Mask Girl
6.9
Mask Girl

Drama Netflix (2023)

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Avez-vous déjà vu une série coréenne féministe, violente et originale ? Maintenant oui !

Une série qui prend le contre-pied des dramas coréens pour proposer un scénario original, féministe et sans compassion pour la société coréenne

Un scénario original et plein de rebondissements

Du point de vue scénaristique, rien à dire, si on commence par jouer avec les codes du drama avec le fameux thème de la jeune femme au physique passe-partout qui tombe amoureuse de son beau manager au bureau, l’histoire cesse rapidement de suivre les sentiers battus pour rebondir et surprendre à chaque épisode. La série ne se repose en effet jamais sur des facilités de narration : les événements se succèdent sans que le spectateur ne s’y attendent, n’hésitant pas à le soumettre à des scènes d’une terrible cruauté.

En cela le choix de la série chorale aurait pu être un piège : chaque épisode est en effet raconté du point de vue d’un personnage, mais la série évite avec brio cet écueil. Les différents points de vue ne sont pas seulement proposés pour donner un nouvel éclairage sur une scène, mais bien pour permettre de nouer ensemble les fils d’un drame dont les clefs sont tous multifactoriels et profondément traumatiques.

Une esthétique irréprochable

L’esthétique globale de la série est léchée avec des plans très travaillés et une très belle lumière. La photographie donne une ambiance grise et profondément morose : on se sent sans cesse piégé par les murs, par le ciel de plomb ou par le flots d'êtres humains, faisant ainsi écho à la vie de Kim Mo-mi, l’héroïne. Par exemple, la vie quotidienne au bureau, dans le métro ou même au restaurant demeure dans les tons gris, blancs ou noirs. Seul son appartement où elle danse et fait son show est coloré avec des tons flashy rappelant les années 80. Mais là encore la photographie ne permet pas de donner une véritable vitalité chromatique : les couleurs de l’appartement de Kim Mo-mi reste entachés par la morosité ambiante.

Une vision de la Corée loin des paillettes de la K-pop

Mais l'atout principal de la série est néanmoins sa dimension critique et celle-ci n’y va pas de main morte sur la société coréenne, présentant un visage beaucoup moins reluisant que les traditionnelles stars de K-pop.

Tout le monde en prend pour son grade : on retrouve pêle-mêle une critique de l’incompétence policière (fréquemment dénoncée dans les films, comme Memories of murder de Bong Joon-Ho), une critique du prosélytisme chrétien et de son influence politique en Corée, une critique du harcèlement scolaire, de la corruption, de la misère sociale etc.

Mais la critique qui semble la plus évidente est celle de la superficialité : pour réussir et être aimé en Corée, il faut être beau. Si cette critique est un poncif de la société coréenne, l’originalité de la série repose sur le fait qu’elle ne propose pas seulement une héroïne faussement laide (avant que celle ci ne soit transfigurée par le regard d’un bellâtre masculin qui aura su voir plus loin qu’une paire de lunettes à double foyer, vous voyez où je veux en venir) : au contraire. La série a privilégié des personnages d’apparence “normale” dans des quartiers normaux voire défavorisés, et non pas les traditionnels acteurs transformés par le maquillage et la chirurgie esthétique dans un Séoul moderne et impeccable. Cet ancrage dans un monde réaliste loin d’un idéal esthétique, permet une critique bien plus virulente de l’hypocrisie autour de la beauté : on voit une flopée d’hommes moyens à laids qui draguent (ou tentent de draguer) des jeunes femmes séduisantes, tandis que des femmes moyennes à laides se permettent les pires critiques sur le physique des autres femmes. La recherche d’un idéal de beauté n’a donc plus rien de romantique : les interactions sociales sont dans le meilleur des cas hypocrites, dans le pire, cruelles. Dans les deux cas, les scènes sont rapidement gênantes et souvent glauques. L’héroïne Kim Mo-mi, considérée comme particulièrement laide, est donc un catalyseur des pires avanies et des pires scènes.

Cette critique au vitriol vient également avec ses corollaires, pourtant moins souvent dénoncés : le profond sexisme de la société coréenne et la violence.

La Corée est profondément sexiste et compte un bon nombre de comportements misogynes. Les femmes ne sont vues par une majorité d’hommes que comme des objets de satisfaction de leurs désirs : ainsi pour se sentir aimé Kim Mo-mi se retrouve à jouer de son corps et de sa sexualité (quitte par exemple à se verser du lait sur la tête) pour faire plaisir à ses fans. Sa personnalité ne sera jamais mentionnée : ses fans ne parlant que de ses "vrais" seins ou de son professionnalisme (sa capacités à dire oui à toutes leurs attentes).

