, bien qu’excellente aussi, de Mark Snow). Fort heureusement, la deuxième moitié de la saison 1 présente de nouvelles compositions, invitant d’autres musiciens à poser leurs musiques, tout aussi réussies même si moins marquantes.


La série entière baigne de références à Hitchcock, dont l’ombre plane tout le temps, que ce soit par des scènes sous forme de clin d’œil, un épisode qui fait écho à The Birds, et le concept même de la série, une version fantastique de La Mort aux trousses. Dans le film d'Hitchcock, une figure masculine neutre, presque sans vie (Roger O. "comme zéro" Thornhill) se retrouve à courir à travers les USA pour prouver qui il est. Dans The invaders, David Vincent est un homme sans biographie lui aussi, mais il veut prouver que les autres ne sont pas ce qu'ils sont. Lui aussi court partout, ce motif visuel de la course irrigue la série et donne un caractère haletant aux épisodes, ce qui les rend toujours modernes, à l'épreuve des 60 ans passés depuis leur sortie. Cette figure d'homme en fuite évoque aussi, bien sûr, Le Fugitif, précédente production de Quinn Martin (elle-même dans les pas d'Hitchcock et de ses films de faux coupables).


Bien sûr il y a quelques moments kitchs, chaque épisode propose quelques scènes à effets spéciaux, extrêmement pauvres, qui ont la beauté surréaliste d’un Méliès : lumières stroboscopiques, vrombissements, explosions multicolores, et surtout, la plus belle invention de la série, les aliens qui brillent d’une phosphorescence rouge puis disparaissent quand ils meurent. Psychédéliques et rudimentaires, ces effets n’auraient pas été reniés par David Lynch dans sa saison 3 de Twin Peaks, comme ces scènes de l’épisode The Storm, où les envahisseurs créent une tornade depuis un bateau de pêche : images composites de la tornade se formant peu à peu, à base de surimpressions de feu d’artifices rembobinés superposée sur un fond de nuages menaçants.


Mais pour l'essentiel, l'angoisse naît de très peu dans la série, l'économie de moyen est bien tirée à profit. Ce sont les visages inquiétants, les moments de doutes paranoïaques, qui font le plus peur.


Exemple sublime dans le prologue de l’épisode 2 : un scientifique entre dans un avion de ligne, interrogé par des journalistes qui veulent en savoir plus sur ses déclarations récentes à propos de l'existence des aliens. Les journalistes évacués, le scientifique s'assoit à côté de son fils... mais voit par le hublot un homme, dehors sous la pluie, qui guide l'avion sur le tarmac. Ses doigts sont courbés : c'est l'un d'eux. Le scientifique terrifié sort aussitôt, persuadé que cet avion va exploser. Depuis l'aéroport, il voit l'avion décoller... regarde par la fenêtre… on a aussitôt l'angoisse de savoir s'il va exploser ou non.


Autre image qui m’a marqué, dans l’épisode pilote : celle d’une vieille femme, au physique de gentille grand-mère, rigide et regard-caméra, au milieu d’un incendie.


Le casting participe aussi à la réussite de la série. Roy Thinnes est un excellent héros, sorte de Paul Newman à la sauce James Bond. Ses yeux bleus terrifiés rendent puissantes les scènes de visions, comme celle célèbre de la toute première scène de la série, reprise dans chaque générique d’intro.


Mais c’est aussi un jeu de reconnaître des visages familiers, actrices et acteurs du cinéma hollywoodien, souvent des « characters actors », des tronches, qui participent de la grande qualité de la série, par leurs apparitions dans des seconds rôles. Beaucoup de familiers du cinéma d’Hitchcock, comme pour appuyer l’hommage au Maître constant dans la série. Citons, dans le désordre :



  • Dans le pilote, dans un village fantôme, village en passe d'être entièrement acheté par les aliens, on croise Diane Baker (la sœur de Mark dans Marnie d’Hitchcock), personnage à la Audrey Horne dans Twin Peaks, immédiatement attachante et séduisante. Vaughn Taylor (le patron de Marion dans "Psychose"), en barman lubrique et sourd comme un pot, appareillé (vous avez dit Gordon Cole ?). Dans l'épisode 2, on trouve Roddy McDowall (Cornelius dans La planète des singes). Et, dans le reste de la saison 1, en vrac : Suzanne Pleschette, géniale actrice vue dans The Birds, encore Hitchcock ; Murray Hamilton, le Maire dans Jaws de Spielberg ; le grand Burgess Meredith (connu pour jouer l’entraîneur de Rocky dans la saga du même nom, mais qui a joué aussi pour Lewis Milestone, Ernst Lubitsch, Otto Preminger, et même Godard) en journaliste vedette un peu sur le retour, allié de David Vincent dans l’épisode Wall of crystal ; dans l’épisode Ivy Curtain, Jack Warden (que l’on croise dans 12 Hommes en colère, Tant qu’il y aura des hommes, La taverne de l’Irlandais, Les hommes du président…) ; Ralph Bellamy dans The Betrayed (acteur à l’immense filmographie, de Cette sacrée vérité, La dame du vendredi, à Pretty Woman) ; Louise Latham, géniale actrice, elle aussi issue du monde d’Hitchcock puisqu’elle jouait la mère de Tippi Hedren dans Marnie ; Kent Smith (acteur principal de La Féline de Jacques Tourneur, vu aussi dans La Malédiction des hommes chats, dans Le Rebelle de King Vidor, dans The Alfred Hitchcock Hour…) ; ou encore Peter Graves le célèbre Jim Phelps la série Mission Impossible.
    En figurants, pour quelques plans, on croise quelques jeunes à leurs tout débuts : Peggy Lipton (Norma, dans Twin Peaks) et Seymour Cassel (grand acteur chez Cassavetes).


