SAISON 1 - 8/10
Moins « touffue » et hétéroclite qu’X-Files, du même créateur Chris Carter, moins mythique aussi, Millennium semble être une série plus cohérente et plus adulte à la vue de cette saison 1. Elle possède une ambiguïté et un sérieux qu’X-Files n’avait pas. A voir de préférence la nuit, pour apprécier son atmosphère si noire, elle suit les enquêtes de Frank Black et de son groupe d’enquêteurs "Millennium", des ex-agents du FBI devenus consultants free-lance pour les enquêtes de police. Frank Black est habité par un pouvoir qui est autant un don qu’une souffrance : celui de "voir" à travers les yeux des meurtriers pour mieux les traquer.
Dans Millennium, l’aspect fantastique est ancré dans le réalisme des enquêtes policières. L’absence d’humour et l’ambiance parfois extrêmement sombre des épisodes appuient cet ancrage dans le réel, à la différence d’X-Files. La première saison laisse le doute autour de Frank Black : son pouvoir extralucide est-il paranormal ? Ou bien, s’agit-il simplement de déductions inconscientes, dues à une très grande connaissance des esprits dérangés des serial-killers ? Cette ambiguïté constitue l’un des intérêts majeurs de la série, tout comme le personnage principal et son interprète Lance Henriksen.
L’autre touche unique de Millennium, c’est le contraste saisissant et l’alternance permanente entre les scènes de crime ou d’enquête, d’une grande violence psychologique ou physique, et celles de la famille Black dans leur maison jaune, tout droit issues du rêve américain tel qu’il pourrait être représenté dans une publicité pour une assurance. Cette opposition entre le monde sordide des pulsions criminelles, et celui lumineux mais artificiel de la famille idyllique, fait de Millenium une série naturaliste digne héritière de David Lynch (que ce soit Twin Peaks ou bien ses films, notamment Blue Velvet). On note, d’ailleurs, que la série quitte X-Files dès ce premier épisode (Frank Black déménage de Washington et s’éloigne du FBI), pour rejoindre Twin Peaks (Black s’installe à Seattle, et débarque sur une scène de meurtre à Snoqualmie). L’épisode 2, « Gehenna », poursuit cet hommage en montrant une oreille coupée trouvée dans les plantes d’un parc municipal de San Francisco.
Cette violente opposition apparaît donc dès le pilote, un chef d’œuvre du petit écran, dans lequel les scènes d’un bonheur familial de "carte postale" succèdent aux interrogatoires dans un peep-show, dans un bois de rencards gays, et aux meurtres les plus abjects. On trouve dans ce pilote mémorable, ainsi que dans quasiment tous les épisodes de cette première saison, nombre de scènes d’une grande violence psychologique, terrifiantes pour une série des 90s. D’épisodes en épisodes, le ton reste sombre et envoûtant, grâce à la mise en scène et la photographie d’une grande unité malgré les différents artisans qui s’y attèlent, ainsi que la musique de Mark Snow, hypnotique et inoubliable (Alain Resnais, bluffé, engagera Mark Snow pour ses 4 derniers films après avoir vu Millennium).
Bien sûr, nous sommes dans les années 90, et les séries révolutionnaires des 2000’s n’ont pas eût lieues. Cette première saison souffre donc – très légèrement, cependant – d’épisodes en trop, d’un manque de cohérence entre certains épisodes (principalement vers la toute fin de saison), et surtout d’une formule un peu trop répétée : la traque d’un serial-killer grâce aux pouvoirs de déductions de Black. Mais seulement deux épisodes font véritablement "tâche" et semblent sortis d’une autre série : « The well-worn lock », un mélodrame judiciaire des plus pénibles, et « Maranatha », prometteuse intrigue autour du folklore russe malheureusement gâchée.
La saison 1 est donc globalement une vraie merveille, avec beaucoup de chefs d’œuvres à compter parmi ces épisodes :
- « Le Pilote » et le premier épisode « Gehenna ».
- « Blood Relatives », qui n’a d’égal en terme de violence que le premier épisode pilote. Violence des scènes de meurtres, violence du contraste entre l’ombre et la lumière. Cet épisode est également l’un des premiers à offrir une plus grande part à Catherine, l’épouse de Frank Black, dont les dialogues sont mieux écrits à partir de septième épisode.
- « Weeds », qui place l’horreur dans un village américain hyper-protégé et clôturé, tout comme l’épisode d’X files « Suburbia » et bien sûr le classique de Twiligt Zone « The Monsters are due on Mapple Street ». Un excellent épisode écrit par Frank Spotnitz (issu des équipes d’X-Files), dans lequel l’ambiance, la mise en scène et les acteurs sont parfaits.
