Mad Men, c'est l'histoire de Don Draper, un publicitaire qui a du talent, une belle famille et une belle gueule. Mais c'est aussi l'histoire de Dick, un homme avec son passé trouble, ses névroses, sa volonté de trouver une reconnaissance non pas publique mais intime, de ne plus être seul tout comme le veut chaque être humain sur Terre. Le désespoir de ne pas être heureux alors qu'il a toutes les raisons de l'être.
Et c'est sans doute pour cette dernière raison que la série m'a autant plu dès le départ. Enfin, non, au départ, j'étais d'abord séduit par l'époque dont je suis fan, la classe de sa direction artistique, de ses personnages. Puis peu à peu, je me suis aperçu de la profondeur subtile mais immense de la série, de sa richesse par petites touches mais imprégnant peu à peu chaque dialogue, chaque plan, chaque image de la série de Matthew Weiner. Que par moments, la série parvenait à capter mes interrogations les plus inavouées, les plus injustes, mais dont pourtant je ne pouvais m'empêcher de me poser.
La grande prouesse de Mad Men, ce fut en fin de compte d'allier une quête intimiste universelle et un portrait d'une Amérique en pleine mutation, créant et se nourrissant à la fois d'un fantasme sur sa société, sa culture, ses moeurs. Une quête et un portrait qui semblent parfois un peu noyés sous les intrigues légèrement soapesques du quotidien des employés de Sterling-Cooper, mais qui sont pourtant bien là, cachés derrière des gestes, des dialogues, des références, des fulgurances sixties aussi juteuses que réfléchies.
La prouesse de rendre des figures stéréotypées humaines, de jouer avec elles et leur fantasme inconscient en les plaçant dans des décors et des costumes référencés, de déjouer leur apparente perfection. Des imperfections rendant parfois certains personnages antipathiques, mais toujours avec un second degré, un amour du personnage bien présent. Et puis quels personnages, quels acteurs et actrices, rarement un casting aura été aussi parfait. Rarement une série "masculine" n'aura autant eu finalement pour sujet les femmes, peut-être d'ailleurs le "symbole" (si l'on peut parler ainsi) le plus fort de la mutation de la société, allant de plus en plus vite au cours des saisons.
Matthew Weiner, véritable "control freak", maîtrise absolument tous les aspects de la série, et ça se voit. Il a su rendre sa série cohérente, sans concession, difficile d'accès mais généreuse. Ses références sont d'ailleurs particulièrement pointues et parfois peu évidentes : Le Conformiste de Bernardo Bertolucci, Toute une vie de Claude Lelouch, Le Décalogue de Krzysztof Kieslowski (selon son entretien lors de son passage au festival Séries Mania en 2015), des oeuvres qu'il me reste à voir mais qui semblent témoigner d'une profondeur épurée mais puissante. Nul doute non plus que son activité sur Les Soprano l'aura entraîné à une telle maîtrise de l'épure narrative, de l'organique de l'écriture de personnages.
Jusqu'à la fin, Mad Men aura été fidèle à elle-même. Parfois inégale comme toutes les séries, parfois répétitives aussi, mais sans jamais "jump the shark" comme on dit, sans jamais trahir ses personnages au profit de l'intrigue, sans jamais manquer de respect à l'époque dépeinte. Jusqu'à la fin, Mad Men aura été la série sur la publicité sans parler de publicité. Jusqu'à la fin, Mad Men aura été d'une précision millimétrée et d'une justesse inouïe dans sa mise en scène. Jusqu'à la fin, Mad Men aura été une des plus grandes oeuvres traitant du terrible et voué à se répéter conflit de génération, grâce au formidable personnage de Sally. Jusqu'à la fin, Mad Men aura su me toucher comme rarement une série a pu le faire auparavant.
Au revoir Don, Sally, Betty, Peggy, Joan, Roger, Pete, et tous les autres.
"And then, they open the door, and you see them smiling. And they’re happy to see you, but maybe they don’t look right at you, and maybe they don’t pick you. Then the door closes again. The light goes off."
Etreinte avec mon moi intérieur.
Buvez du Coca-Cola.