Critique spoilers-free
The Sopranos a marqué le petit écran de son empreinte indélébile.
C'est à mes yeux l'une des oeuvres représentant le crime organisé italien qui passera à la postérité, aux cotés du Parrain, des Affranchis, ou encore Casino. Elle hérite d'ailleurs de nombreux éléments présents dans ces films : on retrouve de nombreux acteurs présent dans des petits rôles des productions de Scorsese, et The Sopranos fait souvent des références explicites aux maîtres du genre, sans pour autant tomber dans la saturation référentielle.
Cette série est d'une complexité folle, enchevêtrement subtil de différents thèmes en filigrane, tels que la psychologie, la famille, ou encore la rédemption.
Elle fonctionne également sous plusieurs niveaux de lecture. Elle alterne systématiquement comédie et tragédie, parfois mêlant les deux, avec une très grande maîtrise.
Les personnages sont plus crédibles que crédibles. On a l'impression qu'ils vont sortir de l'écran. Mention spéciale à Ralph, interprété par le traître dans Matrix, personnage tout en nuances, pour lequel on finit par éprouver une grande sympathie.
La série ne cesse de se renouveler. Les situations s'enchaînent et ne se ressemblent pas. Les personnages changent avec le temps, mais toujours de manière logique et progressive.
Niveau écriture, c'est simple. Les dialogues sont à tomber par terre. Les one lines fusent à chaque scène. David Chase a tout à fait saisi ce qui faisait le sel des dialogues des films de Scorsese. C'est à se demander si il a lui-même vécu parmi ces gangsters italiens, tellement les expressions idiomatiques et les blagues sont crédibles et authentiques.
À de nombreux moments, la série m'a carrément tétanisé. J'ai rarement ressenti autant de malaise face à des blessés, ou des malades. La série met brillamment en scène la douleur, la folie, la mort. La tension dramatique est l'une des plus abouties qu'on peut trouver à la TV.
Pour les défauts, la série s'égare tout de même plutôt souvent. Certaines saisons peinent à laisser un souvenir impérissable, et je me suis retrouvé perdu à plusieurs reprises, ne comprenant pas quels étaient les enjeux, ou pourquoi tel personnage agissait de cette façon.
Aussi, des fois on a vraiment l'impression de regarder une série fleuve. Les cliffhangers sont souvent pauvres, voir inexistants. Mais bon, l'instauration d'un suspense insoutenable n'est probablement pas l'objectif de la série, et plutôt d'installer une ambiance qui s'étale sur une longue durée.
Cette série est donc réservée à un public patient, qui peut se contenter de dialogues bien écrits, et d'intrigues psychologiques, plutôt qu'une succession de scènes d'action et de cliffhangers.
À propos de la fin, qui divise beaucoup, je fais partie de ceux qui ont été très convaincus. C'est l'un des rares exemples de mise en scène sérielle qui tend vers le cinéma. En effet, la recherche de conclusion se fera ici par l'examen minutieux de chaque détail, chaque plan. Et comme toute bonne fin, elle est tout à fait ouverte à l'interprétation. On a donc là un petit bijou de mise en scène, qui ne laissera personne indifférent.
Pour conclure, The Sopranos est un véritable monument de la TV américaine. Je ne pense pas trop me tromper en disant qu'elle a par exemple beaucoup inspiré Breaking Bad, dans ce traitement du monde du crime tragi-comique, et la capacité à créer l'empathie pour les pires salauds de la terre. Si elle peut parfois être très exigeante, et en apparence peu gratifiante, cette série se savoure en réalité sur le long terme, rétrospectivement, à mesure que les intrigues se croisent et s'entremêlent.