- « Force majeure », qui coupe court au répétitif schéma de la traque de sérial-killers, en se concentrant sur l’idée d’apocalypse à l’approche du nouveau millénaire. Clonage, changements climatiques et regroupement sectaire sont les motifs d’une possible saison 2 qui se profile. Un très bel épisode, porté par ses dialogues et le jeu des acteurs (Brad Dourif), ainsi que des scènes absolument fascinantes (auto-combustion, clones).
- « The Thin white line », centré autour du passé de Black au FBI et de la résurgence d’une affaire dans son présent sous la forme d’un copycat. Un chef d’œuvre angoissant qui traite avec talent le thème éternel de l’affrontement du bien et du mal.
- Le double épisode « Lamentation » et « Powers, Principalities, Thrones and Dominions », dont le 1er est écrit par Chris Carter. Deux chefs d’œuvres effroyables, et dans lesquels les croyances occultes servent un scénario d’une grande ambiguïté. Aucune vérité évidente dans cet épisode au sein du quel une part d’interprétation du spectateur est nécessaire.
- « Paper Dove », le dernier épisode, se terminant sur un cliffhanger qui mène à la saison 2, conclue la saison 1 dans une grande ambiguïté. Plein de mystère, cet épisode très réussi explore encore une fois la thématique du mal contaminant le monde.
1. La Seconde Venue (Pilot) – 10/10
2. Le Visage de la Bête (Gehenna) – 9/10
3. L’Empreinte de la mort (Dead Letters) – 7/10
4. Le Juge (The Judge) – 8/10
5. Le Complexe de Dieu (522666) – 8/10
6. Désillusion (Kingdom Come) – 7/10
7. Parenté sanglante (Blood Relatives) – 10/10
8. Un verrou sur le cœur (The Well-Worn Lock) – 5/10
9. Meurtres sans effraction (Wide Open) – 7/10
10. Angel (The Wild and the Innocent) – 6/10
11. Mauvaises Graines (Weeds) – 8/10
12. Amour immaculé (Loin Like a Hunting Flame) – 6/10
13. Force majeure (Force Majeure) - 10/10
14. Les Blessures du passé (The Thin White Line) – 10/10
15. Le Sacrement (Sacrament) – 8/10
16. Le Pacte (Covenant) – 8/10
17. Les Jumeaux diaboliques (Walkabout) – 8/10
18. Lamentation - 1re partie (Lamentation - Part 1) – 10/10
19. Les Principes de la domination (Powers, Principalities, Thrones and Dominions - Part 2) – 9/10
20. Un monde brisé (Broken World) – 7/10
21. Yaponchik (Maranatha) – 5/10
22. La Colombe de papier - 1re partie (The Paper Dove - Part 1) – 9/10
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SAISON 2 - 7.5/10
Chris Carter se consacrant entièrement au premier long-métrage d’X-Files, c’est le duo Morgan et Wong (scénaristes d’épisodes cultes de la série X-Files) qui se voit confier la saison 2 de MillenniuM. Dès le premier épisode, la série semble opérer un énorme virage : plus d’humour, moins de profondeur et de noirceur, plus centré sur le groupe Millennium que sur la vie familiale de Frank, la série ressemble également de plus en plus à X-Files. En mal, notamment : là où la 1ère saison de MillenniuM était bien construite, la seconde s’avère fourre-tout, alternant pépites et désastres.
Cette seconde saison s’ouvre donc, paradoxalement, par une conclusion, avec l’épisode « The Beginning and the end ». Cet épisode, très important, souffre donc d’être au cœur de cette transition. L’affrontement tant attendu avec le mystérieux peeping-tom photographe de la saison 1 s’avère donc décevant, malgré la performance de Doug Hutchison qui l’interprète (il est aussi le mémorable « Tooms » de X-Files). La série semble déjà perdre de sa noirceur : deux personnages de geeks plutôt malvenus apparaissent, et cette tentative d’humour, signée Morgan et Wong, en plein drame, tombe à plat.
Le virage est pris, et l’épisode 2 « Beware of the dog » entre de plein pied dans une nouvelle ambiance, plus fantastique et ésotérique. Une très bonne première partie nous embarque dans un angoissant village perdu, dont l’atmosphère pourrait évoque Twin Peaks. La deuxième partie s’avère plus maladroite : elle se concentre sur l’un des villageois, un personnage humoristique nommé Beebie. Cette seconde partie fait également apparaître, de manière un peu forcée, un personnage important pour la suite de la saison : le Vieil Homme, sorte de gourou du groupe MillenniuM. A partir de cette apparition, le groupe d’enquêteurs va progressivement apparaître aux yeux de Frank Black comme une secte. Cet épisode, au déroulement un peu maladroit, pose néanmoins un jalon important, et dispo d’une belle ambiance et d’une belle mise en scène.
