Une question de maturité
Life : très fin, beaucoup de solitude, de délicatesse et beaucoup, beaucoup de non dits dans les rapports humains, la série pose le problème de la gestion des flux divers dans 1 service...
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le 28 févr. 2021
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Évitant avec brio les clichés inhérents aux séries médicales, Life s’impose comme un excellent drama sur le milieu hospitalier et parvient à développer avec une grande finesse des questionnements qui dépassent largement cet univers.
Tout d’abord, mieux vaut dire deux choses : il ne faut pas s’arrêter au synopsis ou aux premiers épisodes, au risque de se méprendre sur la tournure que prend l’histoire par la suite ; la série n’est pas tant fixée sur un scénario linéaire que sur une pluralité d’intrigues qui, mises bout à bout, donnent à Life toute sa cohérence.
C’est en cela que le drama peut déstabiliser voire déplaire : il exige de la part du spectateur une certaine retenue en matière d’attente scénaristique. Ce qui fait la force de la série réside autre part, à savoir dans les interrogations qu’elle pose sur la médecine hospitalière au sein d’un système libéral et capitalisé. La critique formulée à l’encontre de ce modèle n’est toutefois pas aussi manichéenne que ne peut le laisser présager l’intrigue de départ et évite de ce fait des simplifications qui auraient été déplaisantes.
Gu Seung-hyo (Cho Seung-woo), président fraîchement nommé à la tête de Sangkook, prestigieux CHU de Séoul, apparaît initialement comme un élément perturbateur du microcosme hospitalier (c’est un homme d’affaires), aspirant à faire de la structure une entité économiquement rentable. Derrière cette manœuvre, un puissant conglomérat (chaebol) souhaitant diversifier ses investissements et faire de la médecine l’une de ses branches phares et d’avenir.
Sous couvert de délocaliser certains services en zone rurale afin de revitaliser cet espace, Gu cherche d'abord à ne conserver dans l’hôpital de Séoul que les services créditeurs, et ainsi se débarrasser de ceux dans le rouge. Tactique mesquine de financier pourrait-on penser… Sauf que Gu laisse paraître une force de conviction qui surprend même les médecins qui lui sont le plus fermement opposés, et livre un discours sur la justice spatiale capable d’ébranler l’image d’individus attachés à leur devoir en dehors de tout intérêt personnel (il y a une critique de l’esprit de corps en milieu médical).
C’est dans ce genre de situations que Life est très subtil, politique, et même à certains égards polémique (mais intelligemment) : il déjoue en permanence les attendus d’une narration dramatique pour favoriser plutôt les réflexions sur ce qui constitue la réalité du modèle hospitalier contemporain, avec ses failles et les tensions qui se créent dessus, prêtes à exploser au moindre problème.
La série brosse des portraits de femmes et d’hommes tout en nuance, jamais complètement bons, jamais complètement mauvais. En fait, il y a une remise en cause de l’existence même de ces deux pôles de la morale dans une perspective très nietzschéenne et rarissime dans les séries, la seule autre à ma connaissance adoptant cette position étant Stranger, œuvre du même scénariste d’ailleurs.
Un tel projet est périlleux à porter au format télévisé, et pourrait rapidement agacer s’il n’y avait pas pour le soutenir une qualité certaine dans les dialogues, mais aussi dans les gestes, les jeux de regards, qui participent d’une mise en scène permanente des codes sociaux coréens comme l’a très bien expliqué Prunzy dans sa critique, avec ce qu’ils comportent de salvateur sur le plan psychologique mais aussi de dévastateur sur le plan social.
Or cette mascarade sociale se double, sur le plan intime, d’une révélation progressive des enjeux qui motivent les protagonistes, contribuant à les humaniser, là où l’institution, sous l’effet du libéralisme, tend plutôt à les exploiter comme force de travail au mépris de leurs droits sociaux, voire de leur santé.
Gu se mue ainsi lorsqu’il rentre chez lui en une sorte de Tanguy très marqué par la solitude : il vit encore chez ses parents, subit les réflexions infantilisantes de sa mère, le regard peut-être un peu contempteur de son père. Il aime les animaux, mais semble ressentir de la honte à manifester toute forme d’affect en public. De son personnage froid semble pourtant, progressivement, ressurgir l’humanité la plus sincère, comme s’il n’octroyait sa confiance absolue et à toute épreuve (pensons aux derniers épisodes) qu’à ceux qui eux-mêmes s’en montraient dignes. Aussi de cette image d’individu avili et asservi au capital se dissipe-t-elle, au point d’être (pratiquement) renversée et de fournir une réflexion extrêmement juste sur la toute-puissance du système et de notre incapacité à pouvoir le changer, même en étant supposément en capacité de le faire.