L’efficacité des scénarios est aussi l’un atouts de la série. L’écriture va à l’essentiel – parfois un manque au regard des séries modernes, bien sûr : David Vincent est « projeté » sur les lieux de l’enquête, une voix-off nous raconte qu’il a eu vent du meurtre ou du phénomène vu en prologue, et c’est parti. Chaque scène fait énormément avancer l'intrigue, souvent filmée en plan-séquence, en mouvement, tendues. Les transitions sont toujours percutantes, cut et très inventives. Un cri d'humain mène au soudain sifflement d'une machine... Contrairement à pas mal de séries de l'époque, les coupures pub sont bien intégrées, sans baisse de rythme, et le spectateur est toujours surpris par le surgissement d'une nouvelle scène (c’est particulièrement marquant dans l’épisode pilote). Nombreuses sont les entrées en scène de nouveaux personnages sur le côté, par un panoramique inattendu. Comme pour inciter le spectateur à rester sur ses gardes : tout peut arriver.
Quant à ce « super-héros » qu’est David Vincent, en ne lui accordant aucune biographie, aucun background, les scénaristes montrent, en creux, qu’il est absolument seul. Si la quête apparaît réelle, si l’on ne doute pas de la réalité des extraterrestres, on voit à l’image, sans que cela soit souligné, un homme qui n’a rien, personne, aucune famille, pas de petite amie (exception faite d’une petite amie rêvée dans un épisode, et réelle le temps d’un second). Désespérément sérieux, il ne fait plus que traquer la « vérité ». Comme pour éviter de rentrer chez lui, où rien ne semble l’attendre.


C’est donc, peut-être, un léger défaut de la série par rapport à nos attentes de spectateurs de 2020. Au spectateur d’imaginer comment, entre deux enquêtes, il mène sa vie, son quotidien d’architecte… Là où, dans la version 2.0. de The Invaders, à savoir X-Files, le lieu de travail (le bureau du FBI) de Mulder et Scully permettait de relier intrigues, personnages, enjeux… Mais c’est aussi le charme « à l’ancienne » de The Invaders, suivre un héros sans biographie si ce n’est celle de ses aventures.

Bien sûr, David Vincent est sexy : les femmes sont sous son charme. Il y a même peut-être un zeste d’homoérotisme avec le fils du docteur dans l’épisode 2. Les rencontres avec les personnages féminins jouent un rôle important dans la série. Mais David Vincent est comme un cowboy blessé. Obsédé par sa quête, les relations humaines glissent sur lui, ne l’atteignent pas. Comme conclut la voix-off d’un très bel épisode où David Vincent tombe amoureux, d’une femme qui se révèle être une alien, "Pendant quelques heures, dans le désert au sud de Rosario, un homme et une femme se sont rencontrés, deux êtres venus de deux univers étrangers l'un à l'autre. Tout au long des mois à venir, David Vincent se souviendra de ces quelques heures". Et, en effet, par la suite, David Vincent se montre de plus en plus froid, insensible aux autres tout au long de la saison 1. Dans le quatrième épisode, Eve, David Vincent se retrouve observateur d’un triangle amoureux, sans y prendre part, comme quelque chose d’étranger, d’extraterrestre, à sa propre vie.


A cette figure de lonesome cowboy répond une imagerie du western, fréquente dans la série : village fantôme dans le pilote, troisième épisode dans le désert, base secrète sous les couloirs d’une mine de charbon dans le quatrième…


La réalité des extraterrestres n’est jamais questionnée dans la série. Pourtant, si nous y croyons d’office avec David Vincent, nous croisons souvent des personnages devenus fous, enfermés à l’asile. Et, le temps d’une scène, le point-de-vue bascule du côté d’un personnage secondaire incrédule, et c’est David Vincent qui paraît fou, assénant « sa » réalité complotiste. La série nous dit que les fous ne le sont pas, ils ont vu la vérité, ce qui les met définitivement à la marge de la société, traumatisés et racontant des histoires en apparence délirantes. En ne croyant pas aux extraterrestres, en prenant pour fous ceux qui en racontent les visions, nous jouons le jeu des envahisseurs.


Peu à peu, l’aspect « cowboy solitaire » de David Vincent révèle un aspect logique de cette personnalité : notre héros est dur, froid, voire réactionnaire. Le monde nouveau des extraterrestres, l’envahisseur étranger, l’effraie. Sûr de la réalité de l’invasion (et nous aussi, avec lui), David Vincent apparaît de plus en plus sûr de ses décisions au fil de la série : il devient un guerrier sans remords, à l’image de John Wayne dans La prisonnière du désert. A force de traquer les inhumains, il devient lui-même déshumanisé. Et son manque d’émotions transparaît au contact des personnages humains, alliés et alliées, femmes amoureuses, collègues terrifiés, face auxquels David Vincent fait preuve d’une intransigeance parfois terrifiante. Il apparaît comme un forcené, hanté par sa croisade. Cet homme sans vie, détaché, devient vite un anti-héros. Un aspect fort intéressant de la série, qui la rend plus ambiguë qu’elle n’en a l’air. Intéressant de voir une larme perler dans le coin de l’œil de David Vincent, pour la toute première fois, à la fin de la saison 1 dans un épisode où nous lui découvrons enfin une backstory : l’existence d’un frère, d’une belle-sœur enceinte, menacés par les aliens. Son regard d’acier est enfin troublé par une larme, au bout de 16 épisodes.


Sortie en 1967, The Invaders résume une peur de la fin d’une ère, le basculement vers un nouveau monde. Elle est parfois patriotique – la lecture la plus évidente est de voir les envahisseurs comme des communistes, tant la couleur rouge leur est associée, et certains épisodes donnent plus clairement que d’autres cette lecture, comme dans l'épisode Ivy Curtain (référence au rideau de fer), où l’on découvre une école extraterrestre où les aliens apprennent l’imitation des humains, transposition sous forme de fiction des centres d’entraînement espion de l’URSS qui imitaient à l’identique sous forme de décors des villes américaines. Mais la série est aussi, parfois, plus critique sur son propre pays. Critique, notamment, de l’engagement en Corée et au Vietnam : conséquences fatales de ces guerres, certains personnages qui y ont été soldats sont devenus aigris ou fous, et les extraterrestres utilisent cette blessure pour en faire des alliés. L’opacité des actions du gouvernement, la crainte du nucléaire, les premières craintes écologiques, la folie de la guerre froide, toutes ces peurs servent de terreau à la série, autant que celle d'un ennemi. L'ennemi est déjà parmi nous, l'ennemi est aussi nous.