Par ailleurs, la série ne donne aucun beau rôle aux hommes, ceux-ci sont soit des maris infidèles, soit des harceleurs, soit des violeurs : d’une manière générale, ce sont donc tous des ratés. On voit bien qu’une société sexiste blesse des deux côtés du spectre : les femmes tout comme les hommes.

La série choisit néanmoins volontairement de se concentrer sur les femmes et c’est bien là finalement, le cœur du sujet : comment les femmes, dans un monde d’hommes uniquement intéressés par la beauté, peuvent-elles tirer leur épingle du jeu ?

Et on ne peut que constater de la difficulté d’une telle entreprise au fur et à mesure des épisodes : le système marital ne protège pas de l’infidélité ou de l’abandon (le mari de Kim Kyung-ja ou Park Gi-hun), la justice ignore le harcèlement et le viol (lors du procès de Kim Mo-mi, le viol de sera même pas énoncé, on parle uniquement de tentative d’agression), les violences intra-conjugales sont tolérées par la police (Kim Chun-ae se retrouve démunit face à la violence de Choi Boo Yong qui sait que la police ne fera rien) ou encore tout simplement le harcèlement de rue qui n’est pas puni (quand Kim Mo-mi se fait tripoter dans le métro). Le constat est sans appel : être une femme en Corée semble ne mener qu’à l’échec et à l’humiliation.

Mais c’est aussi finalement là que repose la vraie force de la série : proposer une nouvelle voie aux femmes. Pour cela, les trois héroïnes principales : Kim Kyung-ja, Kim Mo-mi et Kim Mi-mo vont représenter les trois étapes symboliques vers une nouvelle destinée :

- Kim Kyung-ja représente l’ancienne voie : celle de la soumission de la femme. En tant que mère célibataire (très discriminées en Corée) abandonné par son mari, elle choisit le sacrifice : toute sa vie est centrée sur son fils. Ce sacrifice et cette soumission aux attendues et aux valeurs sexistes de la société coréenne la rendront aveugle aux travers de son fils, notamment que ce dernier est un raté, un pervers et un violeur. Incapable d’accepter l’échec qu'il représente, Kim Kyung-ja préférera mener une vengeance contre une femme, la seule explication possible de cet échec, quitte à se venger sur des innocents. L’ennemi est donc ici forcément la femme.

A noter qu’il en va de même pour An Eun-suk, qui a choisit de faire assassiner son mari et sa maîtresse et qui gifle Kim Mo-mi simplement car celle-ci ressemble à la dite maîtresse : l’autre femme est toujours l’ennemi.

- Kim Mo-mi représente la prise de conscience. Tentant d’abord de se faire une place dans cette société sexiste et misogyne, quitte à camoufler son apparence (et finalement sa personnalité ?), ses rêves et ses ambitions vont finir par voler en éclat : l’homme qu’elle aime en aime une autre et n’est qu’un mari infidèle et menteur, ses fans ne cherchent qu’à exploiter son corps, un harceleur finit par la stalker et la violer. Devant ces échecs écrasants et l’impossibilité de réussir, Kim Mo-mi abandonne son identité et son visage (dans tous les sens du terme puisqu’il ne lui restera plus que ses seins comme partie naturelle identifiable de sa personne) afin d’utiliser sa beauté et son corps pour gagner de l’argent sans chercher désormais l’amour des autres et l’approbation de la société. Loin de la femme coréenne idéale (ce qui a apparemment heurté le public coréen de la série, car l’actrice, Nana, est adulée en tant que représentante de cet idéal : la mise en abîme est ici superbe), la nouvelle Kim Mo-mi est également capable d’hyper violence pour se défendre et se faire une place dans la société. Elle n’est plus une victime, bien au contraire, elle sait se défendre et défendre aussi les autres femmes

- Enfin Kim Mi-mo qui subit depuis l’enfance les moqueries et les avanies de ses camarades de classe à cause de la réputation de sa mère et de la méchanceté de Kim Kyung-ja, oscille entre l’héritage violent de sa mère (serait-ce héréditaire ? se demandent les journaux) et la possibilité d’une amitié sincère et salvatrice avec une autre jeune fille, Kim Ye-Chun. La beauté ou son absence entre elles devient ici un vecteur positif : les deux adolescentes s’insultent avec tendresse de laideron. Mais harcelée par sa grand-mère, représentant finalement la misogynie absolue, Kim Mi-mo se retrouve dans une spirale destructrice. Seul le sacrifice final de Kim Mo-mi et la persévérance de Kim Ye-CHun, permettent de la sauver et lui donne symboliquement la possibilité d’échapper aux règles d’une société misogyne et brutale. Le message est entendu : entre protection maternelle et sororité, à l’avenir les femmes doivent protéger les femmes pour enfin leur donner la possibilité de vivre leur propre vie.

À ne pas rater donc

Algernone
9
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le 27 août 2023

Critique lue 846 fois

15 j'aime

Alger none

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