L’épisode suivant, « Sense and Antisense », est encore très proche d’X-Files. Une nouvelle veine, conspirationniste et « politique », un peu moralisatrice, et finalement très maigre en terme de scénario, apparaît dès lors dans Millennium. Mais surtout, c’est le motif de la contamination, du virus, comme vecteur d’une fin du monde, qui pointe son nez. Encore une fois, le jeu de Lance Henriksen et la qualité de la mise en scène tirent l’épisode vers le haut.
A partir du troisième épisode « Monster », le personnage de Lara Means, nouvelle acolyte de Frank au sein du groupe, apparaît. Le nouveau départ opéré par cette saison continue donc de s’amorcer : Frank vit désormais seul, loin de sa famille. L’opposition entre le bien et le mal, et des questionnements religieux, semblent désormais être les thèmes au centre de la série, avec l’apparition de ce nouveau personnage féminin.
Morgan et Wong appliquent à Millennium des « recettes » scénaristiques issues de X-Files. Mais ces recettes, qui fonctionnaient pour Mulder et Scully, ne collent pas tout à fait Frank Black : avec « A single blade of grass », les scénaristes tentent de connecter les pouvoirs de Frank Black, ses « visions » des crimes, aux croyances ancestrales des Indiens d’Amérique. Un épisode très moyen, car trop caricatural, dans la lignée de certains mauvais épisodes des débuts d’X-Files. L’épisode d’Halloween « The curse of Frank Black » est honnête, mais sonne un peu faux. On est plus dans une épouvante pour adolescents, que dans la violente série pour adultes de la saison 1.
De plus, toute cette première partie de saison entretient un flottement scénaristique : la famille de Black a totalement disparue, plus de femme ni de fille, et le fonctionnement du groupe MillenniuM reste obscur, tout comme les rapports entre les personnages. Dans « The Hand of Saint Sebastian », Morgan et Wong tentent justement de créer le mystère autour du groupe, à l’aide d’une intrigue ésotérique et complotiste qui ne sied pas du tout à la série. Des rouages qui appartiennent plus à X-Files, voir au Da Vinci Code... Mais surtout, le scénario de cet épisode présente beaucoup de maladresses, de facilités et de clichés, qu’on pourrait voir dans de très mauvaises séries, mais que l’on attendait pas chez Frank Black…
Après 8 épisodes qui tournent en rond, c’est à partir du neuvième épisode, « Jose Chung’s Doomsday Defense », que la série semble revivre véritablement, et enfin avancer. Pari réussi pour Darin Morgan, scénariste spécialiste des épisodes décalés dans X-Files, qui parvient à dynamiter avec intelligence les codes de MillenniuM. L’humour de l’épisode, sarcastique et autoparodique, fait du bien à cette saison qui cherchait son fil rouge. Le personnage de l’écrivain Jose Chung, créé dans un fameux épisode d’X-Files, rencontre ici Frank Black, avec comme toile de fond une enquête liée à une secte - parodie évidente, et très critique, de la scientologie. Grâce à des idées folles et de fins dialogues, ce pari risqué s’avère être une véritable réussite.
L’épisode suivant, « Night of the Century », est un épisode dit « de Noël ». Il apporte encore une approche nouvelle de la série, qui décidemment part dans tous le sens dans cette saison2. Une utilisation intelligente des flash-back permet d’étoffer le personnage de Frank Black - son enfance, l’origine de son pouvoir - mais aussi, et surtout, ce qu’il advient de sa vie familiale avec Catherine et Jordan. Si l’épisode est un peu larmoyant, il permet de faire revenir ces deux personnages essentiels, sans qui la saison 2 paraissait jusque là très bancale.
A partir de ces 2 épisodes très originaux, la série semble avoir enfin retrouvé son chemin, son identité. « Goodbye Charlie » est une profonde exploration de la mort a travers le portrait d’un médecin qui empoisonne les malades pour les « délivrer »... avec ou sans leur consentement ? Sombre, bien mis en scène, émouvant, cet épisode renoue avec l’intelligence de la saison 1. Elle jalonnée de scènes horrifiques glaçantes, de l’introduction très puissante à la conclusion, en passant par une scène d’hôpital désaffecté.
L’épisode 12 « Luminary » fait également symbole de renaissance (qui est le sujet même de l’intrigue), pour Frank Black, mais aussi pour la série dans son ensemble. Le groupe MillenniuM y est enfin « montré » véritablement aux yeux de Frank Black, il est enfin réel et sérieusement traité par les scénaristes. Catherine et Jordan reprennent également un vrai rôle au sein de la galerie de personnages. Bref, beaucoup de bonnes idées pour rehausser le niveau, autour d’une intrigue très simple et très prenante : Black qui part à la recherche d’un jeune homme disparu en Alaska.