Malgré toutes ces qualités, le défaut de la série tient dans son côté programmatique. En début de saison, les trois premiers épisodes géniaux passés, la série piétine un temps dans la répétition, entre les épisodes 4 et 6 : David Vincent arrive toujours sur les lieux d’un évènement lié aux aliens, joue les infiltrés ou les policiers, intègre ce nouveau milieu, trouve des alliés et des ennemis, découvre une base secrète, qui finit par être détruite sans laisser ni traces ni preuves. Néanmoins, je trouve qu’à partir de l’épisode 7 et jusqu’à la fin de la saison 1, les scénaristes parviennent à se renouveler, soit par le cadre de l’épisode, soit par les enjeux émotionnels. Et surtout, la saison se termine sur une note de changement.


Si le « canevas » reste plus ou moins toujours le même d’épisode en épisode, les meilleurs sont ceux où les scénaristes trouvent l’occasion de décoller de ce programme en nous intéressant aux personnages de la semaine. Une situation particulière vécue par ces personnages viendra jouer en écho avec l’habituelle confrontation aux aliens, pour tirer la série d’aventure basique vers la fable, le conte.


Quelques exemples de ces pépites :



  • Nightmare : au Kansas, l’héroïne de cet épisode a perdu ses parents. Elle fut un temps persuadée qu’ils n’étaient pas mort. Choyée apparemment par un groupe de petits vieux, qui veulent en réalité la faire interner, un potentiel mari l’attend, fou amoureux, et lui construit une maison. De ce background, nous assisterons à son cheminement à travers sa rencontre avec David Vincent et les envahisseurs : elle devra se rebeller contre ses geôliers pour ne plus être traitée en petite fille traumatisée. D’un côté, le « cauchemar », donc, qui se répète : témoin d’un phénomène ovni, elle voit trois villageois dans une grange réunis autour d’une étrange machine déclencher une attaque de locustes, transformés en armes biologiques. De l'autre, le rêve, une vie de couple, paisible, symbolisée par la maison en construction de son petit ami. Un rêve mis en péril par sa vision cauchemardesque des envahisseurs dans la grange. Elle accepte d’abord dire qu’elle a rêvé, qu’elle a halluciné, justement pour ne pas retomber dans le cauchemar éveillé, pour ne pas finir à l’asile. Dans ce décor de bourgade aux clôtures blanches, très Blue Velvet, l’arrivée de David Vincent qui veut absolument prouver la vérité cachée derrière ces attaques de locustes vient mettre en péril la possibilité d’une vie sereine pour l’héroïne. Il la fait traverser son cauchemar à nouveau, affronter les petits vieux, les aliens… Tout est cinématographique dans cet épisode, encore une fois très hitchcockien : les attaques de locustes rappellent Les Oiseaux, une fuite dans les champs de blés évoque La Mort aux trousses… L’image finale, David Vincent s’éloignant de la maison du bonheur, la maison en construction, montre que lui vivra toujours dans un cauchemar.


  • Quantity Unknown : David Vincent fait face à sa paranoïa et sa misanthropie, quand il est lui-même pris pour un alien... Un policier, sorte d'alter-ego aussi méfiant que lui, le soupçonne en effet d’être "l’un des leurs". Au-delà de l’intrigue du jour (un cylindre mystérieux que les aliens veulent à tout prix récupérer), cet épisode déploie le thème de la paranoïa de manière magistrale. Les complotistes s’y montrent plus inhumains que les aliens, alors que ces derniers arrivent à imiter notre humanité. Le cylindre mystérieux, génial macguffin hitchcockien (et qui ressemble à un thermos), devient l’incarnation du thème de la paranoïa. De l’objet il devient symbole. Très belle scène où David et les enquêteurs laissent le cylindre sur un entrepôt à bagages d’un aéroport, et surveillent quiconque s’en approche : si quelqu'un vient le subtiliser, David Vincent dit vrai, le cylindre est symbole de vérité. Si personne ne le prend, il est fou, le cylindre est symbole de paranoïa. Personne ne vient le chercher, mais nous spectateurs voyons les envahisseurs qui annulent leurs plans et ne le prennent pas, trop malins pour tomber dans le piège. L’épisode bénéficie encore d’un casting de vétérans d’Hollywood, à commencer par James Whitmore dont l’interprétation est mémorable dans le rôle du flic alter-ego de Vincent (il a joué entre autres dans Quand la ville dort de Huston, La planète des singes, L’œuf du serpent de Bergman, Les évadés). Mais on retrouve aussi Milton Seizer (un visage aperçu dans Marnie d’Hitchcock, décidemment tout le casting de ce film joue dans The Invaders), Barney Phillips (qui jouait un alien dans The twilight zone, épisode Will the real martian please stand up ?) et Susan Strasberg (la fille de Lee Strasberg). La réalisation de l’épisode confiée à un dénommé Sutton Roley est très réussie, avec ce cylindre tant désiré qui rappelle Kiss Me Deadly, provoquant une vision tout autant psychédélique que dans le film d’Aldrich lorsque l’on tente d’en percer la coque, et une course-poursuite finale aux accents de North by Northwest (encore).


  • The Innocent : épisode où David Vincent confronte un chef des aliens interprété par Michael Rennie, interprète de Klaatu, l’extraterrestre pacifiste, dans le The day the earth stood still de Robert Wise. Jouant de l’hommage à ce précédent film, l’épisode montre David Vincent découvrir que les aliens ont changé leurs plans : ils sont devenus pacifistes. Ils lui révèlent l’utopie qu’ils sont en train de bâtir, en collaboration avec les humains, rappelant à David ses anciens rêves, par le biais d’un collègue architecte qui peut réaliser tous ses plans les plus fous, et par la réapparition d’une ex-petite amie… Mais cette utopie et la bienveillance de cet alien sont-ils un leurre ? La paranoïa de David le pousse finalement à rejeter ce monde rêvé. Épisode réalisé encore une fois par le talentueux Sutton Roley, et qui là encore lorgne vers Hitchcock avec un remake de la scène de l’ivresse de La mort aux trousses, où David Vincent, comme Cary Grant, se trouve contraint de boire du whisky par grandes rasades avant d’être propulsé dans une voiture lancée à grande vitesse sur une falaise… L’épisode contient d’autres moments géniaux : David Vincent entre enfin dans un vaisseau spatial pour y voyager ; il se retrouve à la frontière de la folie, où la réalité lui paraît le fruit d’un lavage de cerveau, et où une horde d’humains/aliens l’entourent dans un plan ralenti en plongée qui évoque Invasion of the body snatchers et, avant l’heure, Night of the living dead.