Ye Jin-woo (Lee Dong-wook), en proie à des hallucinations résultant de son trauma infantile, est quant à lui un médecin idéaliste un peu balloté par les événements et dont on ne sait s’il agit pour lui-même ou en compensation de ce frère omniprésent dans son esprit comme une sorte de conscience alternative qui le pousse à agir en défiance de l’ordre établi, conçu comme nécessairement hostile.
Il y a là sans doute une lecture à faire du point de vue de la perception du système hospitalier comme monde à part entière, dont les intérêts propres sont envisagés collectivement et en même temps conflictuels par rapport à des nécessités supérieures, d’ordre financier. De là, les résultats des actions de Jin-woo, imaginées comme positives initialement, sont souvent néfastes pour son service et pour lui, signe que le lien de causalité entre l’intention et la réalisation est altéré par des facteurs extérieurs à sa seule volonté. Certes Jin-woo fait partie du système, mais il n’en est que l’une des courroies de transmission, le chaînon ultime d’une longue pyramide hiérarchisée dont les intentions demeurent invariablement obscures et mal comprises.
Je suis plutôt d’accord avec la lecture de Prunzy qui voit Gu comme personnage d’inspiration nietzschéenne. Il y a indéniablement de ça chez cet homme qui ne trouve sa place ni en société ni dans le monde du travail, dominé qu’il est par les intérêts de gens plus puissants que lui, aiguillonnés eux-mêmes par l’appât irrémédiable du gain financier. Derrière sa carapace se joue en quelque sorte l’essence de l’existence, à savoir cette nécessité de combiner une pluralité d’intérêts qui orchestrent en nous la quête du dépassement. De là il n’y a qu’un pas à franchir pour voir en Gu un rejeu de la figure christique, accompagnée de son aspect cyniquement tragique ; personnage condamné d'avance, broyé par une société moderne qui lui renvoie brutalement l'image de son insignifiance, de sa remplaçabilité.
Une idée que la fin de la série vient cependant tempérer (pour des raisons voulues ou non). Cette fin aura de quoi déplaire (elle a beaucoup déplu de ce que j’ai pu lire ailleurs), et pourtant elle est selon moi à l’image de ce drama, une leçon de finesse et d'équilibre.
Un petit mot du côté des acteurs, même si vous vous doutez que pour avoir pu gloser autant sur les personnages de la série leur rôle dans l’interprétation est quasi parfait. Une fois de plus CSW prouve qu’il est imbattable pour jouer ce genre de personnage nuancé, gris. Il fait un usage remarquable de ses pupilles, de ses lèvres et de ses muscles faciaux pour distiller subtilement la personnalité tourmentée, quasi méditative de son personnage qui tranche avec son apparent pragmatisme. Une interprétation qui propulse Gu parmi les meilleurs personnages masculins que j’ai pu voir dans un drama.
Bon travail aussi du côté de LDW et de Yoo Jae-myung, lequel est très touchant dans un rôle de chirurgien transcendé par son altruisme qui frise parfois l’autodestruction (un autre excellent personnage du drama). Won Jin-a, un peu éclipsée par ces fortes figures, n’en reste pas moins convaincante. L’ambiguïté de son personnage sur le plan sentimental est un peu frustrante tout de même, frustration que la conclusion vient quelque peu combler.
Les acteurs secondaires font également un excellent boulot, notamment Lee Kyu-hyung dans ce splendide rôle du frère estropié et meurtri intérieurement et Moon So-ri comme neurologue intraitable et diablement séduisante.
Grâce à son scénario atypique, la série connaît peu voire pas de baisse de régime du point de vue du rythme, au point où j’en suis venu à regretter d’arriver à la fin. Une très belle expérience à mon sens méjugée sur le site et qui ne peut que séduire par son propos extrêmement maîtrisé, sa réalisation impeccable et sa sensibilité remarquable. Amateurs d’office dramas et/ou d’histoires sérieuses, vous trouverez avec Life votre bonheur !
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le 22 mars 2021
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