La série semble alors retrouver de sa superbe, avec un serial killer inatteignable par le biais d’internet qu’il utilise pour diffuser ses meurtres, dans l’épisode « Mikado », puis un épisode proche du véritable film d’épouvante, genre slasher, dans un hôpital psychiatrique, « The Pest House ».
Malheureusement, Morgan et Wong font une fois de plus machine arrière, et proposent alors de revenir à l’esprit de « Hand of St Sebastian », à savoir : ésotérisme archéologisme et complots bien mystérieux... avec le double épisode « Owls » – « Roosters ». On sent que les scénaristes tentent de créer une mythologie complexe à la X-Files, pleine de zones d’ombres, autour du groupe MillenniuM. Si le premier épisode « Owls » est plutôt prenant, et permet d’approfondir notre vision du groupe secret, le second, « Roosters », souffre d’un excès de dialogues pompeux et d’énormes clichés conspirationnistes (les nazis). Les deux épisodes suivants, « Siren », et « In Arcadia Ego », souffrent tout deux du même manque de subtilité...
... avant que la saison ne se conclue en beauté. « Anamnesis », 19ème épisode, approfondit les personnages de Lara Means et de Catherine Black, pour un épisode sans Frank Black. Le thème religieux à la Da Vinci Code, maintes fois utilisé dans cette saison, est enfin bien traité par les scénaristes, sans clichés, pour un épisode prenant, d’une vraie beauté.
Le 20ème épisode, « A Room with no view », s’avère probablement être la plus grande réussite de cette saison. On y retrouve Lucy Butler, l’être démoniaque du génial double épisode « Lamentation » de la saison 1, qui cette fois kidnappe des lycéens pour les séquestrer, leur faisant écouter en boucle une musique sirupeuse dans leurs cellules, tout en exécutant sur leur personne un effroyable lavage de cerveau... La morale tordue de cet épisode, son atmosphère noire, et son sens du mystère, en font une des plus grande réussites de MillenniuM.
Le 21ème épisode, « Somehow Satan got behind me », signé Darin Morgan, est la deuxième grande réussite humoristique de la série. Dans un scénario conceptuel entre les fable de Twilight Zone et le burlesque des Simpson, nous assistons aux confessions de quatre démons autour d’un café. Leur apparence extérieure est celle de quatre innocents retraités, mais il semble qu’un enquêteur (Frank Black...) soit capable de voir leur véritable nature... Encore une brillante parenthèse, un petit chef d’oeuvre, qui redore l’image de la série au cours de cette saison tumultueuse.
La saison 2 se conclue heureusement par un double épisode (voir triple, puisqu’il faut attendre la saison 3 pour en connaître toutes les connaissances) d’une excellente facture. Angoissant et mystérieux, émouvant et très sombre, c’est un retour aux sources de la série qui laisse augurer une meilleure saison 3 en guise de conclusion : après ces nombreux remous scénaristiques, ces allers-retours autour du concept premier de la série, Chris Carter allait reprendre la main, libéré des contraintes du tournage du film X-Files.
1. Le Début et la Fin - 2e partie (The Beginning and the End - Part 2) – 8/10
2. Attention, chien méchant (Beware of the Dog) – 7/10
3. Génome en péril (Sense and Antisense) – 7/10
4. Le Monstre (Monster) – 8/10
5. Un simple brin d’herbe (A Single Blade of Grass) – 6/10
6. La Malédiction de Frank Black (The Curse of Frank Black) – 7/10
7. Apocalypse 19, verset 19 (19:19) – 7/10
8. La Main de Saint-Sébastien (The Hand of Saint Sebastian) – 5/10
9. Le Jugement dernier (Jose Chung’s Doomsday Defense) – 9/10
10. La Nuit du siècle (Midnight of the Century) – 7/10
11. Goodbye, Charlie – 8/10
12. L’Éveil (Luminary) – 8/10
13. La Chambre du mystère (The Mikado) – 8/10
14. Les Aliénés du diable (The Pest House) – 7/10
15. Les Chouettes - 1re partie (Owls - Part 1) – 7/10
16. Les Coqs - 2e partie (Roosters - Part 2) – 6/10
17. La Sirène (Siren) – 6/10
18. Un enfant en Arcadie (In Arcadia Ego) – 6/10
19. Anamnèse (Anamnesis) – 8/10
20. L’Apprentissage de l'ordinaire (A Room with No View) – 10/10
21. Analyse diabolique (Somehow, Satan Got Behind Me) – 10/10
22. Le Quatrième Cavalier - 1re partie (The Fourth Horseman - 1re partie) – 9/10
23. L’heure est proche - 2e partie (The Time is Now - Part 2) – 9/10
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SAISON 3 - 7/10
Après une seconde saison très ésotérique et en zig-zag, qui proposaient mêmes quelques détours humoristiques, Chris Carter reprend les rênes de MillenniuM pour la troisième (et dernière) saison. Carter écarte le duo Morgan-Wong, et confie la production à Chip Johannessen, l’un des scénaristes clé de son équipe, ayant signé certains des meilleurs épisodes de la saison 1. On retrouve avec plaisir une véritable unité, essentielle à l’univers sombre et adulte de la série. La photographie, signée du même Robert McLachlan depuis le pilote, opte un ton volontairement dé-saturé comme pour retrouver l’atmosphère noire de la saison 1. Quant à Frank Black/Lance Henriksen, ses cheveux deviennent de plus en plus blancs au fur et à mesure de la série, magnifique idée pour montrer la véritable perdition du personnage.