  • The Storm : dans cet épisode qui a pour personnage principal le prêtre d’un petit village, l’approche d’une tornade devient ici le courroux des nouveaux dieux, les aliens. Face au prêtre, la façon d’agir de David Vincent se trouve questionnée : notre héros apparaissait de plus en plus froid au fil des épisodes, et par sa confrontation avec le prêtre, il prend conscience du danger de devenir aussi inhumain que ceux qu’il combat. Peut-on accepter le meurtre, juste par ce que ceux que l'on tue n'appartiennent pas à l'espèce humaine ? Ambiance entre Hitchcock et Friedkin ici, avec un aspect mystique, de lutte de bien contre le mal, dans la pénombre de cette église dont les extraterrestres s’emparent pour en faire une base secrète. Voir les envahisseurs faire apparaître leur poste de pilotage d’un retable, et décider d’abattre un cataclysme devant un immense crucifix, tient du génie. Le comédien interprétant le prêtre, Joseph Campanella, est excellent, et on peut y voir un avant-goût du prêtre de l’Exorciste, lui aussi d’origine italienne, tous deux très crédibles et touchants dans leur portrait d’hommes voués à Dieu, en crise de Foi, assaillis de doutes face à l’existence du Mal… Enfin, l’épisode vaut aussi pour sa mise en scène, avec d’un côté des plans très cinématographiques lorsque David Vincent est drogué, balancement de la caméra, gros plan sur ses yeux, qui évoquent encore et toujours Hitchcock, cette fois du côté de Notorious. Ou encore, Vincent attaqué dans l’église, se battant contre les envahisseurs, sur l’orgue, provoquant des notes sinistres comme dans Secret Agent, film des débuts du Maître du suspense. Et, pour finir, de très belles scènes de nuit, en pleine tornade, où les gyrophares de police, les lumières des lampes torches, font autant de phares dans la nuit, dans une atmosphère sonore oppressante de bourrasques. Les monstres envahissant l’église dans la nuit, la tempête au dehors, évoquent aussi The Fog de Carpenter.


  • Panic : épisode avec un alien différent des autres, à savoir un adolescent charmant. Malheureusement pour lui, tous les humains qu’il touche meurent gelés, en quelques minutes, et cet alien-adolescent semble le regretter. David Vincent veut le trouver et l’arrêter, mais le jeune homme est également poursuivi par ses paires extraterrestres, qui veulent l’éliminer – David Vincent se trouve donc à jouer leur jeu sans le vouloir. Quand Vincent parvient à capturer l’adolescent-extraterrestre, ils croisent la route d’une jeune femme, qui tombe sous le charme du jeune alien. L'épisode joue de notre capacité à se faire berner par un visage innocent, et vaut grandement pour le magnétisme de l’acteur Robert Walker Jr. dans le rôle de cet alien faussement angélique qui rappelle énormément l’interprétation de son père, Robert Walker, dans le rôle du tueur charmant et manipulateur Bruno dans… Strangers on a train, d’Alfred Hitchcock - on y revient.


  • The Condemned : cet épisode final de la saison 1 termine d’utiliser la référence à La Mort aux trousses, en montrant David Vincent en faux coupable. Dans le film d’Hitchcock, Cary Grant était pris au piège d’un jeu de dupes, voulait trouver le vrai Kaplan et en chemin se faisait accuser à tort de meurtre. Dans la version « fantastique » de ce chassé-croisé, le casse-tête est démultiplié : les aliens tuent un dénommé Morgan Tate qui a découvert la vérité à leur sujet ; Tate en réchappe et se cache, il est porté disparu, David Vincent le cherche ; dans cette quête, David Vincent tue un alien qui se dissout aussitôt ; l’un des aliens se porte aussitôt témoin pour prétendre que l’homme que Vincent a tué est Morgan Tate, lui faisant porter le chapeau de leur propre meurtre. Ajoutez à cela que pour ne pas finir en prison ou sur la chaise électrique, David Vincent doit tout faire pour retrouver Morgan Tate, que tout le monde croit mort, et n’a comme seule alliée que la fille de Tate, qui hait son père et préfère donc croire, elle aussi, qu’il est mort. Au cœur de cette histoire, se dessine peu à peu le vrai sujet, l’impossible rachat d’un père aux yeux de sa fille.



SAISON 2


Après une première saison de qualité, « The Invaders » revient en 1968 pour un plus grand nombre d’épisodes (26 pour la saison 2, contre 17 pour la saison 1). S’il y a forcément des ratés dans le lot (pour moi, 6 sont ratés ou moyens), c’est globalement une réussite, pour plusieurs points : nombre d’épisodes sont de plus en plus cinématographiques, le travail des lumières, des scènes de nuit, des atmosphères, va dans ce sens. Les musiques sont aussi plus diversifiées, plus atonales aussi, et même si les morceaux cultes de Dominic Frontiere manquent un peu, on préfère entendre une B.O. adaptée aux scènes que la « boîte à musique » devenue répétitive de la saison 1. Enfin, la saison 2 évolue thématiquement, comme suivant le cours de l’Histoire : David Vincent, sa croisade, sa psychologie, passent de la froideur et de la certitude de la saison 1 vers plus d’ouverture d’esprit. Cela correspond, notamment, à un nouveau chapitre entamé à partir de l’épisode 14 et qui mène jusqu’à la conclusion de la série, comme si les créateurs ouvraient une saison 3 dans la saison 2. En effet, après quelques tentatives de personnages récurrents en amont, c’est à partir de l’épisode 14 que la série se forge de nouveaux personnages dans l’entourage du héros, pour créer plus de continuité, comme si les scénaristes se dotaient enfin d’une bible de série – et pour cause, ils n’en eurent jamais aucune ! Tout comme The Fugitive et plusieurs productions de Quinn Martin, la série n’avait aucune feuille de route, si bien que le comportement des aliens, leurs particularités, changent au petit bonheur la chance, au gré des inspirations de chaque scénariste (ce fameux petit doigt raide des envahisseurs, idée présente dans le pilote, puis tantôt adoptée, tantôt oubliée, d’un épisode à l’autre...)
La saison se divisant donc littéralement en deux parties différentes, citons parmi les épisodes de la première partie (entre les épisodes 1 et 13) :



