Daredevil est l'excellente surprise de 2015. Diffusée sur Netflix, la nouvelle série du désormais très riche univers connecté Marvel est quasiment irréprochable dans tout ce qu'elle entreprend, et s'inscrit même dans la lignée des meilleures séries de ces dernières années. Preuve s'il en est que Marvel est toujours "la Maison des Idées" et qu'elle sait changer de recettes.
Daredevil, héros à échelle d'homme
L'histoire, les fans la connaissent, et la série réadapte en outre le comic assez fidèlement, tout comme l'avait fait le film de 2003 (avec Ben Affleck dans le rôle titre) d'ailleurs. Comme quoi, une adaptation fidèle n'est pas gage de qualité. Il faut bien plus que ça.
On suit donc l'histoire de Matt Murdock (interprété par Charlie Cox), avocat débutant le jour, justicier la nuit, aveugle à vie, depuis un accident de voiture durant lequel il a reçu des produits chimiques dans les yeux. Murdock s'avère doté depuis de sens accrus : il en résulte in fine qu'il "voit" - perçoit - les choses bien mieux que les voyants. Murdock officie dans ces deux fonctions dans le quartier de Hell's Kitchen, gangrené par le crime et par l'émergence d'un nouveau baron (Wilson Fisk, alias le Caïd dans la BD, surnom abandonné dans la série, par souci de réalisme).
Voilà déjà où se situe la révolution pour Marvel. Daredevil est leur premier héros porté à l'écran - petit ou grand - qui est un justicier local. Un héros de quartier en somme. Loin des Spiderman qui veillent sur une ville entière et encore plus des Avengers qui veillent sur le (les ?) monde(s) entier(s). On est loin de l’apothéose d'enjeux planétaires, on est ici pour sauver son voisin, son collègue, son ami. Et pour cela, Murdock ne dispose que de lui-même. Il n'a pas de super-pouvoirs, de super-machine, ou de compte en banque de playboy milliardaire à la Batman ou Arrow. Il s'approcherait presque, en fait, de la figure des real heroes qui émergent aux USA.
Dans le même esprit de modestie, la série préfère se concentrer sur la seule intrigue et un seul ennemi. Un choix salutaire qui permet de donner davantage de poids à l'intrigue, une leçon pour l'autre série Marvel Agents of Shield qui perd à chaque étape un peu plus de crédibilité et de sérieux.
Un univers à la Batman
Autre qualité de la série : son ambiance. Baignant dans un univers de bas-fonds et de corruption, Daredevil ne lésine pas sur la violence, le drame, la tension. Peu de personnages sont, avec le recul, vraiment en sécurité dans la série. Bon, on est encore loin de Game of Thrones, mais c'est déjà appréciable.
Évidemment, qui dit ambiance, dit réalisation. Là encore, Daredevil met une petite fessée humiliante à son homologue du SHIELD. La réalisation est en effet impeccable et audacieuse - d'aucun dirait cinématographique - comme en témoigne le combat en plan-séquence de 3 minutes de l'épisode 3, qui a d'ailleurs beaucoup tourné sur Internet. Buzz mérité pour cette scène qui n'est en outre pas un one-shot : la majorité des combats sont tendus, très bien filmés et chorégraphiés.
Dans la tête du Démon
Mais la qualité majeure de la série est sans doute son aspect psychologique. Le travail en profondeur sur les personnages est probablement ce qui manque le plus dans l'univers Marvel, et cette série y remédie parfaitement. En effet il est dommage de passer à côté d'un sujet aussi intéressant que celui du Justicier, celui qui se substitue à la justice au nom d'une morale supérieure. Il en résulte forcément des conflits - intérieurs, notamment (jusqu'où aller ? Le meurtre se justifie-t-il ?) - exacerbés dans le cas de Daredevil par le fait qu'il soit avocat, sa volonté profonde d'utiliser la loi, et de respecter une vieille promesse faite à son père, celle de ne plus se servir de ses poings. Mais que faire quand la justice est du côté des hors-la-loi ? Et bien c'est là où Daredevil et son cortège de dilemmes émergent.
C'est là où l'existence de son némésis en la personne de Fisk (interprété par un magistral Vincent D'Onofrio) prend aussi toute son ampleur. En effet, l'effet de miroir entre le "gentil" et le "méchant" est saisissant. La série pousse très loin le parallèle. D'habitude les némésis ont soit les mêmes pouvoirs (Reverse Flash, Black Arrow), soit une origine identique (Fatalis), ou encore sont la réponse à la figure du justicier (le chaotique Joker du Dark Knight). Là, Daredevil et Fisk sont construit presque sur le même schéma : problème avec la figure du père, volonté de changer Hell's Kitchen, dilemme face à l'éventuelle disparition des proches, difficultés à gérer leurs émotions... Questionnement intérieur sur la présence du Mal en eux... A ce titre, Fisk demeure profondément humain, on est loin du méchant caricatural qui veut dominer le monde. Seulement, il finit par embrasser complètement le fait d'être le "Diable incarné", selon ses propres mots, quand Murdock se contente de faire sien le symbole du diable en en endossant le costume, preuve qu'il sait maîtriser ses démons intérieurs.
Avec tout cela, on attends avec impatience la prochaine saison ! Maintenant que la genèse du héros a été raconté, on attend la suite et davantage de développement encore concernant les personnages secondaires. En tout cas, Marvel est sur la bonne voie.