Daredevil, déjà en comics, c'est pas évident à traiter. Car Daredevil, contrairement à Batman, est rouge. Donc pas spécialement discret, pour un héros qui se repose exclusivement sur ses capacités martiales, ses sens extrêmement aiguisés, et l'effet de surprise. Puis il y a ses super sens, justement, qui se retournent une fois sur deux contre lui (megaphone, résonance d'une voix de métro...etc).
Donc oui, déjà sur papier, c'est un peu chaud.
Mais heureusement, Franck Miller est passé par là, et avec l'aide de David Mazzucchelli, a assombri la série au point que Lug (qui diffusait à l'époque les comics de chez Marvel), après avoir censuré tant qu'ils pouvaient les références explicites à l'alcool, la drogue, la violence frontale, la folie, et fait disparaître des cases, puis des pages entières, ont du tout bonnement interrompre la série, avec un petit mot d'excuses en fin du dernier numéro publié. Et ce point de rupture, c'est avec le magnifique volume Renaissance que le duo l'atteint, un véritable roman noir où Daredevil manque de perdre la raison car le Caid a réussi a apprendre son nom, et le brise méthodiquement. Pour la première fois, Daredevil prend aux tripes, d'une façon analogue à l'excellent Batman : Year One (aka Vengeance Oblige) du même duo.
Miller a depuis sombré dans l'autoparodie, mais a indéniablement changé la donne dans le comics à l'époque, pavé la voie pour la nouvelle garde des Garth Ennis, Bendis, Straczinski et surtout Mark Millar (je laisse Alan Moore et Neil Gaiman de coté, ayant chacun tracé une voie spécifique, un monde en soi et dont les gigantesques Grant Morrison et Mike Carey seraient les héritiers indirects, pop, punk des deux maîtres-conteurs), entre autres artistes de talent profitant du vent de liberté de l'ère Joe Quesada chez Marvel, et de Vertigo coté DC.
Bref, Daredevil, c'est pas évident, mais Miller a prouvé qu'on pouvait en faire quelque chose. Par contre, à l'écran, pour l'instant, entre le film Daredevil, véritable viol de licence, et le film Elektra poussant un cran plus loin la mauvaise blague, autant dire que c'était mal barré.
Mais le passage de la série Arrow, certes rapidement essoufflée mais qui a néanmoins fait illusion une ou deux saison, et du rien moins qu'excellent Avengers au cinéma, héritier direct des Ultimates de Mark Millar ont fait naître une sorte d'espoir un peu naif en moi.
C'est pourquoi, quand la seule image que j'ai vu de la série Daredevil était celle d'un héros noir avec un bandeau sur le visage, tirée directement des origines de Daredevil par le susmentionné Frank Miller et John Romita Jr, je me suis mis à espérer.
A juste titre, car Daredevil est rien moins qu'excellent (pour l'instant, soit au sixième épisode)!
Puisant sans vergogne dans la noirceur hard boiled du Miller des beaux jours, osant ce qu'Arrow s'était interdit en terme de violence, filmée avec un respect tout particulier de ses origines comics, sans pour autant tomber dans le piège de la transposition, avec des combats d'une efficacité et d'une nervosité sans précédent dans ce type de série, Daredevil est excellent, tout simplement.
Entre un Foggy assumant avec brio son coté comic relief sans s'enfermer dans ce rôle, une Karen Page solide et fragile à la fois (et belle comme une aurore boréale, ce qui ne gâte rien), un Matt Murdock arrogant et un rien caricatural, mais qui compense en terme de charisme une fois le masque en place, et un Caid qui fera bondir certains fans du comics, mais qui personnellement correspond très bien à l'image que j'en avais (et lui aussi dans sa phase pré-Kingpin, donc en pleine génèse), montage de chair durcie, force brute, mythe terrifiant, mais aussi un homme habité par une mission, une vision, bien loin des poncifs de supervilain classique. Son énonciation étranglée, celle d'un homme pour qui la solitude est devenue un refuge et la communication verbale une contingence dont il se passerait volontiers, est tout particulièrement bien en place (même si au fil de la série, le pathos aura tendance à prendre un peu le dessus le concernant, et gâcher l'impact du premier arc narratif)
Bref, un Daredevil Millerien, Post Millarien, servi par une mise en scène sans compromis.
Les défauts sont là, le coté kitsch de certains personnages, quelques rouages grossiers dans l'évolution de l'intrigue, mais ne viennent pas entacher la puissance de la série, et s'avèrent en adéquation avec l'origine comics de la licence.
EDIT après visionnage de la saison 3 : après une seconde saison qui, malgré son excellent run autour du Punisher, m'avait laissé sur ma faim (car l'arc Elektra, déjà en comics, ne m'avait pas spécialement passionné, et toute la seconde moitié de ladite saison est tirée de cette période née sous la plume de Frank Miller), j'ai failli laisser tomber. L'annonce des nouveaux épisodes de Punisher m'a poussé à relancer la machine. Et la troisième saison commence mollement, avec certains tics, notamment à l'épisode 3, carrément balourds... Puis la magie opère et on a droit a un véritable crescendo, sur le fil du rasoir, et une adaptation directe du meilleur de Daredevil, le fameux volume Renaissance, inégalé à ce jour. Et Daredevil reprend sa place au top des séries Marvel, aux cotés de Jessica Jones (première saison, la seconde étant décevante) et Punisher.
Je tenais à ouvrir avec ces mots car la critique ci-dessus a été rédigée au deux tiers de la première saison et ne donnait pas un regard global sur la série, mais reste d'actualité, maintenant que la série a su se resaisir et redorer son blason