Malheureusement, MillenniuM ne se relève pas jusqu’au niveau de sa première saison. Cette troisième saison manque de vigueur, de terreur, et surtout de grands arcs narratifs. A l’exception de son introduction et de sa conclusion, les épisodes souffrent d’une certaine mollesse. Et surtout, la nouvelle galerie de personnages autour de Frank Black, idée prometteuse au départ, ressemble trop à celle d’X-Files : une partenaire agent du FBI, Emma Hollis, qui forme avec Black un duo peu aimé de leurs collègues ; un directeur adjoint jamais content, McLaren ; un antagoniste petite teigne, l’agent Baldwin… spectateurs d’X-Files, cela ne vous rappelle rien ? Même Peter Watts se transforme petit à petit en « homme à la cigarette », Méphistophélès disséminant ici et là quelques indices, toujours entre le parti du bien et celui du mal… Le problème est que ces personnages, à l’exception d’Emma Hollis, semblent tomber de nulle part, et restent au stade du stéréotype jusqu’à la conclusion, dans laquelle leur est enfin accordée un peu de finesse psychologique.
Pourtant, tout s’annonçait bien. La série s’ouvre en effet sur un double épisode de toute beauté. Une ellipse de plusieurs mois nous éloigne du cliffhanger de la saison 2, et donc aussi de l’esprit de cette dernière. On retrouve immédiatement l’ambiance noire des débuts de MillenniuM, mais aussi sa mise en scène soignée de thriller à la Silence of the Lambs. Le travail du réalisateur Thomas J. Wright – qui a réalisé 27 des 68 épisodes de la série – est d’une grande qualité, dans le premier épisode « The Innocents ». Avec ce double épisode, les scénaristes (Michael Duggan et Chip Johannessen) réunissent les éléments constructeurs de la série, trop altérés par le travail de Morgan et Wong, pour repartir sur de nouvelles bases. Le don psychique de Frank Black, la peur de la fin du monde, l’aspect conspirationniste du groupe MillenniuM : tout trouve enfin son sens et semble "relié" dans une parfaite logique. L’intrigue renvoie même directement à un épisode de la saison 1, « Force majeure », dans laquelle on retrouvait déjà l’idée de clonage de petites filles liée à celle de l’apocalypse. Un fil semble ainsi relier la série de bout en bout.
Dès cette introduction, les dialogues semblent bien plus subtils que dans la saison 2 (on ne regrette pas du tout la disparition du personnage du geek et ses tentatives d’humour...). De retour au FBI en solitaire, hors du groupe MillenniuM qu’il accuse désormais d’être une organisation criminelle, Frank Black fait équipe avec une nouvelle collègue, Emma, jeune recrue très travailleuse qui semble être fascinée par Frank. Le personnage est immédiatement attachant, même si son interprète Klea Scott semble parfois un peu perdue dans son rôle face à un Lance Henriksen toujours aussi magnétique (voire de plus en plus !). Leur duo, autre obsession de Chris Carter, est immédiatement marquée du sceau de la camaraderie homme-femme (et d’un côté père-fille), sans jamais aucune connotation amoureuse. Prouesse des deux interprètes, leur duo parvient à exister malgré l’ombre écrasante des mythiques Mulder et Scully.
Passée cette intro puissante, la saison 3 enchaîne les épisodes sans véritable fil rouge. « Taotwawki », écrit par les créateurs de la série Carter et Spotnitz, se centre (enfin) sur le fameux bug de l’an 2000. La violence adolescente est très bien montrée, elle présage Columbine quelques mois avant le véritable drame. Chris Carter prouve son talent à ancrer ses histoires fantastiques dans une certaine actualité (on peut citer le pilote de The Lone Gunmen, qui prédisait le 11 septembre quelques mois avant). Mais Carter a aussi ses défauts : quand il prend la plume, ses dialogues sont toujours explicites, peu naturels et trop sérieux, explicitant la morale de l’épisode à chaque phrase.