  • « Condition : Red », tout premier épisode de la saison, sorte de « I married a monster from outer space », ou comment un homme, militaire de surcroît, découvre que sa nouvelle épouse est une alien. L’épisode baigne dans une ambiance d’épouvante réaliste, où l’horreur se niche au sein du couple. Très nocturne, en intérieurs, « Condition : Red » est assez étouffant et horrible dans tous les sens du terme : l’horreur ici nous glace le sang en même temps qu’elle émeut.


  • « The Saucer » : le deuxième épisode est l’un des plus marquants de la série. C’est une sorte de Rio Bravo fantastique, où David Vincent fait tout pour garder son fief, en l’occurrence une soucoupe dans le désert. Le western devient presque un sous-genre de la série tant le décor désertique est régulièrement convoqué, et sied bien à la série. L’épisode est très musclé, il va de surprises en surprises, mais s’il fonctionne autant, c’est parce que les « humains » que l’on y croise sont attachants : un écrivain raté qui voit des soucoupes volantes fréquemment et que personne ne croit ; un couple mal parti dans la vie, lui plus âgé qu’elle, amoureux fou, elle vénale et avec un petit problème du côté de son attachement à son papa… Après avoir commis un vol, ils se crashent en avion dans le désert… Ann Francis (« Forbidden planet », « Bad day at black rock »), qui joue ce personnage féminin, sait donner des nuances à son personnage pour le rendre touchant. Les protagonistes de l’épisode se retrouveront tous reliés à cette soucoupe, leurs histoires personnelles se résolveront dans la mort ou la survie, autour de ce « Règlement de comptes à OK Corral » entre humains et aliens.


  • Citons pour l’anecdote l’apparition de Kevin MacCarthy, l’interprète principal de « Invasion of the body snatchers », donc l’inspiration première du personnage de David Vincent, dans le troisième épisode « The Watchers »… cependant l’un des moins bons épisodes de la série.


  • « The Enemy » : un alien survit à un crash de soucoupe avant d’être recueilli, entre la vie et la mort, par une infirmière qui vit seule dans un ranch. Au courant de la nature extraterrestre de son patient, elle le soigne tout de même : ayant vécu la guerre du Vietnam en tant qu’infirmière, elle est persuadée que sa nature d’extraterrestre est meilleure que celle de l’Homme… jusqu’à ce que David Vincent arrive. Ce génial épisode questionne notre part d’empathie, notre capacité humaniste à tendre la main à l’ennemi. A ce stade, la série adopte encore le point-de-vue « dur », réactionnaire, de son héros (qui va progressivement évoluer). Mais l’hésitation est déjà présente : nous sommes nous aussi en empathie avec l’alien qui se défigure au fil de son agonie, se transformant peu à peu en « elephant man », et qui découvre pour la première fois la peur de la mort et de la souffrance inhérente à sa carapace humaine. Bref, un scénario puissant et énigmatique, qui questionne plus qu’il n’assène une réponse. Et surtout, il bénéficie de l’une des plus belles mise-en-scènes de toute la série : le ranch dans la tempête, le commissariat abandonné au milieu de nulle part, la mine de charbon, et la transformation de l’alien, en font un excellent film d’horreur. Son visage déformé dans l’obscurité, exprimant ses souffrances, évoquent un peu les dernières scènes effroyables de « La Mouche ». Tous les personnages secondaires sont excellents, de l’infirmière au jeune agent de police amoureux d’elle, en passant par le vieux shérif, et les aliens sous couverture… L’introduction est superbe : l’infirmière rentre chez elle dans la nuit, au milieu du désert, quand le son si particulier des soucoupes résonne au loin, avant de faire face au crash du vaisseau et de tomber nez-à-nez avec l’alien rescapé.


  • « The Spores » : petit chef d’œuvre, mené à tambour-battant, autour d’une mallette que les aliens ont perdu lors d’un accident de voiture. Gene Hackman, à ses tout débuts, joue l’alien qui a survécu au crash et cherche désespérément sa mallette. L’épisode devient un road-movie haletant, et en cours de route, nous découvrons que la mallette contient des germes, pour aboutir à un final façon « Invasion of the Body Snatchers » où ces spores commencent à muter. La mallette passe de main en main, volés par un trio d’adolescents bras-cassés, puis par un couple désargenté, et enfin par trois enfants qui embarquent son contenu dans une serre, la nuit. Face à Gene Hackman, vite aidé par ses collègues envahisseurs de la région, David Vincent est en duo avec un flic proche de la retraite : à cause de ses problèmes d’alcool, ses collègues ne le croient pas une seconde quand il dit avoir vu des envahisseurs de l’espace. L’épisode est très cinématographique et palpitant, mais il raconte aussi, pour une des rares fois dans la série jusqu’alors, la naissance d’une amitié : notre héros incite le policier à ne pas publier le résultat de cette enquête tant qu’il n’aura pas touché sa pension de retraite. Par cette scène, les scénaristes créent intelligemment une évolution du personnage : habitué à voir les preuves bafouées, à n’être jamais cru, il apprend à préserver ses alliés, à ne pas les embarquer systématiquement avec lui dans sa chute. D’ailleurs, l’interprétation de Roy Thinnes ira dans ce sens tout au long de la saison 2 : nous le verrons sourire (ce qui n’arrive jamais dans la saison 1), plus charmeur, plus heureux de côtoyer, par moment, des humains.


