Se lancer dans une adaptation du classique de Jonathan Swift est une gageure. Car ce roman n'est pas seulement une sorte de réécriture de l'Odyssée, l'auteur profitant de chaque épisode pour faire une critique de son pays, engager une réflexion d'une grande profondeur sur notre ethnocentrisme ou faire preuve d'un cynisme destructeur envers nos certitudes bien établies.
Et bien, non seulement cette adaptation pour la télévision ne fait pas l'impasse sur l'aspect philosophico-politique de l’œuvre, mais c'est même cela qui en constitue la plus belle réussite. Le passage où Gulliver raconte l'élection du chef des Yahoos, choisi parce qu'il est le plus méchant ; l'étonnement de la reine des Géants face à l'injustice sociale du gouvernement anglais, ou encore les intellectuels de l'île volante de Laputa qui passent leur journée à se creuser les méninges sur des sujets futiles sans jamais en chercher exactement la réponse, autant de passage qui ne masquent pas leur attaques contre notre système politique et social occidental. Et si vous croyez que ces reproches étaient seulement valables à l'époque de Swift, c'est que vous n'avez pas compris l'esprit de l’œuvre.
Voici donc Gulliver adapté pour la télévision en un long téléfilm de 3 heures. Soyons clairs sur une chose : l'ensemble est rempli de défauts. La réalisation est engoncée, et ne parvient pas à se libérer des carcans télévisuels. La présence d'un casting plutôt prestigieux (Peter O'Toole, Omar Sharif, Geraldine Chaplin, sir John Gielgud, Kirstin Scott Thomas, Warwick Davis) n'empêche pas la lourdeur de certains passages. Et la construction en constants allers-retours entre le passé et le présent, un présent envahi par le passé d'ailleurs, se révèle vite gavante.
Et pourtant, malgré d'évidents problèmes de rythme et de construction, l'ensemble se laisse voir avec intérêt et se révèle drôle et inventif. Les effets spéciaux sont réussis et la réalisation sait préserver le côté sarcastique de l’œuvre de Swift.