L’épisode 4, « Closure », se concentre sur la nouvelle protagoniste de Frank, l’agent Emma Hollis. Si l’idée est très bonne, et fonctionne dans les premières minutes de l’épisode, deux erreurs apparaissent malheureusement rapidement. Premièrement, la blessure originelle du personnage, motif bien mieux utilisé dans X-Files pour l’agent Mulder et la quête de sa sœur disparue, semble ici être un "truc" de scénariste très cliché. Mais, surtout, dans la deuxième partie de l’épisode, la traque des tueurs s’avère peu passionnante. Ces criminels fous, et surtout leur leader, sont extrêmement caricaturaux. Ajoutez à cela des scènes d’actions parfois ridicules (avec des effets de bullet-time malvenus), et la série se retrouve à nouveau plombée.
Suit le total opposé, un épisode qui ne se prend jamais au sérieux : « Thirteen years later ». Parodiant avec une féroce ironie la nouvelle vague de films d’horreurs post-Scream, l’épisode se situe entre les mises en abyme à la De Palma style Body Double et les slashers qu’il site, Scream, Halloween, Friday the 13th… Sympathique épisode qui réussit son pari : apporter une parenthèse humoristique, la seule de la saison 3, et donc la dernière de la série.
L’épisode 6, « Skull and Bones », bénéficie d’une mise en scène très réussie, signée par le nouveau venu Paul Shapiro. Les décors inquiétants, l’excellente photographie en clair-obscur de Robert McLachlan, distillent une angoisse que l’on n’avait pas retrouvé depuis la première saison. Malheureusement, scénaristiquement, Millennium devient définitivement un ersatz de X-Files. Si le groupe MillenniuM fait de plus en plus penser aux Illuminatis, aux Francs-maçons, l’idée est malheureusement survolée dans un scénario qui entretient trop de zones de flous. On a donc un peu l’impression de suivre un spin-off d’X-Files, copié/collé moins intéressant.
L’angoisse monte encore d’un cran dans l’épisode suivant, « Throug a glass, darkly », qui offre un retour aux sources de la série : une enquête sombre, glaçante, autour d’un présumé violeur et tueur d’enfants libéré sur parole au bout de 20 ans. L’habile scénario de Patrick Harbinson réutilise en filigrane un thème classique du polar : la vox populi, les préjugés médiatiques et la chasse aux sorcières des concitoyens du présumé coupable. Le doute reste intact jusqu’au dénouement, si bien que notre jugement moral de spectateur reste constamment en déséquilibre. La mise en scène Thomas J. Wright, et la photographie de Robert MacLachlan, sont encore une fois d’une grande maîtrise. L’un des meilleurs épisodes de la saison…
… qui voit lui succéder 3 des plus mauvais. L’épisode « Human essence » semble posé là par hasard. Encore une fois, les scénaristes tentent de rapprocher Millennium d’X-Files, en faisant de Frank et Emma des rebelles au sein du FBI, au centre d’un très très vague complot. Encore une fois, ce qui marchait dans X-Files ne marche pas dans MillenniuM. L’épisode garde un certain suspense, mais reste sans grand intérêt. C'est dans ce genre d’épisodes que les nouveaux personnages, McLaren et Baldwin, semblent superficiels, des caricatures d’antagonistes très mal écrits.
L’épisode de Noël « Omerta » se passe également de commentaire. De manière générale, les épisodes de Noël semblent déplacés dans cette série. Ici, d’une guimauverie ridicule, il serait tout simplement irregardable sans le talent de Lance Henriksen, et de sa fille à l’écran Brittany Tiplady. Quant à « Borrowed », réalisé par Dwight Little (bon réalisateur pour X-Files, très mauvais pour le cinéma dans la saga Halloween), il ne convainc pas non-plus. Il souffre, d'une part, d’une grossière erreur de scénario : inventer des éléments du passé, ici de la vie de Jordan, dont nous n’avions jamais entendu parler. De surcroît, la mise en scène sans subtilité, kitsch, dotée de ralentis pénibles et d’effets spéciaux ratés, achève le naufrage. Même du côté de la direction d’acteur, c’est l’échec, puisque Lance Henriksen sur-joue et les autres personnages sont peu naturels.
Après ces épisodes « loners », les scénaristes reviennent à une intrigue de complot avec « Collateral damage ». C’est dire que la série se retrouve, dans sa structure même, dévorée par X-Files (alternance de « monsters of the week » et d’épisodes « mythologiques » autour de la conspiration). Néanmoins, cet épisode là reste assez solide, grâce à un suspense bien ficelé.