  • « Summit meeting » : seul double épisode de la série, donc d’1h40, qui deviendra certainement une forte inspiration pour les épisodes « mythologiques » d’X-Files : la lutte contre les « Envahisseurs » mène David Vincent dans les arcanes du pouvoir, dans les couloirs de Washington puis d’une réunion d’urgence où les gouvernements du monde entier doivent prendre une décision face à un taux de radioactivité qui s’est répandu anormalement sur notre planète. Très actuel, aussi, l’épisode dépeint l’inquiétude de voir notre atmosphère perturbée à jamais. Un plan des aliens se dessine : perturber notre oxygène, solution pour éradiquer la population humaine et rendre l’air terrestre respirable par eux sous leur véritable forme extraterrestre. David Vincent se découvre dans cet épisode une alliée extraterrestre, Ellie, très bien campée par Diane Hyland : l’envahisseuse veut, comme tout alien, conquérir la planète, mais s’est dissociée de son clan car elle pense que ce plan est voué à l’échec et va faire découvrir leur présence sur Terre. David Vincent doit donc suivre une alien pour empêcher la catastrophe imminente, même s’il l’aide à pérenniser la conquête extraterrestre sur un plus long terme. Au cours de cette aventure, David Vincent est aussi aidé par un allié humain, Tressider, personnage déjà croisé dans la saison 1, interprété par le très bon William Windon. On retrouve aussi le chef des aliens joué par l’excellent Michael Rennie (« Le jour où la Terre s’arrêta »), déjà vu dans l’épisode de la saison 1 « L’innocent ». Entre le retour de protagonistes secondaires et le choix d’un double épisode, la série se fait soudain très en avance sur son temps dans sa forme. La première partie est très cinématographique, c’est « Les Hommes du Président » et « X-Files » avant l’heure, avec plusieurs scènes tournées à Washington. Incroyable scène de meurtre dans un hammam, ou encore de filature dans une galerie d’art contemporain très 60’s. La deuxième partie, en contrepartie (budget plus resserré ?), se joue totalement en huis-clos lors de ce sommet international, dans un décor un peu cheap de couloirs et de bureaux pendant 1h. Mais la tension y reste présente, et en fait un tout très divertissant et réussi.


  • « The Labyrinth » : David Vincent a enfin une preuve, un scanner fait par un médecin d’un alien, où le corps apparaît sans os. Il a aussi des alliés, deux universitaires qui étudient le phénomène ovni et doivent apporter des preuves au gouvernement s’ils veulent pouvoir poursuivre cette étude. C’est l’un des épisodes où le jeu de paranoïa est poussé à son maximum, d’où le titre « Labyrinthe » : comme dans un Agatha Christie, on passe d’un suspect à l’autre en espérant détecter qui, dans la galerie de personnages, est un alien en couverture. L’épisode s’ouvre sur un excellent prologue, où David Vincent emmène chez un médecin un alien inconscient, méfiant de le voir se relever, et découvrant la fameuse radio qui lui servira de preuve. Le choix d’un physique de blond au corps parfait, sorte d’aryen, pour le rôle de l’alien ausculté par le médecin, donne à cette intro une étrange sensualité crypto-gay… Autre très beau moment de cet épisode, quand David Vincent voit ses alliés se retourner contre lui, finissant par se dire qu’il n’est qu’un pauvre paranoïaque. Nous spectateurs savons qu’il n’est pas fou, mais comprenons en même temps le jugement des autres personnages, tant le piège des extraterrestres s’est parfaitement resserré autour de lui (avec notamment l’arrivée de deux policiers, qui le poussent à hurler « ce ne sont pas de vrais policiers ! »… ce qui s’avèrera vrai).



Dans toute cette première partie de la saison 2, petit à petit, la métaphore associée aux aliens évolue : plus clairement symbolique du communisme dans plusieurs épisodes de la saison 1, elle devance de futurs théories complotistes postérieures à la série : dans « Summit Meeting », le plan des extraterrestres de remplacer les dirigeants des gouvernements du monde entier par des aliens semble être un scénario qui a inspiré les partisans de la théorie « reptilienne/illuminati » qui se déploiera dans les années 90 ; dans l’épisode « The Prophet », les scénaristes ont la bonne idée de faire apparaître un gourou de secte, qui peut évoquer les évangélistes et leurs prédications médiatiques ou un personnage comme Ron Hubbard et sa scientologie, mais aussi comme une prémonition du futur gourou Raël, prétendument en communication directe avec les êtres venus d’ailleurs... Si l’épisode n’est pas parfait, il a au moins le mérite de dire à ses spectateurs que la fiction doit rester dans le petit écran, ou tout au moins de ne pas tomber dans les croyances aveugles : très belle image de fin où David Vincent brûle le prospectus du gourou.


Au centre de la saison 2, l’épisode 13 « The Captive » vient vraiment faire office de transition thématique en questionnant la métaphore maccarthiste : David Vincent enquête dans l’ambassade d’un pays soviétique où un extraterrestre a été capturé. Les aliens, pour libérer leur otage, menace de faire exploser cette ambassade, risquant de créer un incident diplomatique (le pays soviétique accusera les Etats-Unis). Dans cet épisode, le point de vue « Alien = Communistes » s’inverse : pour les soviétiques, les phénomènes ovnis sont dus aux Américains, ce sont eux qui créent les soucoupes volantes. Cette vision du phénomène, plus accusatrice envers le gouvernement américain, sera celle plus suivie par X-Files dans les 90’s. Par cet épisode, la série opte plus pour un nouveau message : les « Envahisseurs » sont des ennemis du genre humain dans son ensemble. David Vincent et les « soviétiques » (le pays précis restera fictionnel, inconnu) marchent finalement main dans la main contre les extraterrestres, et l’épisode se conclut sur la phrase : « David Vincent a des alliés, dans un pays lointain » autrement dit, les Soviétiques, dont les extraterrestres ne sont définitivement plus la métaphore.


Arrivé à mi-chemin de la série, le personnage a déjà bien évolué : il est plus humain, il sourit parfois. Notons aussi, que, dans cet épisode « The Captive », nous voyons pour la première fois David Vincent dans son quotidien, à son bureau d’architecte, et la voix-off introductive nous dit : « c’est le lot de tous les humains, gagner son pain ». A partir de l’épisode 14, la deuxième partie de la saison tentera une évolution bienvenue, de l’épisodique vers le feuilleton, assumant enfin de faire évoluer la situation (qui revenait toujours à son point de départ à la fin de chaque épisode, auparavant), pour plus de crédibilité. On y verra de temps à autres David Vincent sur un chantier, évoquant son métier, et sa quête se fera aux côtés de personnages récurrents.


