Sequence killers
La série est devenue depuis lontemps une œuvre à part entière, et ne se contente plus d’être un divertissement low cost en adéquation avec la médiocrité ambiante du petit écran. Les cinéastes s’y...
le 22 oct. 2017
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Saison 1 :
On sait bien que les films ou les séries de David Fincher n'ont véritablement qu'un seul sujet : l'intelligence et ce qu'on en fait. Et même si Fincher n'est pas le showrunner de ce "Mindhunter" mais "seulement" le réalisateur des deux premiers et deux derniers épisodes de cette série consacrée à la naissance et au développement par deux francs-tireurs du FBI des théories de profilage, face à la prolifération d'un nouveau type de tueurs, sa marque est littéralement partout : le sujet et son traitement minutieux et délibérément anti-commercial évoquent inévitablement l'excellent "Zodiac", tandis que image - bleutée ou marron -, la BO scrupuleusement ciblée, la mise en scène froide et précise et la narration patiente poursuivent le travail de "The Social Network" ou "Gone Girl". Il faut ajouter quand même une référence écrasante qui plane sur toute la saison, le fameux face-à-face entre Clarice Starling et Hannibal Lecter du "Silence des Agneaux", matrice indestructible de situations maintes fois répétées dans "Mindhunter", et surtout fantasme morbide absolu que Fincher matérialise enfin à la toute fin du 10ème épisode, dans la plus belle scène de la série à date. Malheureusement, les interprètes de "Mindhunter" n'ont ni le talent ni le charisme des acteurs des films "de référence", hormis peut-être Anna Torv qu'on a plaisir à retrouver en blonde cérébrale ("Gone Girl", encore) : le sosie d'Emmanuel Macron qui tient ici le rôle principal a bien du mal à incarner l'inévitable contamination résultant de la fréquentation d'esprits aussi malades, et sa contre-performance décrédibilise trop de scènes pour ne pas tirer vers le bas une série qui échoue finalement à transcender son sujet. C'était d'ailleurs déjà le gros problème de "Zodiac" quand on le comparaît à sa sortie à la puissance d'un "Memories of Murder", et cela nous suggère que pour atteindre la grandeur qu'il vise, "Mindhunter" devrait peut-être s'affranchir de ses influences et de son envahissant réalisateur, pour aller explorer d'autres territoires formels.
[Critique écrite en 2018]
Saison 2 :
Puisque nous vivons dans une époque d'oubli immédiat, où chaque nouvelle série excite les réseaux sociaux et condamne à l'oubli celle qui l'a précédée, les deux ans qui se sont écoulés entre la première saison de "Mindhunter" (qui avait fait beaucoup parler d'elle, en particulier du fait de la collaboration brillante de David Fincher...), et la seconde semblent avoir été fatales. Il faut bien reconnaître que, malgré une réalisation fidèle au cahier des charges développé dans la première saison, et qui atteint même ça et là le sublime dans les premiers épisodes mis en scène par Fincher lui-même, les scénaristes ont fait cette fois des choix surprenants, voire difficiles.
Évacué ou presque le sujet principal de la première saison, cette contamination du Mal causée par la fréquentation "professionnelle" des esprits malades - un sujet il est vrai maintes fois déjà évoqué au cinéma -, l'histoire se concentre cette fois sur une enquête "100% réelle", et a priori fidèlement retracée, celle sur la multiplication d'assassinats de jeunes garçons noirs à Atlanta. La confrontation entre les "modèles" développés par l'Agent Ford et son équipe - qui conduisirent au profiling moderne des tueurs en série - et la réalité du terrain s'avère particulièrement problématique, dans un contexte hautement volatile où les tensions raciales et les jeux politiques empêchent finalement tout travail rationnel de la police et du FBI. C'est là un thème ambitieux, traité avec ce souci anti-spectaculaire qui est tout à l'honneur de "Mindhunter", mais la dure réalité d'une enquête à la conclusion ambigüe rend la saison peu "glamour", voire même peu divertissante, et a conduit pas mal de téléspectateurs à se sentir frustrés, voire à décrocher avant la fin... Ce qui est dommage, le final de l'enquête dans le dernier épisode, assez splendide, s'apparentant presque à celui de notre très cher "Memories of Murder" : il est intéressant de voir que ce que l'on admire dans les grands films peut décevoir en format Série TV, sans doute parce que l'on attend inconsciemment une surenchère spectaculaire de surprises et de twists...
Mais là où cette seconde saison pèche vraiment, c'est dans les récits parallèles, typiques du genre, sur la vie privée des trois membres de la cellule du FBI, qui s'avèrent très faibles : le calvaire enduré par l'agent Tench (Holt McCallany, excellent !), confronté au "Mal" et à ses conséquences dans sa propre chair, ne débouche que sur des tensions entre vie de famille et contraintes professionnelles logiques mais assez convenues, tandis que le personnage du Dr. Carr ne joue plus aucun rôle dans cette saison, et est réduit à de désormais banales problématiques de "sortie du placard" et de vie amoureuse, irritant donc les grands fans d'Anna Torv que nous sommes. Quant à la vie "intime" de Ford, clairement réduite au strict minimum, le jeu perpétuellement engourdi de Jonathan Groff peine à générer la moindre empathie en nous.
Finalement, malgré le fin plaisir "mental" que génère toujours cette série posée, intelligente et ambitieuse, il faut bien reconnaître que, en l'absence de nouveaux ressorts narratifs, "Mindhunter" tourne un peu en rond.
[Critique écrite en 2019]
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Créée
le 17 mars 2018
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5 commentaires
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