Le talentueux scénariste Patrick Harbinson sort les rames, et grâce à l’épisode « The Sound of Snow », il comble les trous. Il prend le temps de revenir sur la perte de Frank Black, sur son deuil (l’ellipse de la saison 2 à 3). De plus, l’épisode possède nombre de séquences très inquiétantes, une intrigue au très fort potentiel, mais à laquelle il manque une conclusion réussie malheureusement.
Dans « Antipas », le personnage maléfique de Lucy Butler, entité démoniaque qui a donnée naissance à 2 des meilleurs épisodes de la saison 1 et de la saison 2, s’offre un retour bien inutile. Dans ce mini film d’horreur, bien mis en scène, mais enfilant tous les clichés du genre, la grande rivale de Frank Black voit son personnage amenuisé au rang de diablesse de série Z.
L’épisode « Matryoshka » offre un flash-back dans les années 40, à la création du FBI, comme les épisodes de X-Files « Travelers » et « The Unnatural ». Ce retour en arrière permet de redonner du sens au groupe MillenniuM, et au personnage de Peter Watts, au sein de la saison 3. Un sympathique épisode, même si on tombe complètement dans le complot à la JFK d’Oliver Stone, ce qui rapproche MillenniuM toujours plus d’X-Files…
Retour à l’ésotérisme plein de mystère et de citations bibliques avec « Forcing the end », un épisode assez peu palpitant, malgré un début intéressant. Néanmoins, on perçoit en filigrane l’évolution d’Emma Hollis, qui commence à douter des choix de Frank Black, et à hésiter entre lui et le groupe MillenniuM. L’ambiguïté de Peter Watts reste intacte, ce qui est un autre point intéressant. Son interprète le rend bien : sa passivité, son calme, son côté "monsieur tout le monde" le rend inquiétant.
« Saturn dreaming of mercury » est un énième épisode inégal. Comme beaucoup d’autres épisodes de cette saison, il possède de nombreuses qualités. Celui-ci est centré sur Jordan, interprétée avec brio par Brittany Tiplady dont le talent de comédienne augmente de saison en saison. La jeune actrice est tout à fait convaincante dans la peau de son personnage, notamment dans des dialogues très sombres pour une fillette de son âge, ou dans certaines scènes d’épouvante. Frank Black est montré sous son jour de père, loin des conflits du FBI (et donc du caricatural directeur adjoint ici absent). Emma Hollis devient un soutien, une amie inquiète. Un scénario intriguant, plein de mystère, doté de beaucoup d’éléments fascinants : les visions de l’enfant et du père, celles de Jordan, les « yeux » sous verre… de magnifiques idées de mise en scène, mais gâchées par la conclusion, trop facile, de l'intrigue. On n’atteint toujours pas le niveau de la saison 1, même si l’on retrouve enfin l’ambiguïté de celle-ci.
A l’approche de la fin, la série remonte enfin d’un cran avec « Darwin’s Eye ». Le scénario, encore signé Patrick Harbinson, utilise nombre des clichés de l’univers de Chris Carter (serial-killer et conspiration) pour mieux les détourner et nous mener ailleurs. Pour une fois, les signes que croit percevoir Frank Black ne cachent rien, aucune interprétation ne peut révéler une quelconque vérité. En parallèle de l’intrigue principale, la traque d’une femme évadée d’asile, nous découvrons un pan de la vie privée d’Emma Hollis : son père est atteint de la maladie d’alzeihmer. On pense que les deux histoires vont se recouper : et bien non, si ce n’est poétiquement… Le hasard, seul, réunit ces deux histoires. Un bel épisode.
Mais comme toujours, la joie retombe, avec « Bardo Thodol », épisode conspirationniste extrêmement flou, mauvais en tout point. McClaren, enfin surtout son interprète Stephen Miller, est dans une telle caricature qu’on en deviendrait presque hilare. La "confrontation" du bien et du mal, donc d’Emma et de Peter Watts, est vraiment assommante également.
Pour redresser la barre une dernière fois, Chris Carter et Frank Spotnitz reviennent au scénario de l’épisode « Seven and one ». On regrette qu’ils ne l’aient pas fait plus souvent, car MillenniuM ne fonctionne pas bien sans eux, alors qu’X files se passe très bien d’eux (Vince Gilligan, Glen Morgan et James Wong ont offert certains des meilleurs épisodes d’X-Files). Ce magnifique épisode renoue avec l’étrangeté, l’ambiguïté, qui faisait la force de MillenniuM à ses débuts. On y baigne dans une ambiance cauchemardesque et démoniaque ("démoniaque, tendre, et désespéré", a dit Alain Resnais à propos de la musique composée par Mark Snow pour la série, avant qu’il ne l’engage pour son film Cœurs). Même si l’on peut croire un instant que la solution de cet épisode se trouve dans un "bounty hunter" copié-collé d’X-Files, cette piste s’avère non expliquée, et tout est laissé en suspens à la fin de cette aventure. Bravo donc à Carter-Spotnitz, d’avoir retrouvé ici la force de MillenniuM : une angoisse plus adulte, plus fascinante, et surtout plus ambiguë, que celle d’X-files. Lance Henriksen y est encore une fois brillant, Frank Black s'avérant plus trouble que jamais.