En effet, à partir de l’épisode 14 « The Believers », David Vincent rejoint un groupe d’alliés pour résister contre les envahisseurs. Le chef de troupe Edgar Scoville est joué par Kent Smith (le protagoniste principal de La Féline de Jacques Tourneur), déjà apparu dans un autre rôle dans la saison 1, et qui campera le rôle de Scoville pour les 13 derniers épisodes de la série. L’épisode suivant « The Ransom » tourne autour de la capture du chef des aliens - autre nouveau personnage récurrent - par David Vincent, en pleine campagne chez un poète qui vit seul avec sa fille. Par certains aspects, l’épisode semble faire référence à Thoreau (le village s’appelle Walden) ou évoque à l’avance Les visiteurs d’Elia Kazan : même opposition entre le repli d’un écrivain et le monde extérieur, la folie de la guerre, des haines, qui frappe à sa porte. Désormais, les envahisseurs symbolisent toute forme fasciste, totalitaire, tout colon prêt à réduire l’humain en esclavage. Leur plan ressemble à un holocauste. Le chef des aliens promet la vie éternelle au poète, mais le poète refuse finalement grâce aux arguments de David Vincent : à quoi bon écrire éternellement, s’il n’y a plus de lecteur, s’il n’y a plus que des esclaves, dehors ? Episode un peu inégal, au propos intéressant, réalisé par Lewis Allen, cinéaste vétéran de l’Hollywood classique. Le poète est joué par Alfred Ryder (vu dans le True Grit de Hathaway, T-Men de Anthony Mann…) et sa fille par Karen Black (Five easy pieces, Complot de famille, Nashville…).


L’épisode suivant « Task force » interroge la liberté de la presse, poursuivant le nouveau récit mis en place où David et ses amis sont autant de rebelles face à la montée d’une dictature. Dans cet épisode, les extraterrestres s’infiltrent à la tête d’un grand journal new-yorkais. Le nouvel objectif des envahisseurs de conquérir un média puissant évoque en effet l’étouffement de la liberté de la presse dans les régimes totalitaires, bon indice de démocratie, encore aujourd’hui.


Dans « The Possessed », les aliens ont un autre plan pour prendre le pouvoir : le contrôle de l’esprit, la possession mentale à distance, pousser les humains à faire certaines actions de manière compulsive. Cette idée scénaristique résonne avec beaucoup de force en 2020, dans notre monde envahi d’écrans, d’ondes, d’algorithmes qui sont là pour nous guider… Pour les envahisseurs, c’est le « plan B » idéal : au lieu de tous nous tuer, nous rendre tous amorphes et contrôlables. L’épisode n’est pas parfait, mais bénéficie de belles scènes d’angoisse psychologique où le protagoniste possédé se revoit en flash-backs tenter d’assassiner David Vincent.


Dans cette dernière partie de la série qui voit le face à face de la bande de David aux extraterrestres, les épisodes adoptent plus le ton d’une série d’espionnage, de jeu de dupes au sein d’une bataille, que du fantastique et de l’épouvante. Plusieurs épisodes sont signés Laurence Heath, scénariste en chef de Mission Impossible, comme « Counterattack » où David semble tomber au plus bas et changer de camp pour les aliens.


Toutefois l’épisode « The Pit », réalisé à nouveau par Lewis Allen, offre un retour vers le fantastique et l’effroi : avec l’ajout récent d’une certaine « continuité » (limitée), ce mélange avec l’aspect conte horrifique en fait l’un des meilleurs épisodes de cette dernière partie. L’un des alliés de David, scientifique, qui fait des recherches sur une "machine des rêves", est devenu victime d’hallucinations paranoïaques. David vient enquêter : son ami est-il réellement devenu fou ou les envahisseurs le manipulent-ils par sa machine des rêves ? « The Pit » fait vraiment partie des très bons épisodes des Envahisseurs, notamment parce qu’il est le seul qui montre l’autre versant de la quête ufologique de Vincent : être fou, sans le savoir. Et si les hôpitaux psychiatriques étaient rempli des seuls gens ayant vu la vérité ? L’épisode vaut, d’une part, pour ses décors : centre de recherches scientifiques à l’architecture 60’s qui évoque des décors de Jacques Tati, bâtiments géométriques blancs entouré de verdure parfaitement entretenue… ; parc d’attractions où les envahisseurs se cachent entre le bateau des pirates et le train fantôme... Il vaut aussi par les images subjectives de la folie, des hallucinations envahissantes et psychédéliques, très bien rendues par la mise-en-scène de Lewis Allen. Des détails, comme la méfiance des chiens de garde du bâtiment face aux envahisseurs, ou la mort d’un des extraterrestres qui se désintègre dans l’océan, marquent la rétine. Le travail sonore est aussi intéressant, le bruitage de la « machine à rêves » est onirique et troublant, comme celui, récurrent dans la série, de l’arrivée des soucoupes volantes. La musique de la saison 1 de Dominic Frontiere fait d’ailleurs sa réapparition dans cet épisode, ramenant un supplément d’angoisse.


Cette dernière partie de la saison contient aussi quelques aberrations, comme l’épisode « The organization » qui tente une sorte de crossover Les Envahisseurs / Les Incorruptibles, avec David Vincent allié à un chef de la mafia car les aliens ont subtilisé une cargaison de drogue ! Ou, plus intéressant mais bancal, l’épisode « The Miracle », où une jeune fille voit un envahisseur se désintégrer près d’une statue de la vierge et en tire la certitude d’avoir été témoin d’un miracle. Le scénario semble dessiner le portrait d’une jeune fille abusée par son père, et la jeune Barbara Hershey interprètera d’ailleurs un rôle similaire dans le film « The Entity » dans les années 80. L’épisode vaut surtout pour l’image surréaliste d’une nonne extraterrestre ! Troisième épisode raté au sein de ce chapitre, « The Peacemakers », qui présente pourtant lui aussi une piste intéressante : les envahisseurs et les représentants du gouvernement américain échangent pour la première fois grâce à David Vincent, qui accepte l’idée d’une armistice. Notre héros solitaire, rude, parfois égoïste et réactionnaire, continue son évolution vers plus d’humanité au fil de la saison 2.


« The Vise » poursuit toujours ce cheminement, à travers l’exploration du racisme dans cet épisode très réussi malgré son sujet casse-gueule : David Vincent veut prouver qu’un candidat noir à un poste lié à la conquête spatiale est en fait un extraterrestre… Géniale idée, très troublante. David a pour allié un autre personnage noir, policier, qui lui aussi est persuadé de la nature extraterrestre du candidat. L’épisode, pour 1967, s’en sort très bien sur ce thème, pointant du doigt la bêtise raciste sans tomber dans la mièvrerie mais utilisant au contraire le malaise fantastique. Voir David Vincent traquer un alien noir créé un trouble vraiment angoissant, qui sera rejoué dans tout l’acte central de l’épisode où David se trouve à son tour traqué, par des faux policiers extraterrestres, et se réfugie dans un bar habituellement réservé aux noirs. Dernier pôle intéressant, l’épouse du flic, très engagée pour la cause noire, trouve que son mari devient peu à peu raciste contre sa propre communauté : elle l’accuse d’être plus suspicieux envers le candidat noir qu’il ne l’aurait été s’il avait été blanc. Tout en poursuivant le questionnement politique de plus en plus affiché dans la série, l’épisode est aussi une réussite de suspense, avec une introduction angoissante dans une station-service au son d’une petite musique pop guillerette diffusée à la radio, ou encore les scènes de course-poursuite entre David et les faux policiers dans le quartier noir.


La série continue l’exploration de la voie pacifiste, influencée par le contexte historique, la détente au sein de la Guerre Froide, avec « The Life seekers », dans lequel David Vincent se confronte à deux extraterrestres pacifistes, érudits, qui trouvent monstrueux de détruire la race humaine. Rebelles sur leur planète, ils sont menacés de morts par la majorité belliqueuse des extraterrestres, mais ont quelques alliés : en somme, ils sont les miroirs extraterrestres de David Vincent et de son nouveau groupe. L’épisode est l’un des meilleurs de toute la série car au-delà du scénario bien pensé, solide, il bénéficie d’une excellente mise en scène, qui rappelle celle du pilote culte de la série : beaucoup de décors extérieurs, scènes de nuit très réussies, longs plans-séquences en travellings, courses-poursuites et suspense tenu jusqu’au bout.


Dans la même lignée, l’avant-dernier épisode « The Pursued » montre à nouveau une alien différente de ses congénères : à la suite de tests pour imiter les émotions humaines, elle éprouve la colère, et a tendance à tuer tout ce qui bouge. Jouée par Suzanne Pleschette (Annie dans « Les Oiseaux » d’Hitchcock, déjà aperçue dans la saison 1), ce personnage de femme-alien tueuse est une trouvaille géniale, assez en avance sur son temps, et qui donne à l’épisode ce ton hitchcockien typique de la première saison – on pense à nouveau, avec ce personnage alien-é, à « Marnie ». Intelligemment, l’épisode raconte en creux le danger de nos passions d’humains - soif de vengeance, colère aveuglante qui va jusqu’à justifier le meurtre (la peine de mort)… Après avoir vu pendant deux saisons David Vincent s’en sortir grâce aux revolvers, l’usage des armes par des humains sera pour une fois fatale à sa mission. L’épisode est palpitant, avec ce sentiment d’étau qui se resserre autour de David Vincent (effet récurrent très efficace dans la série, David est poursuivi par la police et les aliens à la fois), mais aussi emporté par un véritable espoir de gagner sa mission. Une scène assez géniale de dialogue entre la femme extraterrestre « mi-humaine » et David se déroule dans la boutique d’un antiquaire, et les figurants autour - l’antiquaire, ses clients - apparaissent aussitôt comme de potentiels envahisseurs. L’antiquaire est, comme le veut le cliché, assez efféminé, rejoignant l’une des métaphores possibles de ces « envahisseurs » : au sujet du petit doigt raide, finalement rarement utilisé dans la série, Larry Cohen, le créateur, disait « Le petit doigt raide était un symbole de féminité. Vous savez, la personne qui tient un verre de champagne de cette façon par exemple. Lorsque la série a été tournée dans les années soixante, la communauté homosexuelle était en quelque sorte une communauté invisible. Les gens vivaient des vies cachées. C’est drôle, parce que le petit doigt symbolise en quelque sorte l’homosexualité et que personne ne l’a remarqué ».


Malheureusement, la série se termine sur un épisode raté. Le seul mérite de l’épisode final « Inquisition » est d’interroger le cœur même de la série, à savoir la paranoïa et la chasse aux sorcières. Malheureusement, ce dernier épisode est purement bavard, majoritairement tourné dans des bureaux cheaps, et n’est pas très inventif. Les acteurs ne sont pas très bons, chose plutôt rare dans la série… De plus, cet épisode semble donner une orientation moins intéressante pour une saison 3 (qui n’a jamais eu lieu finalement) : on y voit David Vincent et son groupe devenir une sorte d’équipe de super-héros, eux aussi armés de gadgets technologiques, et déblatérant leur laïus face à des instances à convaincre. On quitte définitivement le fantastique, qui fait le sel de la série. Bref, on aurait préféré voir la série se conclure sur l’un des deux épisodes précédents, « The Life seekers » ou « The Pursued », qui témoignent de tout ce qui est génial dans « The Invaders » : des épisodes à hauteur humaine, privilégiant les personnages, le mystère et l’angoisse, les scènes en décors naturels et notamment de nuit, incarnant le « message » par l’aspect visuel ou l’action. Bref des petits moments de cinéma, une suite de contes ou de fables, reliés entre eux par la quête de David Vincent et son évolution psychologique, et qui nous questionnent à chaque fois sur ce qui fait notre humanité.


Sur l’intégralité des deux saisons, si quelques épisodes déçoivent donc, une grande majorité parvient à endosser toutes ces promesses, ce qui fait de « The Invaders » un petit bijou de série fantastique.

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le 8 avr. 2020

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