Avec « Nostalgia », on se sent déjà dans une première forme de conclusion. Une dernière enquête, un dernier épisode "unitaire" réunissant Emma et Frank. Très bien écrit, cet épisode évite de trop conclure, avec une intrigue simple, une enquête similaire à de nombreux faits divers que l’on voit dans les journaux. Emma et Frank sont très proches, et le ton est tendre et désespéré. Cet épisode boucle la boucle, car on y retrouve l’atmosphère des enquêtes de la saison 1, et l’idée du mal qui "grouille" sous les pelouses vertes des jolies villes américaines, comme chez David Lynch. Cette fois c’est un pied que l’on retrouve dans un rosier…
Vient alors le double épisode final. Le premier, « Via Dolorosa », est plein de suspense. Il réunit en un seul épisode les différentes facettes de la série. A la fois traque d’un serial killer très violent, à la Se7en (référence évoquée par Chris Carter dès la création de la série), et complot lié à la fin du monde derrière. Les deux motifs sont imbriqués dans cet habile scénario. Les personnages de McLaren et de Baldwin y sont enfin traités avec intelligence. McLaren paraît enfin à l’écoute, peureux, voire triste. Baldwin, quant à lui, fait un pas vers Frank Black, tandis qu’Emma s’éloigne.
Malheureusement, même s’il bouscule enfin les lignes de cette troisième saison, le dernier épisode « Goodbye to all that » déçoit encore. Encore une fois dans le flou sur les motivations réelles du "groupe", les scénaristes nous laissent en suspens sur une fin ouverte… Plus que jamais, le groupe Millennium évoque celui des Frans-maçons, où l’ésotérisme n’est que la surface folklorique d’un regroupement très politique. Cette fin donne à la fois une part de mystère indéniable à toute la série, qui reste un ovni étrange, mais également une sensation de manque (que X-Files n’a pas, apportant un véritable adieu à ses personnages grâce à la complexe conclusion que sont les saisons 8 et 9).
Bien sûr, on ne peut qu’imaginer ce qu’aurait été la saison 4, mais il évident que la Fox aurait dû laisser Chris Carter conclure son œuvre qui devait le mener à l’an 2000. Pas assez "artiste", peut-être trop entravé par le fonctionnement de la Fox, Chris Carter a donc créé un univers splendide, d’une noirceur enivrante, puis l’a laissé se désagréger. Remodelée à l’image d’X-Files, dans l’aspect divertissant pour la saison 2, et dans sa construction scénaristique pour la saison 3, la série MillenniuM trouve ironiquement son épilogue dans la série mère. En effet, on retrouve Frank Black et le groupe millénariste au sein de l’épisode 4 de la saison 7 d’X-Files, sobrement intitulé : « MillenniuM ».
Note globale : 7/10
1. Les Innocents - 1re partie (The Innocents - Part 1) – 10/10
2. Exégèse - 2e partie (Exegesis - Part 2) – 9/10
3. Ceux qui survivront (Taotwawki) - 7/10
4. Trauma (Closure) – 5/10
5. Treize ans plus tard (Thirteen Years Later) – 7/10
6. Ossements (Skull and Bones) – 7/10
7. Recommencement (Through a Glass, Darkly) – 8/10
8. Démons intérieurs (Human Essence) – 6/10
9. Omerta (Omerta) – 5/10
10. Sursis (Borrowed) – 5/10
11. Lésions de guerre (Collateral Damage) – 7/10
12. Le Bruit de la mort (The Sound of Snow) – 7/10
13. Antipas (Antipas) – 6/10
14. Matriochka (Matryoshka) – 7/10
15. Forcer le destin (Forcing the End) – 6/10
16. Jordan contre Lucas (Saturn Dreaming of Mercury) – 7/10
17. L’Œil de Darwin (Darwin’s Eye) – 8/10
18. Bardo Thodol (Bardo Thodol) – 4/10
19. Sept ans de malheur (Seven and One) – 9/10
20. Nostalgie (Nostalgia) – 8/10
21. Le Chemin de croix - 1re partie (Via Dolorosa - Part 1) – 8/10
22. La Fin d’un temps - 2e partie (Goodbye to All - Part 2) – 7/10
Epilogue dans la série X-Files :
23. MillenniuM (S07, EP04) – 8/10
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